Par ailleurs, on trouve sur Internet des tonnes de littérature et de témoignages concernant ces appareils, émanant, entre autres, des fabricants eux-mêmes. Si l’on se penche dessus avec suffisamment de minutie, on trouve bien rapidement à quel point ces petits boîtiers se prêtent à une telle action. Ils peuvent même transmettre par ondes des données aux autres.
— Mais un tel compteur n’acceptera pas les premières données venues de compteurs étrangers. Ils doivent certainement exiger une forme quelconque d’authentification ?
— Ils le font, mais les pirates l’ont probablement mise hors service en infiltrant les réseaux internes et les banques de données d’Enel. Pour peu qu’ils aient eu un soupçon de chance, ils ont même pu les trouver sur Internet. On est sans cesse étonné par ce qu’on peut y dénicher, pourvu qu’on sache comment et où chercher. S’ils ont l’authentification, tout le reste est un jeu d’enfant. Et nous avons tout lieu de penser que la sécurité des données italiennes était faible. Les assaillants ont eu beau jeu de leurrer les procédures d’authentification pour entrer le code de commande idoine.
— Et toute l’Europe est censée être équipée de tels systèmes dans les années à venir ?
— Oui… » fit Bollard pour seule réponse. Il se consacra à une autre série de photos. « Nous voici en Suède. Sur le principe, les assaillants ont eu recours à la même méthode. Là aussi trois foyers ont été utilisés pour propager l’infection. Là aussi les habitants, y compris à la suite de recherches plus intensives encore, se sont révélés être irréprochables et hors de tout soupçon. Comme en Italie, les codes ont probablement été entrés dans les compteurs par ces hommes qui se faisaient passer pour des employés des compagnies d’électricité et dont nous n’avons pour l’heure que d’imprécises descriptions. »
Il se posta devant la carte de l’Europe au centre du mur.
« En plus des attaques sur les systèmes IT, on a reçu depuis peu des informations concernant des incendies criminels dans des postes électriques et des explosions sur des pylônes. Quoi qu’il en soit, on n’a pu déceler aucun caractère systématique derrière cette deuxième forme d’attaque. Raison pour laquelle il sera difficile de mettre la main sur les saboteurs. »
Bollard termina son exposé, remercia l’assemblée et se hâta de regagner son bureau. Il regarda sur son ordinateur s’il n’avait pas reçu de nouvelles fraîches concernant Saint-Laurent. Depuis ce matin, l’accident avait été classé au niveau 3 de l’échelle INES par l’Autorité de sûreté nucléaire française. Les populations dans un rayon de vingt kilomètres avaient été confinées. Pour la énième fois, il composa le numéro de ses parents. Aucune tonalité.
La Haye
Shannon dut passer sur la voie opposée afin de contourner la foule de gens massée devant le bâtiment. Elle ne réalisa qu’alors que la marée humaine ne voulait pas entrer dans un supermarché, mais dans une agence bancaire. Deux minutes plus tard, elle était au milieu d’eux.
« Il me reste soixante-dix euros dans mon porte-monnaie, lui expliqua un homme rondouillet, face à la caméra. Tout ce qu’on peut encore acheter, il faut le payer en liquide. Et qui sait combien de temps ça va encore durer ? Je voulais prendre suffisamment d’argent. Puis voilà ! Énervé, il montra les gens derrière lui. S’ils n’ont déjà plus d’argent, comment ça va être dans les prochains jours, hein ? Demain, je serai de nouveau ici. Dès l’aube.
— Qu’est-ce que ça signifie ? demanda Shannon. La banque n’a plus d’argent ?
— Plus pour aujourd’hui. C’est ce qu’ils affirment. Il y a trop de gens qui sont déjà venus en récupérer. L’argent liquide sera livré demain seulement. Nous avons tous attendu pour des prunes. »
Shannon filma quelques-unes des personnes rassemblées, femmes et hommes, qui tambourinaient furieusement contre les vitres de la banque, avant de renoncer et de les laisser. Elle se glissa jusqu’à l’écriteau manuscrit sur la porte.
