— Aucun système ne sera jamais totalement sûr, fit le directeur technique. Mais nous allons déjà bien plus loin que tous les standards industriels.
— Ça a toujours été l’argument de l’industrie atomique, jusqu’au prochain accident majeur, et de la finance, jusqu’au prochain crash. À la suite de cette attaque contre les systèmes, il n’y aura plus qu’une seule question concernant l’approvisionnement énergétique dans les années à venir : la sécurité, la sécurité en termes d’approvisionnement. La protection de l’environnement et le dérèglement climatique passeront aux oubliettes. L’Europe pourra s’estimer heureuse si elle parvient à se remettre sur pieds. La sécurité n’a jamais été un thème aussi important que depuis le début de ce siècle.
— Mais… bien sûr que si. C’était même ce film d’action…, objecta Hensbeck.
— Je sais auquel vous pensez, Die Hard 4 . Une histoire débile…
— Mais on parlait déjà de ça.
— Oui, et nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous-mêmes ; par le passé, on a écarté ces dangers, on les a pris pour les élucubrations d’oiseaux de mauvais augure. Les responsables n’ont été conscients du réel caractère explosif de la chose que depuis quelques années. Et c’est aussi une question de coûts. La sécurité a un prix.
— Comme on peut le voir, ça coûte encore plus cher de ne pas payer. »
La Haye
Shannon avait monté son sujet et le mettait en ligne. La télévision était allumée.
Manzano entra dans la pièce.
« Quoi de neuf ? »
Il se laissa tomber sur le lit, ouvrit son ordinateur portable et, tandis que sa machine s’allumait, suivit ce qui se passait à la télévision.
« Hmmh… », répondit Shannon, déconcentrée, jetant un coup d’œil à l’ordinateur de l’Italien dont le dos était paré d’un étrange autocollant vert.
Les nouvelles en provenance de Saint-Laurent étaient mauvaises. Sur des images floues en raison de l’éloignement, on voyait la centrale d’où montait de la fumée.
« Ce que nous voyons ne provient pas des tours de refroidissement, disait une journaliste. Depuis l’explosion de ce midi, la situation reste imprécise… »
Pendant ce temps, Manzano suivait le continu sur Internet. Il se limitait aux titres de la plupart des informations.
▶ Fermeture des bourses européennes
▶ Chômage technique dans toutes les usines européennes d’automobiles
▶ La Münchener Rück évalue déjà les pertes à un billion d’euros
▶ Mise à jour : 6 employés blessés et 2 irradiés dans la centrale de Saint-Laurent
▶ Annulation de la coupe du monde de hockey sur glace fin février en Suède
▶ Le gouvernement annonce jusqu’à 2 000 victimes en Allemagne suite au black-out
▶ Greenpeace dénonce la forte augmentation des radiations autour de Saint-Laurent
▶ USA, Russie, Chine, Turquie se préparent à apporter leur aide matérielle et logistique
▶ La région de Bochum de nouveau alimentée en courant
▶ Interpol publie les portraits-robots des suspects
▶ Réunion du haut commandement militaire de l’OTAN pour discuter des suites à donner
▶ Baisse du prix de l’essence suite au black-out
▶ Selon l’Autorité de sûreté nucléaire, la situation à Saint-Laurent n’a rien à voir avec Tchernobyl ou Fukushima
Bruxelles
« Les secours demandés sont à la frontière, fit Zoltán Nagy, le directeur hongrois du MIC, résumant la réunion en ces termes. Quant à Saint-Laurent et Temelín, c’est du ressort de l’Organisation internationale de l’énergie atomique de Vienne. Elle a envoyé des experts et nous tient au courant de l’évolution de la situation. » Ils avaient discuté de ses développements les plus récents. C’était pire encore que ce que redoutaient Angström ou qui que ce soit au sein de l’EUMIC. Seul restait imprécis l’état actuel des accidents techniques.
