« Comment vont se dérouler les opérations ? continua-t-il, ayant repris le contrôle de lui-même.
— Nous programmons actuellement un ordinateur sur la base des installations standard de routine, fit Proctet. Ensuite, nous le laissons tourner et tester. Ça va prendre quelques heures. Le problème, c’est que, de nos jours, la plupart des logiciels dont ont besoin nos appareils pour nos recherches ne sont disponibles que via Internet. On a donc des difficultés, le réseau est surchargé, et en partie hors service, à cause du black-out. »
Blanchard soupira. « Ça ne peut pas être vrai ! Pourquoi n’avons-nous pas tout ça sur des DVD ou sur des serveurs ? »
Proctet fit une grimace.
« Des DVD, nous n’en avons pas, malheureusement, et les serveurs sont infectés.
— Qu’est-ce que c’est que ces protocoles de sécurité ! cria de nouveau Blanchard, avant de se reprendre aussitôt. O.K. Et après ?
— Lorsque ce sera fait, nous examinerons les systèmes. Nous avons d’ailleurs convoqué quelques spécialistes, ils sont en route. »
La Haye
Grâce au plan de la ville que lui avait remis Bollard, Manzano ne mit que dix minutes à rejoindre Europol. À l’intérieur du complexe, aucun signe visible du black-out. De la lumière rayonnait depuis quelques fenêtres dans le jour gris. Des personnes affairées allaient et venaient dans les cours et les salles. Manzano se présenta à l’accueil. Bollard en personne vint l’accueillir.
Un autre homme, trapu et gros, attendait à une petite table de réunion, devant un ordinateur portable. Bollard le présenta, un nom aux consonances françaises. « Il va scanner votre ordinateur. »
Hésitant, Manzano le lui tendit. Tandis que l’homme se mettait au travail, Bollard remit un papier à Manzano.
« Une clause de confidentialité. »
Manzano survola le texte tout en gardant un œil sur l’écran de son ordinateur.
Des formules officielles standard, de celles qu’il connaissait chez la plupart de ses clients. Il ne pensait pas qu’il apprendrait des secrets exceptionnels, ni qu’il aurait à les garder pour lui. Il signa le formulaire et le rendit à Bollard. Puis il se tourna vers le technicien, qui ne semblait ni corrompre ses données personnelles ni installer quoi que ce soit.
Le téléphone sonna. Bollard décrocha. Si Manzano pouvait entendre la voix de l’interlocuteur à l’autre bout du fil, en revanche il ne pouvait comprendre ce que Bollard disait.
« Ah ! fit ce dernier, puis il ajouta : je comprends. C’est pas bon. »
Il raccrocha, gagna son bureau et regarda quelque chose sur son ordinateur.
« C’est pas bon », répéta-t-il. