Le deuxième battant sauta à son tour, et, malgré la fusillade continue, le flot de détenus se précipita à l’extérieur. Dans la salle, les fumées s’épaississaient, le courant d’air produit par l’ouverture de la porte et les fenêtres brisées raviva l’incendie. Les flammes se propageaient de lit en lit.
Que l’embarras du choix ! pensa Manzano. Asphyxié, brûlé vif ou tué par balles. Cependant, les détonations semblaient moins fréquentes et plus lointaines. À quatre pattes, il rejoignit la sortie.
Devant la porte s’entassaient des dizaines d’hommes morts ou blessés, dans une mare de sang, dont personne ne se souciait. Manzano passa devant deux corps sans vie, encore engoncés dans leurs uniformes. Des criminels avaient-ils tué des policiers pour leur dérober leurs armes ? Protégé par la foule, il parvint à l’entrée principale de la vaste cour. La fumée en provenance du gymnase arrivait jusqu’à ses narines, chaude et puante, lui grattant les voies respiratoires, lui brûlant les yeux. Il mit son bras sur son visage — en vain. Il devait continuer à avancer. Sortir de la cour où il ne se trouvait aucune cachette, aucun endroit pour s’abriter des balles qui sifflaient tous azimuts. Il titubait, s’attendant à être la prochaine victime.
Berlin
« J’aimerais enfin avoir des informations précises sur Philippsburg », exigea le chancelier.
Aujourd’hui encore, la liste de Michelsen ne contenait aucune nouvelle positive. Où qu’elle regarde, que du désastreux. Le pire, c’était encore les renseignements en provenance de Philippsburg et la discussion qui avait suivi.
« Nous faisons tout notre possible, lui assura une collaboratrice du ministère de l’Environnement, de l’Écologie et de la Sûreté nucléaire. Le dernier rapport, arrivé il y a une heure, fait état d’une faible émission de vapeur radioactive. Les populations dans un rayon de cinq kilomètres ont été confinées dans leurs domiciles et dans les hébergements d’urgence.
— Les autres centrales nucléaires ont-elles assez de diesel ? » aboya le chancelier. Comme la femme tardait à répondre, les mains de Michelsen se mirent à trembler.
« Quoi ? demanda le chancelier.
— Manifestement, il y a eu un grave accident dans la centrale de Brokdorf, sur l’Elbe. On ne sait pas encore ce qu’il s’est passé précisément.
— On ne sait pas encore ce qu’il s’est passé précisément ? explosa le chancelier. Mais qu’est-ce qu’ils savent, alors, ces exploitants ? Hein ? Ils ignorent qui a infecté le réseau, pourquoi leurs centrales sont en rade, quand la production reprendra… Ils ne savent rien ! Je veux voir les directeurs de l’exploitation de ces centrales ici, ou à l’écran, et tout de suite !
— Je… je m’en occupe », répondit la fonctionnaire.
Le chancelier ferma brièvement les yeux et les rouvrit.
« Pardonnez-moi, pria-t-il. Vous n’y êtes pour rien. J’espère que c’était tout ? »
La femme se mordit les lèvres.
De nouveau, il ferma les yeux.
« Dites-moi.
— La centrale française de Fessenheim, sur le Rhin, fait part également d’un grave accident en raison d’avaries sur son système de refroidissement. »
Elle désigna un emplacement sur la carte d’Europe accrochée au mur, à la frontière franco-allemande, non loin de Stuttgart. « D’après l’Organisation internationale de l’énergie atomique, ils ont laissé s’échapper un peu de vapeur radioactive. D’après les exploitants, il n’y aurait aucune raison d’évacuer. Pour l’instant. D’après les protocoles de sécurité, ça pourrait concerner une zone de vingt-cinq kilomètres. C’est-à-dire pratiquement un demi-million de personnes, dont Fribourg.
— Un demi-million…, soupira le chancelier.
— Et Temelín, compléta la fonctionnaire. Là-bas, comme à Saint-Laurent, la fusion du cœur n’est plus loin… Les autorités tchèques ont commencé l’évacuation. La centrale se trouve à quatre-vingts kilomètres de la plus proche frontière allemande. Un vent de nord-ouest souffle en ce moment. La radioactivité sera poussée vers l’Autriche.
