— Non. Mais rassure-toi, tu peux être certain qu’en ce moment, tous les services de renseignement d’Europe, des États-Unis, et de tous les pays amis, passent au peigne fin chaque contact de Dragenau et de Pucao.
— Si tant est qu’ils soient encore en mesure de le faire…, soupira Christopoulos. Si les États-Unis vivent la même chose que nous, ils auront bien du mal à les trouver. Non pas parce qu’ils sont terroristes, mais parce qu’ils dorment sur des matelas dans un palais des sports ou des congrès, parmi des milliers d’autres, ou qu’ils font la queue pour manger. »
Bruxelles
« Je n’y crois pas, murmura Manzano.
— Quoi ?
— Le champ utilisateur, expliqua-t-il. Il est vulnérable. Je peux pratiquement, sans saisir de nom d’utilisateur, passer outre pour tomber sur des données de la page web.
— Comment ça se fait ?
— Mauvaises procédures de sécurité des responsables.
— Et c’est quoi ces données ?
— On va voir. »
Une longue liste s’afficha.
blond
tancr
sanskrit
zap
erdeux
cuhao
proud
bakou
tzsche
b. tuck
sarowi
simon
…
« C’est quoi ?
— Avec un peu de chance, nous avons sous les yeux une liste des utilisateurs de cette page web, dit Manzano. Puis nous allons bientôt voir la liste des mots de passe. »
Il téléchargea les fichiers sur son disque dur et, au bout de quelques secondes, il pouvait les ouvrir.
Apparut alors un enchevêtrement de chiffres et de lettres.
Downloaded table : USERS
sanskrit : 36df662327a5eb9772c968749ce9be7b
sarowi : 11b006e634105339d5a53a93ca85b11b
tzsche : 823a765a12dd063b67412240d5015acc
tancr : 6dedaebd835313823a03173097386801
b. tuck : 9e57554d65f36327cadac052a323f4af
blond : e0329eab084173a9188c6a1e9111a7f89f
…
« Regarde ! Regarde ! » se contenta de répéter Manzano.
On frappa. La porte s’ouvrit. Manzano saisit l’ordinateur pour pouvoir le fermer en un éclair si nécessaire.
Angström apparut.
« Tu nous as fait peur ! fit l’Italien.
— Vous faites des trucs illégaux ?
— Non, non… nous trouvons juste des choses très intéressantes.
— Venez, fit Shannon. C’est sidérant, ce qu’il trafique. Même si je pige que dalle… »
La Suédoise regarda l’écran.
« C’est ouvert à tous vents…, observa-t-elle.
— Oui, c’est bien ce que je crois, concéda Manzano. Comment peut-on prendre aussi peu de précautions. Regardez-moi ça. Il désigna les premières lignes. Voici les noms d’utilisateurs de cette page web. C’est évident qu’ils ne sont pas protégés. Ça veut dire qu’on peut déjà remplir le champ d’en haut. Les suites alphanumériques à côté, ce sont les mots de passe — ou, et c’est bien le problème —, pour être plus précis, c’est le “hash” des mots de passe, c’est-à-dire leur cryptage.
— Ça nous avance pas beaucoup, remarqua Shannon.
— Ça dépend, répondit Manzano, dont les doigts s’étaient remis à danser sur le clavier. Si les responsables ont fait un travail suffisamment propre, alors, oui, on n’ira pas plus loin. Mais on est toujours étonné par la négligence des professionnels, y compris dans ce domaine. »
On frappa de nouveau à la porte. Angström se tourna nerveusement, y alla, l’ouvrit, sans pour autant permettre l’entrée dans la pièce. Manzano reconnut l’homme aux lunettes design.
« Ah… vous êtes encore là…, constata-t-il.
— C’est moi qui les ai appelés. C’est l’informatique », justifia Angström.
Manzano remarqua que l’importun tentait de regarder par-dessus l’épaule de son amie pour voir ce que lui-même et la journaliste trafiquaient ici.
« Assistance informatique, fit l’homme. Quand j’ai besoin d’eux, je peux attendre deux semaines, et toi… tu me donneras ta technique…
— Oui, oui. »
Il jeta un dernier coup d’œil puis disparut.
