▶ Autorité de sûreté nucléaire : « Aucun dommage subi par l’enveloppe du réacteur »
(06 h 01) L’Autorité de sûreté nucléaire française affirme que l’enveloppe du réacteur 1 de la centrale de Saint-Laurent n’est pas endommagée. Les systèmes de refroidissement du réacteur 2 fonctionnent sans encombre.
▶ Le réacteur 2 doit assister le réacteur 1
(09 h 33) Selon l’exploitant de la centrale, l’un des trois systèmes redondants de refroidissement d’urgence du réacteur 2 doit être adapté au réacteur 1 aussi vite que possible. Selon les experts, cette solution est aussi dangereuse qu’impossible.
▶ « Les autres centrales ne connaissent aucune avarie », selon le gouvernement
Sans quitter l’écran des yeux, Bollard composa le numéro de ses parents et prit le combiné. Il n’entendit rien d’autre que cette désagréable friture de faible intensité.
« Ah, mon Dieu… », fit Shannon lorsque Manzano entra dans la chambre. Elle était assise sur le rebord du lit, deux caméras à ses côtés, sur la couette, l’une reliée au moyen d’un câble à l’ordinateur qu’elle avait sur les genoux. Mais c’est la télévision qui l’intéressait en cet instant.
« Regarde-moi ça, cria-t-elle. Et ça ! »
À l’écran, une présentatrice parlait depuis le studio de CNN : « … les bourses asiatiques ont été durement touchées par les événements de la veille. L’indice Nikkei a de nouveau plongé de onze pour cent, et le Topix, largement utilisé, de treize pour cent. Shanghai a dégringolé de dix pour cent et le Hang Seng de quinze pour cent.
— Tu t’attendais à quoi ? demanda Manzano. J’espère que tu as bien placé ton argent avant de claironner partout. »
Manzano n’y connaissait pas grand-chose en marchés financiers, mais il était certain que les révélations de Shannon allaient provoquer d’autres effondrements boursiers dans le monde entier. Qui misait à temps sur ces cours en baisse pouvait gagner beaucoup d’argent.
« C’est pas à ça que je pensais, dit-elle. Lis plutôt le bandeau. »
Un texte courait sur le bandeau rouge en bas de l’écran : « Accident majeur dans une centrale nucléaire française. Système de refroidissement hors service. Radioactivité en hausse. Émission spéciale à suivre. »
Manzano remarqua que Shannon se rongeait les ongles.
« … nous sommes maintenant en liaison avec notre correspondant en France, James Turner. James ? »
— Shit ! Shit ! Shit ! jura la jeune femme. Et je n’y suis pas !
— Estime-toi heureuse. »
L’Américain était dans un champ. Loin derrière lui, à l’arrière-plan, Manzano distinguait davantage qu’il ne les voyait les tours de refroidissement d’une centrale.
« D’après une communication officielle, les systèmes de refroidissement de secours du réacteur 1 de la centrale de Saint-Laurent sont en panne. Personne ne peut dire encore depuis combien de temps. Nous sommes à cinq kilomètres de la centrale, sur l’autre rive de la Loire. Nous n’avons pas d’informations précises concernant les dommages au réacteur… »
« Ce connard a fait de moi son esclave pendant des années et il a de nouveau un sujet au top !
— C’est toi qui le lui as dit hier. »
« … des dommages qui pourraient avoir des effets sérieux sur l’environnement. »
« Comment d’ailleurs peut-il être à l’antenne ? interrogea Manzano.
— Probablement grâce à la voiture satellite. »
Au lieu des tours de refroidissement, on voyait maintenant un nuage s’étendre derrière le reporter, comme lors d’une explosion. Même à la télévision, Manzano entendit la sourde détonation.
« Wow ? Qu’est-ce que c’était ? Turner se tourna, le regard en direction du nuage. Il y a eu une explosion ! cria-t-il dans son micro. Il vient d’y avoir une explosion dans la centrale ! »
« À ta place, je prendrais mes jambes à mon coup », murmura l’Italien.
« Une explosion ! »
« Il a rien d’autre à dire ? râla Shannon.
