— …dix jours, termina l’Américaine.
— La datation de ce chat commence au jour 0 du black-out.
— Alors cette discussion remonte à ce matin.
— Si nous ne nous sommes pas plantés.
— Mais de quoi il s’agit, on ne sait pas encore… »
Manzano ferma la fenêtre et retourna à la liste.
« Là, il y a des conversations très variées.
— À propos de conversations, résonna une voix dans l’encadrement de la porte. La police aimerait en avoir une avec vous. »
Angström se retourna ; Nagy, le directeur du MIC, en compagnie de trois brutes arborant l’uniforme du service de sécurité, et de quelques collègues curieux. Avant qu’Angström n’ait pu dire quoi que ce soit, ils entrèrent. Du coin de l’œil, elle vit Manzano taper frénétiquement sur son clavier avant de refermer son portable. Au même instant, un des vigiles s’empara de lui, tandis qu’un autre s’occupait de la journaliste américaine. Ils leur firent de si violentes clefs de bras que la jeune femme cria de douleur.
« Qu’est-ce qu’ils font là, tous les deux ? demanda Nagy, de glace. Ils ne travaillent pas pour notre service informatique.
— Non, cria Manzano. Mais je viens de trouver… »
Le vigile lui tordit davantage le bras, le réduisant au silence — son visage se déchira sous la douleur.
Angström ne savait que dire. Lorsque l’Italien était apparu devant elle, elle s’était réjouie de le revoir, plus encore qu’elle n’avait osé se l’avouer, malgré son apparence rebutante. « Cet homme nous a permis, à nous tous ainsi qu’à Europol, de découvrir les causes réelles du black-out… », se lança-t-elle, la voix tremblotante. Ce manque d’assurance ne lui ressemblait pas. Elle s’efforça de recouvrer ses moyens. « … il y a quelques minutes, il a découvert un portail de communication des agresseurs. »
Avant même d’avoir fini sa phrase, elle fut prise d’un trouble ; et si, peut-être, l’Italien connaissait depuis le début l’existence de cette interface ? L’avait-il menée en bateau ?
Nagy fit un signal aux vigiles. Ils conduisirent Lauren et Piero à l’extérieur.
« Écoutez-moi, monsieur Nagy, tenta Angström, je crois que tout ça est vraiment très… »
Le directeur fit un signe du chef au troisième garde.
« … important. »
La Suédoise se tut lorsqu’il la prit sans ménagement par le bras.
« Vous expliquerez ça à la police. »
Eurocopter EC 155
Les troupes au sol avaient communiqué l’itinéraire. La nuit était tombée lorsque l’Eurocopter EC 155 arriva sur zone. Il volait à haute altitude afin de n’être pas remarqué par les fuyards. Au moyen des lunettes infrarouges montées sur son casque, Hartlandt tentait de repérer le véhicule sur la route de campagne qui s’étirait sous eux, comme un étroit sentier. Il portait un gilet pare-balles.
« Je l’ai, annonça le copilote. À une heure, à environ deux cents mètres.
— On descend », ordonna le commandant.
À partir de ce moment, tout était censé se dérouler avec la plus grande précision. En quelques secondes, les pilotes devaient amener leur appareil au niveau de la route afin que les fugitifs ne soient pas avertis par les bruits du rotor trop longtemps avant l’assaut.
Hartlandt voyait la route devenir subitement plus grosse tandis que l’autre hélicoptère se livrait à une manœuvre identique. Il remonta sa lunette infrarouge.
Alors qu’ils étaient encore à soixante mètres du véhicule, les pilotes allumèrent leurs projecteurs, dont la lumière vive inonda la campagne.
Hartlandt réalisa que la voiture avait brusquement ralenti tandis que les hélicoptères continuaient leur descente. Son estomac remonta lorsque le pilote bloqua subitement son appareil à quelques mètres au-dessus du sol, derrière le véhicule suspect. L’autre appareil avait barré la route au Transporter, étincelant dans le halo clair des projecteurs. Les feux stop s’allumèrent, le chauffeur manœuvra adroitement pour effectuer un demi-tour et foncer alors en direction de l’hélicoptère de Hartlandt.