La Suédoise, après avoir refermé la porte, regagna le bureau.
« Il voulait quoi ?
— Il est bien curieux, non ?
— Je le suis aussi, confia Shannon. Et comment tu veux accéder aux mots de passe ?
— Je mise sur des faiblesses humaines. Tout d’abord, j’espère que les programmeurs n’ont pas mis en place d’autres mécanismes de sécurité. Puis j’espère aussi que quelques-uns des utilisateurs ont été trop feignants pour créer des mots de passe longs ou compliqués. Plus un mot de passe est court et simple, moins l’ordinateur a de possibilités à étudier pour le craquer.
— Mais ça doit quand même faire pas mal de possibilités, non ?
— C’est pour ça qu’il y a des rainbow tables .
— J’ai l’impression d’entendre un neurologue…, dit Angström.
— Eh ! Eh ! C’est justement le système nerveux de notre société qui m’intéresse.
— Encore un tas de chiffres », constata Shannon.
L’utilisation de la rainbow table pour décrypter les mots de passe avait produit une longue liste :
36df662327a5eb9772c968749ce9be7b : NunO2000
1cfdbe52d6e51a01f939cc7afd79c7ac : kiemens154
11b006e634105339d5a53a93ca85b11b :
99a5aa34432d59a38459ee6e71d46bbe :
9e57554d65f36327cadac052a323f4af : gatinhas_3
59efbbecd85ee7cb1e52788e54d70058 : fusaomg
823a765a12dd063b67412240d5015acc : 43942ac9
6dedaebd835313823a03173097386801 :
8dcaab52526fa7d7b3a90ec3096fe655 : 0804e19c
32f1236aa37a89185003ad972264985e : plus1779
794c2fe4661290b34a5a246582c1e1f6 : xinavane
e0329eab084173a9188c6a1e9111a7f89f : ribrucos
« Regardez plus précisément ici, les incita Manzano.
— À la fin de certaines lignes, il y a des trucs plus courts, se lança Angström. On dirait des…
— … mots de passe. Et ils n’en ont pas que l’air. Ce sont des mots de passe : NunO2000, kiemens154, gatinhas_3, fusaomg, etc. Et, comme vous pouvez le voir, la plupart sont relativement courts, ou il s’agit de ceux qui ne combinent que des minuscules et des majuscules, ou de tous ceux qui sont relativement simples pour d’autres raisons. Et la chance est avec nous ; il n’y avait pas d’autres protocoles de sécurité.
— Ça veut dire que maintenant tu peux te connecter à la page à laquelle ta machine a transmis des données toutes les nuits ?
— C’est bien ce que je vais faire. »
Manzano ouvrit la page en question et se connecta avec les identifiants idoines.
Utilisateur : blond
Mot de passe : ribrucos
« Enter. »
« Encore des listes, des tableaux, remarqua Shannon. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça, par exemple ? »
Elle pointa une ligne.
tancrtopic 93rm4n h4rd $4b07493
« On dirait du leet speak . C’est un code de hacker. Ça veut dire “ topic german hard sabotage ”. On va regarder ce que ça cache. Tancr confirme certaines actions. Puis il se dit ravi que tout fonctionne selon les plans.
— Et tu peux nous traduire ce qui fonctionne selon les plans ?
— On doit en lire davantage, et on trouvera sans doute. »
Il scrolla, faisant apparaître des centaines de lignes.
« Intéressant. Au début de chaque nouvelle discussion, il y a une date. Pour la première, c’était lundi. Le trois…
— Mais le dernier trois, c’était pas un lundi.
— Exact. Pour la dernière, on a dimanche. Le dix.
— C’est aujourd’hui dimanche, rectifia Shannon.
— Et c’est pas le dix, ajouta Angström.
— Attendez, attendez, les pria Manzano. Laissez-moi réfléchir. »
Il compta en silence.
« Vendredi de la semaine dernière, le courant a été coupé. C’est à dire, jusqu’à aujourd’hui…
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