« Un joli son. Et de l’essence dans le réservoir, même. »
Avant qu’ils puissent réagir, il ferma la portière et avança dans une grange dont la porte était ouverte.
Lorsqu’ils coururent pour le rejoindre, l’homme était déjà descendu et il pointait l’arme sur eux.
« Disparaissez !
— Mais, vous ne pouvez pas…, s’écria Shannon en anglais. Manzano la retint.
— Oh ! Que si, je peux.
— Nos affaires, fit l’Italien. Donnez-nous au moins les affaires qui sont dans l’auto. »
L’homme réfléchit rapidement, puis prit le sac marin de Shannon sur la banquette arrière pour le jeter à ses pieds.
« L’ordinateur, aussi, pria Manzano, qui s’empressa d’ajouter : mais ne le jetez pas ! »
Il fit quelques pas vers la voiture, l’homme leva son arme, Manzano stoppa.
Il tira l’ordinateur de sous le siège passager où il avait glissé.
« Et maintenant, foutez-moi le camp ! »
Il ferma la porte de la grange de l’intérieur.
Lauren et Piero se regardèrent, interloqués, firent quelques pas vers la porte d’entrée de la ferme restée grande ouverte et d’où émanait une faible lueur.
« Quel connard ! » siffla Shannon. Une ombre apparut dans la porte.
« Dégagez, j’ai dit ! » cria-t-il. Puis un claquement déchira le silence. Terre et gravillons ricochèrent sur le sol devant Manzano.
« Merde ! » jura-t-il en faisant un bond en arrière. Lorsque le coup suivant tomba devant Shannon, elle prit l’Italien par l’épaule et le tira en arrière.
« Et ne revenez pas ! hurlait l’homme. La prochaine fois, je viserai mieux ! »
La Haye
« C’est dégoûtant ! »
Louise mit un coup de cuillère dans la salade de patates que Bollard avait rapportée de l’hôtel Gloria.
« Y a rien d’autre, répondit son père.
— Je veux des spaghetti ! »
Marie fit les gros yeux. Les médicaments avaient contribué à faire baisser la fièvre.
« Tu vois bien que la cuisinière ne marche pas ! Comment voudrais-tu faire des pâtes ? Dans la cheminée du salon ? »
Bollard songeait que tout n’allait pas si mal pour les enfants : ils n’avaient pas école, passaient leurs journées à jouer, sans compter qu’à cause de cette situation catastrophique, sa femme et lui-même n’avaient jamais été aussi présents et prévenants.
« Je m’en fiche ! Et je veux regarder la télé !
— Louise, ça suffit !
— Non ! Non ! Non ! »
Elle sauta de sa chaise et se mit à trépigner au milieu de la cuisine avant de la quitter.
Marie jeta un regard désespéré à son époux. Il se leva et suivit sa fille. Elle s’était assise dans le salon, devant l’âtre où crépitaient les flammes. Elle coiffait une de ses poupées avec concentration. Seules ses lèvres crispées trahissaient le chagrin qu’elle tentait de contenir.
Bollard s’assit sur le sol, face à elle.
« Écoute, chérie… »
Louise baissa la tête, fronça les sourcils, se renfrogna davantage et se mit à peigner sa poupée avec plus d’entrain encore.
« Je sais bien que ce n’est pas facile en ce moment, mais nous sommes tous… »
Il écoutait les légers sanglots de sa fille, regardait ses épaules frissonner. Il ne lui connaissait pas cette manière de pleurer. Ce n’était pas seulement de la colère et de l’obstination. Les enfants, sans doute, ne comprennent pas tout ce qui se passe, mais ils le ressentent, pensa-t-il. Notre dénuement, notre tension, nos angoisses. Bollard lui caressa les cheveux et la prit dans ses bras. Son corps d’enfant était secoué de spasmes, des larmes coulaient sur la chemise de son père qui continuait de la serrer contre lui, en la berçant tendrement.
Nous sommes tous dans le même état, trésor, se dit-il, nous sommes tous dans le même état.
Entre Cologne et Düren
À la lumière de la lune apparurent les contours d’une cabane au milieu d’un champ. Elle mesurait environ cinq mètres sur cinq, était dépourvue de fenêtres, la porte était ouverte.
