— Cet hôtel dispose d’un générateur de secours. Mais je vous retourne la question : que faites-vous à La Haye ?
— Je suis journaliste. J’ai appris que les beaux-parents de François Bollard avaient quitté Paris dans la précipitation hier après-midi. Je ne crois pas que les beaux-parents d’un fonctionnaire d’Europol en charge du terrorisme partent en voyage sur un coup de tête, lors de la plus grande panne d’électricité de l’histoire européenne. Il n’a rien voulu me dire.
— Vous m’avez suivi depuis Europol ?
— Je dois savoir ce qu’il se passe. C’est pour ça que j’ai passé la nuit dernière dans un bus.
— Ça se voit.
— Merci… ça fait toujours plaisir. »
C’était une petite personne mince, avec une tête ronde et des cheveux bruns mi-longs. Une lueur d’insolence illuminait son regard, sa petite bouche trahissait un caractère résolu.
« Toute la nuit dans le bus ? Et pas de chambre ? Avez-vous déjeuné ?
— Quelques barres chocolatées. »
Manzano se rendit à la réception.
« Y a-t-il encore une chambre libre ?
— Non », répondit l’homme.
Il se retourna vers la jeune femme.
« C’était à prévoir. Vous avez certainement aussi envie d’une bonne douche.
— Et comment ! soupira-t-elle.
— Alors venez, je vous invite à la prendre chez moi. »
Elle le regarda avec méfiance.
Manzano se mit à rire.
« Ce n’est pas ce que vous pensez ! Je préfère déjeuner avec des personnes propres. Vous devez avoir faim. »
Son regard resta hésitant.
Manzano gagna les escaliers.
« Comme bon vous semble. Et je vous souhaite bonne chance. »
Il commença à monter les marches.
« Attendez ! » cria l’Américaine.
Tandis qu’elle prenait sa douche, Manzano rangeait ses achats dans l’armoire. Il éplucha ensuite les dernières informations sur Internet. Les premières rumeurs concernant des opérations policières en Italie et en Suède en lien avec les coupures de courant avaient fait leur apparition. Il n’y avait aucun commentaire de la part des autorités. Manzano trouvait cette stratégie mauvaise. Les gouvernements n’étaient pas sans ignorer qu’il s’agissait bien d’une attaque. De même qu’ils savaient pertinemment qu’une majeure partie de la population devrait probablement rester des jours encore sans électricité.
Shannon sortit de la salle de bain en peignoir, elle enroula une serviette sur ses cheveux pour les faire sécher.
« C’était fantastique ! Merci beaucoup !
— Pas de quoi.
— Du neuf ?
— Pas vraiment…
— Vous aviez raison, s’exclama-t-elle. J’ai une faim de loup ! »
Dix minutes plus tard, Lauren et Piero étaient installés dans la salle de restaurant de l’hôtel. La moitié des tables était occupées. Il commanda un club sandwich, elle un hamburger.
« Où vous êtes-vous cogné ? demanda-t-elle en désignant sa cicatrice au front.
— Accident de la circulation, à cause des feux qui se sont éteints.
— Vous travaillez à Europol ?
— Je travaille pour Europol. Bollard m’a engagé.
— Pourquoi ?
— Pour quel média travaillez-vous ?
— CNN. Elle lui montra sa carte.
— Et vous n’avez personne ici ?
— Je suis là, non ?
— Et comment faites-vous vos reportages ? Sans électricité ? Comment transmettez-vous vos infos à la chaîne ? Et eux, comment font-ils pour diffuser ? Sans compter que presque plus personne ne peut regarder la télévision.
— En Europe, en effet. Je partage mes reportages en ligne. Tant qu’Internet fonctionne à peu près.
— Ce qui ne va pas durer longtemps », observa Manzano. Il regarda autour de lui, comme s’il craignait d’être observé. Aucun des autres clients ne s’intéressait à eux. Il parla à voix plus basse : « Moi-même, je ne suis ici que depuis hier. Je n’ai pas le droit de parler de ce que je fais, j’ai signé une clause de confidentialité. Il lui sourit. Mais personne ne peut m’interdire de raconter ce que j’ai découvert auparavant. »
Il parla donc, et, avant même qu’il ait fini de lui dévoiler son histoire, Shannon ne tenait plus en place sur sa chaise.