Gesloten vanwege een technische storing. Vanaf morgen kunt u weer geld opnemen. We vragen uw begrip voor het feit dat het maximale bedrag dat u per persoon kunt opnemen EUR 250 is.
Closed due to technical disruption. You can get money as of tomorrow. We ask you kindly for your understanding that the maximum amount for withdrawal will be 250 € per person.
La banque était donc fermée. Il y aurait de nouveau de l’argent demain, à hauteur de deux cent cinquante euros par personne. Elle vit, au niveau des guichets, un groupe d’employés en pleine discussion. Elle frappa à plusieurs reprises jusqu’à ce que l’un d’eux se retourne. Il agita la tête. Lorsque Shannon lui montra la caméra, il tourna le dos.
Paris
« Il me faut des résultats, annonça Blanchard, fatigué. Le président de la République, le ministre de l’Intérieur et tous les autres veulent notre tête. Heureusement qu’ils n’ont aucune alternative. » Gêné, il pensa comment, voilà encore quelques jours, il avait menacé de faire tomber des têtes. C’était maintenant la sienne qui était sur l’échafaud. Depuis deux jours, tout le département informatique et une vingtaine de consultants extérieurs travaillaient sans relâche. Quelques minutes auparavant, Proctet l’avait appelé en visioconférence.
« Nous avons des résultats, dit le jeune homme. Mais rien de plaisant. »
Blanchard ferma les yeux un instant. Il vit la lame lui trancher la gorge. Qu’importe, maintenant.
« Nous avons trouvé des parties du logiciel malveillant qui a tout déclenché. Ça fait plus de dix-huit mois qu’il se trouve dans notre système. Cette attaque est planifiée depuis belle lurette. Ça signifie que toutes les sauvegardes de nos données sont inutilisables, parce que contaminées.
— Alors prenons-en de plus anciennes. »
Proctet secoua la tête. « Pas la peine d’y penser. Un an et demi en temps numérique correspond à un siècle en temps réel. Les sauvegardes de plus de dix-huit mois sont irrémédiablement hors d’usage.
— C’est-à-dire ?
— Nous devons nettoyer tous les ordinateurs.
— Mais il y en a des centaines !
— Quelques dizaines suffiraient pour le début, répondit Proctet. S’il n’y avait pas encore un hic . »
Blanchard se donnait du mal pour ne pas paraître trop sidéré. « Quoi encore ? demanda-t-il le souffle court.
— Les quelques serveurs qui étaient encore en fonction, expliqua Proctet, tentaient de se connecter à des ordinateurs qui…
— Vous voulez dire…
— …que les serveurs aussi sont contaminés. Tout à fait.
— C’est un désastre, grommela Blanchard. Combien de temps pour en venir à bout ?
— Une semaine », fit doucement Proctet. Cependant, tout le monde l’entendit dans la pièce. Blanchard eut l’impression que le jeune homme était devenu plus blême encore en annonçant cela. Il continua : « Au mieux.
— N’y pensez même pas ! cria Blanchard. Vous avez vu le journal de ce matin ? En plein milieu de la France, c’est une catastrophe nucléaire qui menace si les systèmes de refroidissement de la centrale de Saint-Laurent ne sont pas rapidement alimentés en électricité ! Et qui sait si le même scénario ne se joue pas ailleurs ! »
La Haye
Décontenancé, Bollard scrollait sur la page du fil d’info.
▶ L’exploitant confirme une libération contrôlée de radioactivité
(05 h 26) Électricité de France, l’exploitant de la centrale nucléaire endommagée de Saint-Laurent, confirme le rejet de quantités infimes de vapeurs radioactives dans l’atmosphère afin de faire baisser la pression du réacteur.
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