Le pilote ne fit pourtant pas mine de bouger, perdit même encore de l’altitude, les patins d’atterrissage affleurant le bitume. L’utilitaire pila si sèchement que toute sa partie arrière se souleva. Les hommes du GSG-9 sautèrent de l’hélicoptère dans la lumière des phares du véhicule immobilisé.
Hartlandt, malgré les épaisses semelles de ses rangers, sentit le choc violent contre l’asphalte.
Des tirs crépitèrent à côté du Transporter. Il quitta la route, se soustrayant ainsi au halo des projecteurs.
« Ne tirez-pas ! cria-t-il. Halte au feu ! »
L’inspecteur recevait les ordres courts et secs du commandant dans les écouteurs de son casque.
Les phares de la camionnette étaient maintenant éteints, les projecteurs des hélicoptères illuminaient le véhicule criblé de balles. À côté de la portière du conducteur gisait un corps sans mouvement. Les membres de l’équipe du second appareil étaient accroupis au coin du Transporter pour assurer une couverture. L’un deux gagna le cadavre, poussa une arme sur le côté, palpa rapidement le corps à la recherche d’autres armes — les autres sécurisaient la cabine.
Au même instant, de l’autre côté du véhicule, on cria « sécurisé ! ».
Hartlandt se releva pour s’en approcher en courant.
« Une cible éliminée ! » retentit une voix dans son casque.
L’homme couché sur la route avait bel et bien l’air mort. Le haut de son corps et sa tête portaient de nombreux impacts de balles, on ne pouvait reconnaître qu’une moitié de son visage. En colère, le policier passa de l’autre côté du véhicule. Ses collègues n’avaient guère eu le choix ; les suspects avaient tiré en premier. Dans de telles situations, impossible de neutraliser proprement ce genre d’individus. À côté de la roue avant gauche gisait un autre homme, au teint hâlé, dans la même position. Le troisième se trouvait à quelques mètres, dans un champ. Deux policiers étaient à ses côtés, un autre s’y précipitait avec une trousse de premiers secours. Lui aussi avait reçu plusieurs projectiles. Hartlandt songea, à en croire ses traits, qu’il devait s’agir d’un ressortissant d’Europe centrale — il ne pouvait dire, pour l’instant, de quelle couleur étaient ses cheveux courts.
Une partie de l’équipe d’intervention avait ouvert les portes latérales. Ils trouvèrent à l’intérieur de l’utilitaire des dizaines de jerrycans et de paquets. Hartlandt misa sur des produits incendiaires et explosifs. Dans une grande boîte étaient rangés des vivres et des sacs de couchage. À en croire les restes de leurs stocks, la fin de leur périple devait être proche, à moins qu’ils ne soient à proximité d’un point de ravitaillement.
D’autres policiers inspectaient la cabine. Ils y trouvèrent deux ordinateurs portables qu’il faudrait examiner minutieusement. Leur découverte la plus intéressante fut une carte routière d’Europe centrale. La route des terroristes était tracée au marqueur violet. Il leur restait encore deux étapes en Allemagne, avant de filer vers l’Autriche, puis la Hongrie et la Croatie, où s’arrêtait la carte. Ils mettraient bien la main sur la suite de l’itinéraire. Hartlandt déchiffra rapidement les trois symboles ponctuant le roadbook .
« Ça, ce sont les postes de transformation », expliqua-t-il en désignant de petits carrés, dont le plus septentrional se trouvait au Danemark, suivi par un second à Lübeck, la première cible en Allemagne. « Ils y ont mis le feu. Les triangles figurent les pylônes de lignes à haute tension. Ceux-là, par exemple, entre Brême et Cloppenburg, ont été détruits. En revanche, aucun dommage ne nous a été signalé aux endroits marqués d’un cercle. Selon moi, il s’agit de points de ravitaillement pour les vivres et les munitions.
Читать дальше