Bollard répéta le nom tout en fouillant dans sa mémoire.
« C’est le responsable produit de Talaefer que recherchent les Allemands. »
Ils comparèrent les photos de l’homme avec celles du mort.
« Elles sont vraiment semblables, constata Bollard. Des informations à propos des meurtriers ou des suspects ?
— Aucune. On n’a trouvé ni argent, ni objets de valeur, ni papiers d’identité sur lui. C’est peut-être un crime crapuleux tout à fait banal.
— Doit-on croire à un hasard ? demanda Bollard. L’une des rares personnes qui pourrait être responsable d’un possible travail de sape au sein de l’un des plus importants producteurs de systèmes SCADA part en voyage quelques jours, loin d’une coupure d’électricité dévastatrice qu’il pourrait avoir orchestrée partiellement, loin de l’Europe, et est retrouvé assassiné quelques jours plus tard… Quoi qu’il ait pu savoir, il ne parlera plus. »
Il se redressa.
« Je ne crois pas au hasard. Hartlandt doit faire de la mort de ce Dragenau sa priorité et fouiller dans les moindres recoins de son existence ! »
Entre Düsseldorf et Cologne
Les phares de la Porsche déchiraient l’obscurité.
« Merde, jura Manzano.
— Quoi ? »
Elle entendit tapoter nerveusement. Voilà une demi-heure que l’Italien était penché sur son ordinateur, dans la plus grande concentration. Il murmurait des propos incompréhensibles, entrecoupés de cris de surprise.
« Qu’est-ce qu’il y a ?
— C’est une adresse IP, expliqua Manzano, excité. Nous avons besoin de courant. Et d’une connexion Internet. Urgemment.
— Pas de problème, railla Shannon. Y en a partout. À plus savoir qu’en foutre.
— C’est sérieux, insista-t-il. Chaque nuit, à une heure cinquante, mon ordinateur envoie des données à une adresse IP. Adresse IP, ça te dit quelque chose ?
— IP pour Internet Protocol. Un peu comme l’adresse d’un ordi sur un réseau.
— Tout à fait. En principe, on peut localiser tous les ordinateurs avec ça. Et le mien a envoyé des données à une adresse que je ne connais pas. Sans que j’aie fait quoi que ce soit ni que j’en sois informé. Je suppose alors qu’il est entré par le réseau d’Europol.
— Tu veux dire des flics d’Europol ?
— J’en sais rien. J’aurais besoin d’une connexion Internet pour en savoir plus. »
Il se frappa le front de la main.
« Piero idiot ! Je sais où nous devons aller ! »
Il se pencha et examina le navigateur.
« Tu sais comment ça marche ?
— On doit aller où ?
— À Bruxelles. »
Shannon tapota quelques boutons avant d’obtenir un itinéraire et une distance.
« Deux cents kilomètres, remarqua-t-elle en jetant un coup d’œil à la jauge. On a assez d’essence. Pourquoi Bruxelles ?
— Je connais quelqu’un là-bas.
— Avec du courant et une connexion Internet ?
— Si le Monitoring and Information Centre de la Commission européenne n’a ni courant ni Internet dans une telle situation, nous l’avons vraiment profond. Désolé pour l’expression.
— Pas de souci. Deux heures, d’après le GPS.
— Mais d’abord, il faut que je mange.
— Ah ? Où ? »
Bruxelles
Angström engloutit précipitamment un bout de pain, tandis que les autres entraient dans la salle de réunion. Zoltán Nagy, le patron de l’EUMIC, arriva en dernier. Sans perdre de temps en d’inutiles palabres, ils en vinrent au fait.
« On peut oublier l’aide des États-Unis, affirma-t-il. Et ce n’est pas tout : celle des Russes, des Chinois, des Turcs, des Brésiliens et d’autres États doivent dorénavant être partagées entre les États-Unis et l’Europe. »
Un silence perplexe s’installa pendant quelques secondes. Puis ils en vinrent à l’ordre du jour et aux rapports les plus récents.
