« Pas grand-chose », répondit l’homme chargé de la surveillance, au milieu de la trentaine, renfrogné, en veste de jean. « Il a téléphoné trois fois.
— Quels numéros ?
— Une fois au MIC de Bruxelles. Il a demandé une Sonja Angström. Puis son numéro personnel. Mais il n’a pu la joindre à aucun des deux numéros. Le troisième, c’était en Autriche. Le village vacances d’Ischgl. Pas de communication. Depuis, il est assis sur son lit et il lit sur son écran.
— Il n’a fait que lire ?
— Autant que je sache, oui.
— O.K., je file. Tenez-moi au courant s’il se passait quelque chose de notable. »
Zevenhuizen
Devant la ferme étaient garées une dizaine de voitures. Bollard y joignit la sienne, sonna et fut accueilli par Maren Haarleven, qui le laissa entrer.
« Entrez, le pria-t-elle. Votre famille est en train de dîner. »
Bollard la suivit dans une vaste pièce meublée de quelques grandes tables, toutes occupées. Il reconnut quelques visages. Après avoir assuré une place pour sa famille, il avait communiqué l’adresse à certains de ses collègues.
Les enfants le saluèrent avec un joyeux babil, enthousiasmés d’être à la ferme, au milieu des animaux. Au cours du dîner, ils ne firent pas allusion au black-out. Ce n’est qu’une fois les enfants couchés que Marie lui demanda : « Alors, me diras-tu ce qu’il se passe ?
— Vous allez rester quelques jours. Ça a l’air de plaire aux enfants.
— Aux informations, ils ont dit qu’il n’y avait de nouveau plus de courant chez nous. »
Le « chez nous » renvoyait à la France, comprit Bollard. Il acquiesça.
« J’ai téléphoné à tes parents et aux miens.
— Comment vont-ils ?
— Bien, mentit-il. J’ai invité les tiens à se rendre chez les miens. »
Elle plissa le front. « Pourquoi ?
— Au cas où la panne s’éterniserait un peu.
— Et pourquoi ça ?
— Sait-on jamais.
— Et pourquoi chez tes parents ? Parce que le paysage est si beau ? Pour qu’ils visitent une fois de plus les châteaux de la Loire ?
— Parce qu’ils ont leur propre puits, une cheminée et du bois, et quelques poules. »
Berlin
Jusqu’alors, Michelsen n’était allée à la Chancellerie fédérale qu’à l’occasion d’événements publics. Elle se trouvait en compagnie de collaborateurs de tous les domaines de la cellule de crise. Depuis les informations reçues dans la matinée, ils étaient passés à un nouveau stade. Partout régnait une grande nervosité.
Après avoir passé les contrôles de sécurité de l’accueil, un jeune homme les conduisit, elle et les autres, dans une vaste salle de conférence du deuxième étage. Deux autres hommes les aidèrent à installer leurs ordinateurs portables.
Ils attendaient leur public sans un mot. Michelsen remarqua que chacun évitait de regarder les autres. Personne ne voulait montrer ses propres angoisses. Sur l’un des murs, dix écrans répartis en deux lignes superposées. Sur certains apparaissaient les visages d’hommes d’âge mûr. Certains étaient déjà là, au cours de l’après-midi passé, lors de la rencontre des patrons de l’énergie avec le chancelier. Michelsen reconnut Heffgen et von Balsdorff. Ils tripotaient leurs vestes ou mettaient de l’ordre dans des dossiers à côté de leurs ordinateurs dont la caméra les filmait. Les minutes semblaient extrêmement longues. Le ciel berlinois était aussi sombre que leurs pensées. Des pas bruyants les tirèrent de leurs réflexions.
Le chancelier entra le premier, l’air déterminé, grave. Il serra les mains de tous. Il respirait la résolution et l’énergie. Il était suivi de tous les membres de son cabinet et de tous les chefs de gouvernement des Länder.
