— Allons faire des courses. »
Le Français semblait changé aux yeux de Manzano. Plus tendu encore. Ce qui n’était pas surprenant.
« Les magasins sont-ils ouverts ?
— Pour nous, oui. »
Ils traversèrent des rues vides en voiture. Sur le trajet, il montra à Manzano quelques curiosités.
L’Italien lui demanda comment il était arrivé à Europol, à La Haye.
« Rien d’extraordinaire. Une mission intéressante. Des perspectives de carrière. »
Ils passèrent devant un important magasin de vêtements. Bollard se gara dans une rue voisine.
« On va passer par derrière », dit-il. Il tira un sac du coffre.
À l’entrée des fournisseurs, une femme d’un certain âge les laissa entrer, après que Bollard eut échangé quelques mots avec elle et lui eut montré sa carte d’identité.
À l’intérieur, il faisait si sombre que Manzano n’y voyait goutte. Bollard tira du sac deux lampes de poche. Il lui en tendit une. De l’autre, il éclaira l’immense espace plein d’étagères, de tables, de portants remplis d’habits.
« Prenez ce dont vous avez besoin.
— J’ai l’impression d’être un voleur, fit Manzano.
— Vous devriez y être habitué. »
Bien qu’il n’en comprît pas l’allusion, Manzano n’en apprécia pas le ton.
« En tant que hacker, je veux dire », continua Bollard.
L’autre n’avait aucune envie de parler de ça.
Pourtant Bollard continua : « Puisque les hackers entrent par effraction dans la propriété des autres.
— Je ne suis pas entré par effraction, j’ai tiré profit de failles de sécurité. Et je n’ai ni cassé ni volé quoi que ce soit », objecta Manzano qui sentit le besoin de se justifier. Afin de clore la discussion, il alla vers une autre table et en éclaira les chemises.
« Si vous oubliiez de fermer votre porte, s’obstina Bollard, trouveriez-vous normal que des étrangers se promènent tranquillement chez vous ?
— Qu’est-ce que vous voulez ? Vous chamailler ou bien travailler avec moi ? » demanda Manzano. Il prit un pull-over et l’ajusta sur son torse. « Ça pourrait aller. »
Sur l’écran, le fonctionnaire de police hollandais avait observé Bollard et l’Italien quitter la chambre.
« J’y vais, fit-il à son coéquipier. À plus tard. »
Il quitta la salle de vidéosurveillance et descendit de deux étages. À l’aide du double de la clef, il put pénétrer sans difficulté dans l’appartement. Le portable de Manzano se trouvait sur le bureau. Ils avaient récupéré le mot de passe grâce aux caméras. Il y introduisit une clef USB et fit quelques manipulations avant que n’apparaisse la fenêtre de téléchargement. Deux minutes plus tard, le programme était installé. Au bout de trois minutes, il l’avait si bien dissimulé et avait si parfaitement effacé toute trace de sa manipulation que l’Italien ne pourrait le déceler. Il éteignit l’ordinateur et le laissa tel qu’il l’avait trouvé. Il gagna la porte, jeta un dernier coup d’œil alentour, éteignit la lumière et quitta la chambre aussi rapidement et discrètement qu’il y était entré.
Shannon avait dû marcher trois quarts d’heure à travers le froid pour gagner le siège d’Europol. À la réception, on lui avait dit que François Bollard n’était pas là. Après avoir passé un coup de téléphone, l’agent d’accueil l’avait informée qu’il serait bientôt de retour.
Sans autre forme de procès, Shannon s’était laissée tomber dans un fauteuil. Il faisait chaud, on pouvait utiliser les toilettes. Elle avait même pu se laver succinctement. Elle n’eut pas à attendre bien longtemps. Il était dix heures tout juste passé à l’horloge de l’accueil lorsqu’elle vit arriver le fonctionnaire français. Avec lui, un homme de grande taille, une cicatrice fraîchement recousue au front, portant quelques sacs de commissions.