« Une demande d’assistance arrive d’Espagne à cause de l’explosion dans l’usine chimique Abracel, à Tolède. Des gaz toxiques se sont échappés. Les autorités n’ont pas encore le nombre précis de victimes, ils parlent de quelques dizaines au moins. Plusieurs milliers de personnes ont dû être évacuées, dont de nombreuses qui venaient d’être installées dans les hébergements d’urgence. Les États-Unis et la Russie souhaitent envoyer des équipes techniques afin d’aider à combler les fuites. Des accidents ayant provoqué la libération de produits toxiques et des morts nous ont également été signalés à Sheffield en Angleterre, à Bergen en Norvège, en Suisse vers Berne, et à Pleven, en Bulgarie. Aucun de ces États, cependant, n’a demandé l’aide internationale, le nombre de victimes étant inférieur à une dizaine par accident. Toujours plus à chaque fois… Le prochain point a lieu dans trois heures. »
Alors qu’il était sur le point de se lever, Nagy se reprit.
« Ah ! Et avant que je n’oublie, nous avons reçu une information des transports bruxellois. Afin de maintenir en marche un service minimum, ils ont mis en place un service de navettes de bus qui desservent six lignes dans un rayon de quarante kilomètres autour de la ville. Les bus font deux rotations quotidiennes et sont exclusivement réservés aux collaborateurs de certaines administrations comme la police, les ministères et à quelques départements indispensables de la Commission européenne. Nous en faisons partie. Vous pouvez attendre le bus matin et soir aux arrêts définis. Vous devrez présenter votre badge. Les lignes et les points de rassemblement sont sur le tableau noir. »
Berlin
Hartlandt sursauta lorsqu’on claqua des mains derrière lui.
« On se réveille ! » cria un collègue.
Embarrassé, l’inspecteur regarda autour de lui. Il n’avait voulu faire qu’un somme rapide et il avait piqué du nez.
« J’ai des nouvelles qui vont te réveiller d’un coup. Elles viennent des pompiers qui ont éteint l’incendie au poste d’Osterrönfeld. Ils sont certains que le feu est d’origine criminelle.
— Mer…, se retint Hartlandt. Et pourquoi ne l’apprenons-nous que maintenant ?
— Parce qu’à l’extérieur ils sont débordés. L’enquête n’a pu être diligentée plus rapidement. »
Hartlandt se leva, se posta face au mur où était affichée la gigantesque carte d’Allemagne sur laquelle ils avaient situé tous les problèmes jusqu’alors connus. Les points étaient si nombreux par endroits qu’on ne voyait plus la carte.
« Alors… ce n’est sans doute pas un hasard, murmura-t-il. Depuis le début du black-out, on nous a signalé des incendies dans huit postes. »
Il retourna à son bureau et fouilla parmi des dossiers.
Il tendit une feuille à son collègue. « Voici la liste des postes touchés. Appelle toutes les casernes de pompiers locales. Qu’ils enquêtent sans plus tarder sur les causes des sinistres. »
Zevenhuizen
Pour un peu, François Bollard serait rentré dans la voiture garée sur le chemin d’accès de la ferme. Dans la lumière des phares, il réalisa que le chemin était encombré d’automobiles jusqu’aux bâtiments. Il bifurqua dans le champ et se rapprocha ainsi de la ferme. Dans certains véhicules, il vit des gens qui dormaient, enroulés dans des vêtements chauds et des couvertures. Entre les voitures, quelques personnes se tournèrent vers le Français lorsqu’il gara sa voiture et en descendit.
« Ils ne te laisseront pas entrer, lui cria un inconnu.
— À moins qu’il ne fasse partie des privilégiés », ironisa un autre. Quelques hommes le suivirent jusqu’à la porte. Bollard ouvrit, une main l’agrippa depuis l’intérieur et referma violemment la porte. Il entendit des cris de colère à l’extérieur. Devant lui, Jacub Haarleven. Il avait l’air hagard. Bollard n’entendit qu’à ce moment le brouhaha dans la maison.
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