« Pourquoi les gens n’ont-ils pas été mis au courant ? chuchota-t-elle, excitée.
— Les autorités redoutent de créer une panique.
— Mais les gens ont le droit de savoir !
— C’est ce que disent toujours les journalistes pour légitimer leur travail.
— On pourra discuter une autre fois de l’éthique journalistique. Et puis, vous ne m’avez pas raconté tout ça pour que je tienne ma langue, hein ?
— Ça, c’est sûr.
— Vous avez une connexion Internet dans votre chambre, n’est-ce pas ? Je peux l’utiliser ?
— Pas nécessaire, il y a le WiFi dans tout le bâtiment. L’hôtel dispose d’une liaison directe à une dorsale parce que, souvent, y descendent diplomates et personnalités invités par Europol. Vous n’avez qu’à demander un code d’accès à la réception.
— Le problème, c’est qu’ils ne le transmettent probablement qu’aux clients.
— Donnez-leur mon numéro de chambre.
— Vous n’avez pas peur d’être mis à la porte ?
— Ils ont besoin de moi, pas le contraire.
— Ce ne sera peut-être plus le cas…
— C’est mon problème.
— Vous y croyez, vous, à la panique ?
— Intéressante question. Plonger tout un continent dans la panique… Vous y croyez, vous ? »
Shannon hésita. Elle savait qu’un journaliste n’avait ce genre d’opportunité qu’une fois dans sa vie — ou jamais.
« Je crois que nous sous-estimons les gens au-dehors, répondit-elle subitement. Au contraire des films catastrophes à sensation, il n’y a eu pratiquement aucun désordre ni pillage, c’est l’inverse même : les gens s’entraident, restent pacifiques.
— Ils ont encore de quoi manger dans leur frigo…
— Vous savez quoi ? Je crois qu’annoncer le sabotage malveillant des systèmes électriques va rassembler davantage les gens. Ils se serreront les coudes contre un ennemi commun !
— Vous auriez dû être ministre de la Propagande. »
« Nous ne savons pas de quoi ils ont parlé, fit le policier à Bollard. Il y avait trop de bruit. »
Perdu dans ses pensées, Bollard regardait l’écran de l’ordinateur portable sur lequel apparaissaient les images de la vidéosurveillance. Assis sur son lit, face à son ordinateur, l’Italien semblait travailler.
« Où est-elle maintenant ?
— En bas, au restaurant. Avec son portable. Elle écrit. »
Les pensées de Bollard vagabondaient. Il n’était pas encore parvenu à joindre ses parents. Ni l’IAEO ni les autorités françaises n’avaient communiqué à Europol d’informations supplémentaires quant à la situation du réacteur de Saint-Laurent. Il se forçait à rester concentré.
« Et bien entendu, nous ne savons pas non plus ce qu’elle écrit ?
— Luc est sur le point de le savoir. Il se connecte au WiFi. »
Le fonctionnaire se leva.
« Tenez-moi au courant. »
Shannon put joindre le bureau parisien grâce à sa connexion satellite.
Les doigts alertes, elle tapait au clavier.
Je me trouve à la source de tout ce bazar. Si je dois continuer, la chaîne doit prendre en charge les frais d’hébergement et une voiture de location. Au cas où je recevrais au moins l’un ou l’autre… On peut rêver, non ?
O.K . Laplante joignait à sa réponse les numéros d’une carte bancaire d’entreprise.
Good job, Lauren.
Shannon serra les poings en signe de triomphe. Elle se rendit à la réception.
L’employé dut essayer pendant plusieurs minutes avant de pouvoir avoir une courte conversation téléphonique. Il posa la main sur le combiné et lui demanda : « Je n’ai pu joindre qu’une seule entreprise. Il leur reste une dernière voiture. Mais ce n’est pas donné.
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