— Du crime organisé pour extorquer des fonds ? avança le ministre de la Santé.
— Jusqu’à présent, nous n’avons reçu aucune demande… Par ailleurs, celui qui ferait ça doit garder en tête qu’il sera recherché sur la terre entière.
— Raison pour laquelle nous nous en tenons pour l’instant à la variante la plus probable : un acte terroriste, fit le ministre de l’Intérieur.
— De cette envergure ? demanda le ministre des Transports, incrédule.
— Peut-être n’était-ce pas si largement prévu. Rappelons-nous le 11 septembre 2011 à New York. Les terroristes voulaient s’en prendre aux tours du World Trade Center. Ils n’avaient sans doute pas misé sur le fait qu’elles s’effondreraient.
— Mesdames et messieurs, interrompit le chancelier, au vu de la situation, je propose que soit proclamé l’état de catastrophe dans tous les Länder. L’État fédéral assure la conduite et la coordination des opérations. »
La Haye
La première chose que Shannon ressentit fut une douleur aiguë dans le cou. Puis elle réalisa qu’il s’agissait d’autre chose. Le moteur du bus avait arrêté de ronronner, elle ne remarquait plus aucune vibration. Elle ouvrit les yeux. Ses paupières étaient lourdes. Dehors, la nuit. Shannon entendit des voyageurs se lever, prendre leurs bagages, se diriger vers la sortie. Lentement elle étira ses jambes, puis elle regarda à travers la vitre, cherchant des indices quant à l’endroit où ils se trouvaient.
Dans les ténèbres, elle distingua un panneau : La Haye.
Elle se frotta les yeux et regarda l’heure. Sept heures à peine. Le bus était en retard. Elle enfila sa doudoune et aurait donné tout l’or du monde pour une douche chaude et un café brûlant. Rien, à l’extérieur, ne laissait présager qu’elle obtiendrait l’un ou l’autre. Aucun éclairage public, des bâtiments sombres, peu de gens. Elle attendit que tous soient descendus puis quitta le car. Elle ressentit immédiatement un froid vif sur les joues, le nez, les oreilles. Elle passa la capuche de son manteau et enfila ses gants.
Elle tenta de s’orienter. Manifestement, elle se trouvait dans une gare. Elle n’était pas grande, lui rappelant certaines gares de petites villes françaises.
Elle gagna le bâtiment principal. Quelques voyageurs se tenaient là, hagards.
Shannon interpella en anglais le premier qu’elle croisa.
« Vous êtes d’ici ?
— Oui. »
Elle lui montra le papier sur lequel elle avait inscrit l’adresse de François Bollard.
« Sauriez-vous à tout hasard où c’est, et comment je peux m’y rendre ? »
L’homme examina le papier, puis répondit : « C’est à environ une demi-heure à pied d’ici. »
Shannon le pria de bien vouloir lui décrire le trajet. Une trentaine de minutes plus tard, elle avait atteint son objectif. Elle resta devant la maison, vérifia de nouveau l’adresse sur le papier. Le nom à côté de la sonnette confirmait qu’elle était au bon endroit. Le gendre de ses voisins vivait avec sa famille dans un coquet bâtiment de briques de la fin du dix-neuvième siècle, dans une rue bordée uniquement de demeures de la même époque. Des berlines et des breaks suédois et allemands y étaient garés.
Elle guetta un signe qui lui indiquerait qu’il y avait quelqu’un. Puis elle frappa résolument à la porte en bois. Elle attendit un peu, puis frappa de nouveau. En l’absence d’électricité, même pas la peine de songer à utiliser la sonnette. Elle épia un éventuel bruit à l’intérieur. Rien. Frappa encore. Attendit. Épia.