« Je vous remercie d’être venus, ainsi que celles et ceux qui sont en visioconférence », déclara le chancelier en guise d’ouverture.
Un visage apparaissait dorénavant sur chacun des dix écrans muraux.
« Les développements des dernières heures confèrent à cette réunion une tout autre signification que lors de la convocation d’hier. Les autorités européennes de sécurité ont émis entre-temps l’hypothèse d’une vaste attaque contre les systèmes électriques des pays membres. Afin que tous puissent avoir en tête ce que cela signifie, j’ai prié les ministres de faire un état de la situation et de présenter un scénario de ce qui nous attend. » Il marqua une courte pause, but une gorgée d’eau.
Michelsen s’attendait à un appel ou à une exhortation dramatique à l’attention. Au lieu de quoi, il ne fit que dire : « Je vous en prie, mesdames et messieurs. »
Le secrétaire d’État Rhess se leva et commença : « Depuis presque quarante-huit heures, de grandes parties de l’Allemagne se trouvent sans électricité. Vous connaissez tous le rapport Danger et vulnérabilité des sociétés modernes — l’exemple d’une vaste et longue coupure d’approvisionnement électrique , présenté au début de l’année 2011 par le comité Formation, recherche et évaluation des choix technologiques. »
Personne ne l’a probablement lu, songea Michelsen.
« Voici un premier aperçu des conséquences que peuvent avoir ces événements sur les populations. »
Ils avaient fait un montage à partir des reportages télévisuels des derniers jours. Sur un grand écran, dans la largeur de la salle, apparaissaient les images d’un supermarché vide et sombre.
« Commençons par l’approvisionnement en denrées alimentaires. La majeure partie de l’Allemagne, de nos jours, achète ses aliments dans les supermarchés. Cette source est épuisée. Notre collègue Michelsen, directrice adjointe du département de la protection de la population et de la gestion des catastrophes au ministère de l’Intérieur nous explique rapidement pourquoi. »
Elle se leva et prit la parole. Elle fit projeter des images de ports. Au milieu d’une mer de containers, d’impressionnants portiques déchargeaient les bateaux de leurs grandes boîtes métalliques. Des images de trains de marchandises suivirent, puis des travellings à travers de longs et hauts rayons dans des entrepôts, parfois frigorifiques.
« Toute la chaîne de production et de distribution de denrées alimentaires est plus ou moins à l’arrêt, commença-t-elle. L’ensemble des systèmes modernes est géré par l’électronique. »
Des étables avec des vaches, les unes à côté des autres dans d’étroits boxes métalliques.
« Prenons un de nos aliments les plus communs : le lait. La plupart du temps, il n’est pas produit dans de belles fermes, comme le clame la publicité. Il provient de l’élevage intensif comptant des milliers de bêtes, qui ne peut fonctionner que grâce à un nombre incalculable de mécanismes automatiques pour nourrir, chauffer, aérer, entreposer. Les grandes exploitations ont des systèmes de secours capables de fonctionner quelques jours. Certaines fonctionnent avec des sources autonomes d’énergie. Cela dit, ça ne leur est pas d’une grande aide. En effet, les laiteries ayant en charge le transport et la transformation du lait ne peuvent plus exécuter leur travail. Les réservoirs de leurs camions sont vides. Ils ne peuvent faire le plein, parce que sans électricité, impossible de faire remonter l’essence de la citerne souterraine à la pompe. »
Files d’attente à une station-service.
« Et quand bien même elles seraient en mesure de convoyer le lait jusqu’à leurs ateliers de transformation, les machines de ces derniers seraient à l’arrêt. »
Images de laiteries vides, tuyaux métalliques clinquants, chaînes inertes.
« Tous les produits prêts à être consommés sont stockés dans des entrepôts frigorifiques. Comme vous vous en doutez, sans courant, pas de froid. Plus pour longtemps, en tout cas, en fonction des installations. »
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