L’homme tremblait comme une feuille, les larmes roulaient sur ses joues rebondies.
« Je… je… je ne sais pas, pleurnicha-t-il. Je n’en sais vraiment rien… »
Bruxelles
Il se hâta vers la dame de la réception, avec tant de précipitation que la jeune femme ne se tourna même pas dans sa direction, se contentant de poser symboliquement une main sur la banque d’accueil, tandis que son corps continuait de tourner. « Dans quelle chambre puis-je trouver Piero Manzano ? » demanda-t-il. Elle portait une sorte d’uniforme bleu avec un foulard, à la manière d’une hôtesse. Afin de souligner son empressement, il jeta un coup d’œil à sa montre. Elle regarda dans son ordinateur avec zèle. C’était si simple lorsqu’on avait l’air sûr de soi.
« Chambre 512.
— Merci. »
« Il y en a toujours quelques-uns, constata Manzano.
— De quoi ? voulut savoir Shannon qui filmait en permanence.
— Des logs relativement réguliers à des IP qui restent inchangées. »
Manzano désigna certaines des adresses réseau. Shannon et Angström se penchèrent par-dessus ses épaules, Bondoni approcha sa chaise pour mieux voir.
« Celle-là, celle-là et celle-là, nous les connaissons. Elles appartiennent à leur quartier général de Mexico. »
Il appela Christopoulos via le chat vidéo. Quelques secondes plus tard, il était en ligne.
« J’ai une liste d’adresses IP, fit Manzano. J’ai besoin aussi vite que possible d’un recoupement avec celles dont nous connaissons déjà les attributions.
— Je vois ce que je peux faire. »
Une bénédiction, pensa l’Italien, qu’Internet fonctionne de nouveau sans anicroches. Tant qu’il y aura du courant…
« Si c’était moi, je n’enverrais pas systématiquement le code de blocage au dernier moment, pensa-t-il à voix haute. Pour ne pas oublier.
— En outre, compléta Shannon, il faut que plusieurs personnes soient en mesure de le faire, au cas où l’une serait empêchée.
— Si nous avions été dans leur QG, réfléchit Angström à voix haute, et si nous avions été en charge d’envoyer ce code, qu’est-ce qu’on aurait fait ?
— Je l’aurais envoyé une fois par jour, à heure fixe, fit Shannon. C’est la manière la plus sûre.
— Et pourquoi donc ce blocage ? questionna Bondoni. Si une autre coupure intervient, où est le problème ? C’est ce que ces salopards voulaient, après tout.
— Pour ne pas gaspiller inutilement la poudre, répondit Manzano. Ce blocage empêche les bombes à retardement de se déclencher dans les systèmes électriques. Mais aussi longtemps qu’il n’y avait plus de courant, il n’était pas nécessaire de les activer. Elles ont été pensées justement pour cette situation : les réseaux ont été reconnectés et les terroristes déconnectés. Si les bombes déclenchaient des codes malveillants maintenant, tout repartirait à zéro. »
La fenêtre du chat signala un appel. Christopoulos.
« Oui ?
— Je vous ai envoyé la liste des adresses IP. Les adresses connues sont surlignées.
— Merci. »
L’Italien téléchargea le document. Plus de la moitié des lignes étaient en jaune.
« Bien. Ça réduit notre choix. Comparons-les résultats de notre dernière recherche… »
Il actualisa la liste de sa base de données.
« C’est encore beaucoup trop. »
Il rappela le Grec.
« Je vous envoie une liste de logs, fit-il. Regardez le plus vite possible quelles données sont adressées à quelles IP. On cherche une commande de blocage.
— Nous sommes absolument surchargés, répondit l’autre. Je vous envoie l’accès aux données. Vous pourrez chercher par vous-même.
— Mais ça va prendre beaucoup trop de temps !
— Désolé, on a vraiment trop à faire.
— Envoyez-moi ça », grogna Manzano. Un mail arriva sitôt après. Il se connecta à la base où les enquêteurs avaient enregistré toutes les données des serveurs et des ordinateurs trouvés sur les deux sites d’Istanbul et de Mexico afin de pouvoir les analyser.