« Bonjour, monsieur Bollard, se présenta-t-elle. Lauren Shannon, je suis la voisine de vos beaux-parents, à Paris. »
Bollard la jaugea attentivement.
« Qu’est-ce que vous faites là ? Il leur est arrivé quelque chose ?
— C’est précisément ce que j’aimerais apprendre de vous.
— Partez devant, fit Bollard à Manzano, en anglais. Lorsque ce dernier se trouva suffisamment loin, il continua : je me souviens de vous. La dernière fois que nous nous sommes vus, vous travailliez pour une chaîne de télévision.
— C’est encore le cas. Hier après-midi, vos beaux-parents ont quitté Paris en hâte — les beaux-parents d’un fonctionnaire d’Europol en charge du terrorisme. Pour aller chez vos parents, monsieur Bollard, si j’ai bien compris. Et votre belle-mère a fait une remarque qui me trotte dans la tête.
— Manifestement, puisqu’elle vous a poussée à venir de Paris. Je ne vois pas bien ce que j’ai à voir avec ça. Les médias doivent contacter notre service de presse. »
Shannon ne s’était pas attendue à ce qu’il lui explique quoi que ce soit de son plein gré. « Dans ce cas, nous ne devons pas considérer que le black-out est lié à des attaques terroristes ni qu’il va durer encore longtemps ?
— La date du retour à la normale, demandez-la aux compagnies d’électricité, pas à moi. »
Il l’envoyait promener vertement.
« Derrière ces coupures, il n’y a donc pas d’attaques ?
— Qu’est-ce que vous y connaissez en approvisionnement électrique européen ?
— Je vois juste, et j’entends, que rien ne fonctionne plus. Ça me suffit. »
Il marquait un point. Elle n’y connaissait rien.
« Pas tout à fait, répondit-il non sans un sourire compatissant. Vous sauriez, sinon, à quel point ces systèmes sont complexes. On ne les allume pas aussi bonnement que la lumière de votre salon. Maintenant, pardonnez-moi, je vous prie. Notre service de presse répondra volontiers à vos autres questions.
— Pourquoi alors vos beaux-parents partent-ils à la campagne ? lui lança-t-elle. Chez des paysans qui ont leur propre puits, qui peuvent se chauffer au bois grâce à la cheminée et — comme l’a souligné Mme Doreuil — qui peuvent tuer une poule lorsqu’ils veulent manger quelque chose ? »
Il tourna les talons.
Elle continuait : « Ça me fait furieusement penser à quelqu’un qui sait dorénavant que cette situation va s’éterniser. Et par qui l’aurait-elle appris ? »
De nouveau, Bollard la toisa, d’un regard patient, comme ceux que lancent les parents à leur progéniture dissipée.
« Votre imagination et votre obstination, madame…
— Shannon. Lauren Shannon.
— … mais j’ai à faire. Même s’il ne s’agit pas de ce que vous pensez. Retournez à Paris. »
Dehors, il faisait un peu plus doux. Quelques gouttes tombaient. Manzano se dépêchait de regagner l’hôtel avant que la pluie ne tombe plus drue. Chemin faisant, il observait les passants qu’il croisait et les gens dans les voitures. Ils ne se doutaient pas encore de ce qui les attendait. Enfin, il atteignit la chaude réception de l’hôtel.
« Pardonnez-moi, ne vous ai-je pas vu tantôt en compagnie de François Bollard ? » fit une voix de femme en anglais.
Derrière lui, une jeune femme, chaudement emmitouflée dans une doudoune, avec un petit sac marin. Hormis eux et le concierge, personne. Il lui sembla connaître ce visage.
« Oui. Vous êtes celle qui se trouvait à l’accueil d’Europol, dit-il, en anglais également.
— Je suis la voisine des beaux-parents de Bollard à Paris. » À son accent, Manzano devina qu’elle venait des États-Unis.
« Que faites-vous ici ?
— C’est un hôtel. Je cherche une chambre.
— Je crains que ce ne soit complet.
— Et vous, que faites-vous ici ? Vous n’êtes pas d’Europol ? Pourquoi êtes-vous ici ?
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