— Jusqu’à ce que le vent tourne », gémit le chancelier.
Bruxelles
La porte de la cellule s’ouvrit dans un cliquetis. Angström fut la première à le remarquer puisque, contrairement aux autres, elle n’essayait pas de regarder dans la cour depuis la fenêtre.
Elle agrippa Shannon.
« Ils ont ouvert ! » dit-elle en tirant l’Américaine dans le couloir. Elles furent presque piétinées par la foule. Elles descendirent l’escalier dans la cohue, et ne s’arrêtèrent qu’une fois dehors. La fusillade avait cessé. Des centaines de détenus s’échappaient des quartiers pour hommes. De la fumée et des flammes sortaient de la plupart des fenêtres.
« On est censées attendre jusqu’à ce qu’ils soient partis ? demanda Shannon. Des centaines de délinquants et de criminels endurcis…
— Non, répondit Angström. Dans ce bordel, on passera inaperçues. Viens ! »
Elles se mirent à courir. Angström priait pour que la fusillade ne reprenne pas.
Elles atteignirent la porte principale sans être inquiétées. Elle était grande ouverte. Les détenus disparaissaient dans les rues, s’évadant dans toutes les directions.
« Où sommes-nous ? s’inquiéta Shannon qui courait dans les pas de la Suédoise.
— En banlieue.
— Et on fait quoi ?
— On va déjà essayer d’arriver chez moi. La police n’y viendra pas de sitôt. Elle en a des pires à rattraper. »
La Haye
Hartlandt ne comprenait que difficilement ce que Bollard lui disait par téléphone satellitaire. Il était retourné à Ratingen, tandis que le GSG-9 inspectait d’autres planques des malfaiteurs.
« Nous avons identifié ces types, expliquait-il. Des mercenaires, tout ce qu’il y a de plus classique. Un Sud-Africain, un Russe et un Ukrainien. On les trouve dans les bases de données de nombreux services. L’un a travaillé pour Blackwater en Irak, les deux autres y étaient avant lui.
— Est-ce qu’on a pu interroger le survivant ? demanda Bollard.
— Non. Il a été touché à une dizaine de reprises. Il a trois balles dans la tête. Il est dans le coma. On n’en tirera plus rien.
— Et à part ça, quelque chose ?
— Très bientôt. Dans la voiture, on a trouvé une carte avec l’itinéraire prévu, les objectifs et les planques pour le ravitaillement. Mais on n’a retrouvé aucun appareil de télécommunication, ni sur ces hommes ni dans les caches. En ce moment, plusieurs services secrets étrangers ainsi que les nôtres examinent le passé proche de ces mercenaires et leurs finances. Personnellement, je les aurais payés en cash… mais qui sait ? Comment dit-on, déjà ? Follow the money . »
Bruxelles
Manzano claudiquait dans les rues, aussi vite que sa jambe le lui permettait. Au loin, il entendait les sirènes des véhicules d’intervention. Dans les premières minutes de sa fuite, son comportement n’avait obéi qu’à une sorte d’instinct grégaire. Maintenant, sa raison reprenait le dessus. Il lui fallait de nouveau dénicher une cachette, puis il devrait tenter de trouver une connexion Internet pour examiner plus précisément la page RESET. Cette pensée ne le quittait plus. Il réfléchissait à l’endroit où aller. Il ne connaissait personne dans cette ville. Hormis Sonja Angström. Les filles avaient-elles pu également s’évader ? Dans la précipitation, il n’y avait pas prêté attention.
Il devait tenter le tout pour le tout. Il connaissait l’adresse de la Suédoise depuis qu’elle lui avait laissé sa carte de visite à La Haye. Il lui fallait trouver un passant pour lui indiquer le chemin. Et un moyen de transport, au cas où son domicile serait loin d’ici. Il examinait chaque vélo cadenassé à un panneau signalétique ou à un parking pour deux roues. Après plusieurs tentatives, il en trouva un dont le propriétaire avait été négligent.
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