Lauren farfouilla dans son sac et mit la main sur les allumettes qu’elle avait pris soin de prendre à Paris. Elle en craqua une et éclaira l’intérieur. Autant qu’elle pouvait en juger à la lumière faible et vacillante de l’allumette, la cabane, hormis quelques vieux piquets de clôture et un peu de foin, était vide.
« Il ne fait pas plus chaud ici, remarqua-t-il.
— On va changer ça. »
À travers un large trou dans la toiture, on voyait rayonner la lune. Quelques minutes plus tard, en réunissant un peu de paille et quelques bouts de bois, elle avait allumé un petit feu, faisant danser des ombres étranges sur les murs. L’Italien s’était accroupi auprès du foyer où il réchauffait ses mains.
« C’est génial, la félicita-t-il. Où as-tu appris ça ?
— Aux scouts. Qui aurait pensé que ça pourrait me servir un jour ? »
Elle savait qu’il n’était pas sans danger de dormir près d’un feu. Des étincelles pouvaient embraser toute la cabane, ou la fumée les asphyxier.
Un long moment, sans dire un mot, ils regardèrent les flammes.
« Quelle connerie », lâcha Manzano.
L’Américaine ne rebondit pas.
« J’ai un truc qui ne veut pas me sortir de l’esprit, continua l’Italien. Quels sont les buts de ces pirates qui retirent la sève de nos civilisations ? C’est ça qu’ils veulent ? Que nous nous volions et massacrions les uns les autres ? Que nous nous comportions comme des hommes préhistoriques ?
— Alors ils ont réussi », fit Shannon amèrement. Elle se leva et sortit de son sac quelques vêtements. Le peu qu’elle avait.
« Ça nous fera un matelas.
— Ça n’a pas réussi à tout le monde.
— Quoi ?
— Que nous nous comportions comme des hommes préhistoriques. Merci. »
Manzano plia deux t-shirts et un pull-over en guise d’oreiller. Shannon l’imita avec un pantalon. Ils se couchèrent côte à côte, le regard vers le foyer. Shannon avait froid dans le dos, mais pas autant qu’à l’extérieur. L’Italien dormait déjà.
Elle jeta un dernier coup d’œil au feu, d’où jaillissaient de petites étincelles ardentes. Elle ferma les paupières, espérant qu’ils se réveilleraient le lendemain matin.
Ratingen
« Dragenau n’était pas Dragenau », dit Hartlandt. Dienhof était présent, ainsi que toute la direction de Talaefer AG, même Wickley. « En tout cas pas à l’hôtel où il s’est enregistré sous le nom de Charles Caldwell. Ça dit quelque chose à l’un d’entre vous ? »
Toute l’assemblée fit non de la tête.
« Ma thèse, c’est que Dragenau est notre homme. Il n’est pas allé à Bali en vacances, mais pour se planquer. Pour sa malchance, et la nôtre, ses complices ou ses commanditaires ne lui ont plus fait confiance. Ils l’ont réduit au silence. Dommage pour nous qu’il ne puisse plus parler.
— Pures spéculations, s’agaça Wickley. Et si le mort était bien ce Charles Caldwell ? Et pourquoi Dragenau aurait-il fait pareille chose ?
— Pour le fric, répondit Hartlandt.
— Par fierté mal placée, glissa Dienhof. Une vengeance bien tardive. »
Wickley lui adressa un regard agacé.
« Et pourquoi donc ? voulut savoir l’inspecteur.
— Il y a plusieurs années, soupira Wickley, alors qu’il était encore étudiant, Dragenau avait monté une boîte de logiciels d’automatisation. C’était un esprit brillant, mais un piètre entrepreneur. Malgré ses produits, qui étaient excellents, il n’a jamais réussi à faire de l’argent. Pendant quelque temps, il a compté parmi nos concurrents mais, sur la durée, il n’avait aucune chance face à Talaefer. À la fin des années 1990, il nous a vendu son entreprise. Elle était endettée, et Talaefer n’y était pas pour rien, en raison de différents conflits juridiques. L’achat de sa boîte était en premier lieu un moyen de récupérer l’esprit brillant de Dragenau. Il est devenu notre responsable de l’architecture système.
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