Au bout de dix minutes, elle renonça. François Bollard n’était pas chez lui. Peut-être, après tout, était-il parti en France avec sa famille. Ou dans un hôtel disposant d’un générateur électrique de secours. D’un coup, elle ressentit toute la fatigue des derniers jours, des dernières années même, le froid, la faim et la soif, l’envie d’une douche. Elle se mit à trembler, les larmes lui montèrent aux yeux, elle se sentit très seule. Ses lèvres tremblotaient, elle suffoquait et respira de plus en plus profondément pour se calmer. Elle devait trouver quelqu’un qui lui indiquerait le trajet pour Europol.
Bollard n’avait que peu dormi. Il n’était pas encore six heures du matin lorsqu’il glissa hors du lit, qu’il s’habilla sans un bruit et quitta le petit appartement de la ferme. Une demi-heure plus tard, il était assis à son bureau du Statenkwartier. Il n’était pas seul. La moitié de son équipe avait passé la nuit sur place.
Janis Christopoulos, un Grec de trente-trois ans, le salua d’une poignée de main qui en disait long.
« Nous avons enfin les portraits-robots d’Italie et de Suède. Six au total. »
Ils s’approchèrent du plus grand mur du poste de commandement, où étaient accrochées toutes les informations recueillies. Christopoulos ajouta trois photographies à la partie suédoise, puis trois à l’italienne. C’étaient des portraits d’hommes. Comme à l’accoutumée, les visages dessinés par ordinateur semblaient sans âge ni âme. Sans doute était-ce lié aux yeux, pensa Bollard.
Cinq aux cheveux sombres, deux dégarnis, une moustache, deux barbes. À ses yeux, l’un d’entre eux semblait asiatique.
« Entre vingt et quarante ans d’après les déclarations, les tailles figurent à côté, fit Christopoulos. Quatre d’entre eux ont été décrits comme originaires des pays du sud ou arabes. Selon un témoin, l’un serait d’origine sud-américaine ou asiatique. »
Le Grec haussa les épaules.
« Rien de plus que des témoignages… En Suède il y avait même un blond parmi les suspects… En ce moment, les portraits circulent parmi les compagnies d’électricité. Mais ils ne trouveront sans doute personne. D’après leurs archives, aucun rendez-vous n’était planifié aux horaires ni aux lieux concernés.
— C’est déjà un début. Il se peut que ces mecs aient quelque chose à voir avec tout ça.
— Nous les recherchons d’ailleurs dans nos banques de données. Comme Interpol et les États-Unis.
— Rien d’autre ?
— Concernant ces enquêtes, non, malheureusement. Nous avons également quelques communications de l’IAEO de Vienne. La centrale de Temelín, en République tchèque, fait part de problèmes sur son système de refroidissement. Les autorités, cependant, ne classent cela qu’au niveau 0 de l’échelle INES, idem pour la centrale d’Olkiluoto en Finlande et celle du Tricastin en France, continua Christopoulos. En revanche, les problèmes survenus sur le système de refroidissement de la centrale de Saint-Laurent sont plus sérieux. »
Bollard avait l’impression qu’on serrait un collet autour de sa gorge. La centrale de Saint-Laurent-Nouan ne se trouvait qu’à une vingtaine de kilomètres de la maison de ses parents.
« La situation est encore floue. On parle d’une pression élevée et d’une température croissante.
— Quel niveau de l’INES ?
— Indéfini.
— Pardonnez-moi », fit Bollard.
Il se hâta vers son bureau et alluma son ordinateur. Il chercha en vain sur Internet des informations concernant cet incident. Les populations n’avaient-elles pas encore été informées ? Il regarda sa montre. Huit heures à peine. Habituellement, ses parents n’étaient pas encore levés. Il composa leur numéro.
Pas de tonalité. Nerveusement, il raccrocha, puis fit une seconde tentative.
Manzano, avachi sur le canapé de sa chambre d’hôtel, travaillait sur son ordinateur lorsqu’on frappa.
Bollard entra.
« Avez-vous bien dormi ? demanda-t-il.
— Oui, et profité d’un bon petit-déjeuner, répondit l’Italien.
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