« Le haut commandement de l’OTAN a invoqué la clause de défense mutuelle, dit Nagy d’une voix sombre. C’est destiné à des agresseurs particulièrement déterminés. Cependant, pas plus qu’avant, on ne sait qui est responsable de cette attaque. »
Angström pensa à Piero Manzano. Elle n’en avait plus entendu parler. Parvenait-il à aider Europol ?
L’Organisation atomique internationale avait placé l’accident de Saint-Laurent en sixième catégorie, un degré seulement au-dessous du niveau de Tchernobyl et de Fukushima.
« Le périmètre d’évacuation a été agrandi de trente kilomètres, expliquait un collaborateur à la voix contenue. Ainsi, des villes comme Blois, entre autres, ou des quartiers d’Orléans sont touchés. La zone autour de la centrale, dont des parties de la vallée de la Loire, inscrites au patrimoine mondial de l’humanité, sont probablement inhabitables pour des décennies, voire des siècles. La France nous a officiellement demandé de l’aide. Le Japon a proposé d’envoyer des experts.
— Ils doivent s’y connaître, plaisanta quelqu’un.
— Un scénario semblable menace les environs de la centrale de Temelín, dont la situation a atteint le degré 4 de l’échelle INES », continua le fonctionnaire.
L’Agence internationale de l’énergie atomique recensait sept centrales en Europe rencontrant des avaries de niveau 1 ou 2.
« Certes, cela ne nous concerne pas en premier lieu, mais la centrale américaine Arkansas One est victime d’un grave accident ; on y signale un manquement des générateurs de secours. »
Ils ne savaient que peu de choses des effets subis par les populations européennes. Ils ne pouvaient se fier avec certitude qu’à ce qui se passait à Bruxelles, à ce qu’enduraient leurs proches et leurs familles. La solidarité générale était dorénavant fortement ébranlée. Si, voilà quelques jours, des inconnus se prêtaient main-forte, dorénavant les gestes d’entraide ne s’inscrivaient plus que dans un cercle familial ou amical très restreint.
« Des émeutes et des pillages ont été signalés dans de très nombreuses villes », fit une collaboratrice.
En aucun cas des nouvelles rassurantes, songea Angström, abattue. La situation était aussi noire que la nuit derrière les fenêtres.
Entre Düsseldorf et Cologne
« Là, devant, de la lumière », observa Manzano.
Shannon y dirigea la voiture. Un étroit chemin goudronné partait de la route. Elle l’emprunta jusqu’à ce qu’apparaisse une ferme. Au rez-de-chaussée, trois fenêtres étaient éclairées. Ils s’arrêtèrent et descendirent. Les occupants devaient les avoir entendus, puisque quelqu’un ouvrit la porte. Ils n’aperçurent qu’une silhouette.
« Que voulez-vous ? demanda l’homme, un fusil braqué sur eux.
— Nous cherchons quelque chose à manger, je vous en prie », baragouina Manzano.
L’homme les regarda, l’air méfiant.
« D’où venez-vous ?
— Je suis italien, et elle, c’est une journaliste américaine.
— Belle bagnole que vous avez là. L’homme désigna la Porsche du canon de son arme. Et elle roule, en plus. Je peux la voir ? »
Il fit un pas, baissa son arme.
Shannon hésita, puis l’accompagna jusqu’à la voiture.
« Je me suis encore jamais assis dans une telle voiture, dit-il. Je peux ? »
Shannon ouvrit la portière, il s’assit au volant. Manzano s’était approché de la journaliste.
« La clef », intima l’homme en tendant une main. Comme la jeune femme ne réagit pas sur le champ, il pointa son fusil sur elle.
« La clef », répéta-t-il.
Shannon la lui tendit.
L’homme la prit et mit le contact. Il laissa la portière ouverte, le fusil sur ses genoux, de telle manière qu’il était toujours braqué en direction de la journaliste.
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