Il vérifia les fichiers envoyés à la première adresse, correspondant aux horaires de la liste d’adresses IP. Pour l’instant, il ne contrôlait qu’un fichier par IP. Grande était la probabilité qu’il y ait une IP dédiée au mécanisme d’activation de la bombe à retardement. C’est en tout cas ce qu’il aurait fait.
On frappa.
« J’y vais », annonça Angström.
C’est fastidieux, songea Manzano. Il devait systématiquement relever un horaire et un ordinateur sur la liste des IP, puis chercher les données correspondantes dans les fichiers de sauvegarde. Et dangereux, de surcroît. S’il avait raison, chaque minute comptait.
« Service de chambre », dit-on à la porte.
Il trouva à la septième tentative.
« Ça pourrait être ça. » Il regarda l’heure à laquelle le dernier ordre de blocage avait été envoyé.
Ça remontait à quarante-sept heures et vingt-cinq minutes.
« Des chiffres et des lettres, grommela Bondoni. Qui peut bien lire ça…
— Lui, il le peut », résonna une voix en anglais dans son dos.
Manzano se retourna. Angström se trouvait dans l’encadrement de la porte, la lame d’un couteau brillait contre sa gorge. Derrière sa tête, les cheveux bruns et bouclés d’un homme. Malgré la moustache, Manzano reconnut immédiatement ce visage. Il avait suffisamment eu l’occasion de le voir au cours des jours derniers, dans les bureaux de Bollard.
Jorge Pucao poussa Angström devant lui, en direction de Manzano. Le regard de la jeune femme était chaviré par la panique. L’Italien se raidit.
« Lauren Shannon, allez me chercher les cordons des rideaux et ligotez vos amis. »
Elle s’exécuta, les doigts tremblants. Après avoir arrachés les cordons, elle lia les mains de Bondoni dans son dos.
« Vous pourriez encore nous rejoindre, fit Pucao à Manzano.
— Vous n’existez même plus », rétorqua l’Italien.
Le terroriste eut un rire de compassion. « Ah ! Ah ! Bien sûr que si. Nous sommes des milliards. Des gens qui en ont ras le bol de la manière dont la civilisation occidentale et le capitalisme prédateur les réduisent en esclavage et les exploitent. Ceux qui n’en peuvent plus d’être écrasés, trompés et pillés par un petit groupe de criminels politiques, banquiers et chefs d’entreprise. Ceux qui ne supportent plus d’être parqués dans des rangées de lotissements, des clapiers, des bureaux-usines. Et toi, toi, Piero, tu fais partie de ces gens qui en ont jusque-là. » Il tenait le couteau sous le nez de l’Italien. Sa voix perdit de sa superbe, prit un accent plus sympathique. « Tu es des nôtres. Et tu le sais bien. À moins que tu n’aies oublié l’époque où tu manifestais contre les politiciens corrompus en Italie ? Où tu te battais contre la mondialisation au sommet de Gênes ? Peut-être as-tu vieilli. Peut-être as-tu perdu tes illusions. Mais ne me dis pas que tes rêves se sont envolés.
— Dans mes rêves, jamais ne meurent de faim, de soif, de manque de soins, des centaines de milliers de gens. »
— Dans tes rêves, peut-être pas, mais c’est ce qui se passe dans la réalité ! Depuis des décennies, tous les jours dans le monde entier. C’est contre ça que tu es descendu dans la rue à Gênes ! C’est contre ça que tu t’indignes aujourd’hui encore ! Mais seulement en compagnie d’anciens combattants, autour d’un verre de vin. »
Il jaugea Manzano avant de poursuivre : « Je me trompe ? »
L’Italien devait bien admettre que son adversaire avait touché la corde sensible. Mais ce n’était pas le moment. Il fallait envoyer l’ordre de blocage.
« Et même si mes rêves étaient identiques aux tiens, ce n’est pas le cas de mes méthodes pour les réaliser.
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