— Faut qu’il foute le camp. »
Pourtant Turner se tourna de nouveau face à la caméra. Derrière lui le nuage montait doucement, devenant de plus en plus transparent.
« T’as vu ça ? Tu l’as ? Bon Dieu ! On pourrait le voir de nouveau ? Les studios ? »
Ils passaient déjà la scène au ralenti, avec un zoom sur la centrale. Cependant, on ne pouvait rien voir de plus que la première fois. À l’endroit des tours de refroidissement se développait par saccades un nuage blanc.
« Fuck ! murmura Shannon.
— Alors ? Toujours envie d’y être ? » ironisa Manzano.
Central opérations
O.K., ils n’avaient pas compté là-dessus. Saint-Laurent conférait à l’ensemble une nouvelle dimension. Pas nécessairement conforme à ce qu’ils voulaient. L’Europe ne devait pas devenir inhabitable. Au contraire. Nous devons tout arrêter, disaient certains, avant que pire encore ne se produise. Il n’était pas de cet avis. Même si Saint-Laurent ne restait pas un cas isolé. Il était trop tard, de toutes les manières, pour faire marche arrière. Même s’ils désactivaient les codes nocifs, ça prendrait plusieurs jours pour réparer l’ensemble. En outre, ils savaient bien qu’il y aurait des victimes. Beaucoup. Ils y étaient préparés. Tout changement fait des victimes. Et comment voyez-vous la chose ? avait-il demandé à ses opposants. Vous ne pouvez pas tout bonnement vous lever et partir. Ça signifierait abandonner tous nos objectifs. Des objectifs pour lesquels vous avez déjà fait des victimes. De nombreuses victimes. Arrêter maintenant, ce serait rendre les armes. Redonner aux autres leur pouvoir. Cette communauté, possédée par l’argent et la force, par l’ordre et la productivité, l’efficacité, par la consommation, les loisirs, l’exaltation de l’individu, sa propension à tout ramener à elle. Pour laquelle l’être humain ne compte pas, seule la maximisation des profits. Pour laquelle la société n’est qu’un facteur de coûts. L’environnement une ressource. L’efficience une prière, l’ordre un reliquaire et l’individu un Dieu. Non, ils ne pouvaient pas faire machine arrière.
Ratingen
« C’est un désastre, annonça Wickley. Pour nous tous. Tournant énergétique, réseaux d’énergie modernes, smart grids et compagnie, on peut tout oublier pour les prochaines années. »
La salle de réunion de l’étage de direction était moins remplie que la veille. Moins de collaborateurs s’étaient présentés au bureau, y compris parmi les cadres. L’agence de communication n’avait envoyé que deux représentants, Hensbeck et son assistante, au lieu de quatre. Tous portaient manteaux ou doudounes.
Lueck n’avait pu se procurer ni pièces de rechange ni nouveau générateur, ni diesel. « Nombre de gestionnaires européens de réseaux de distribution ou de transport font part d’attaques fatales contre leurs systèmes IT, fit Wickley. De manière non officielle, tout porte à croire que certains d’entre eux mettront quelques jours, sinon plus, à tout réparer.
— Aussi graves que soient les informations et la situation, observa Hensbeck, cela ne représente-t-il pas aussi une grande chance ? On voit clairement que les systèmes actuels ne valent rien et qu’un changement est nécessaire.
— Votre optimisme est tout à votre honneur, Hensbeck, mais ce n’est pas aussi simple. La cause de la coupure est maintenant sans équivoque : les systèmes IT. Précisément ceux qui sont dédiés à la production, à la distribution et au transport d’énergie. Ce sont eux qui devaient jouer un rôle prédominant lors de la mise en place globale des smart grids au cours des années à venir. Tout un pan de notre activité principale. Le cœur même de nos projets visionnaires de développement ! Vous comprenez ? La construction d’un réseau de communication pour diriger le réseau électrique. Les failles de sécurité contre lesquelles banques, sociétés de cartes de crédit et compagnies d’assurance se battent depuis des années, tout ça a aussi atteint notre branche. Mais avec des conséquences bien plus graves, comme vous pouvez le constater à l’extérieur. Une fois le calme revenu après ces événements, tous les projets de développement liés à l’IT seront évalués, examinés, et mis au ban.
Читать дальше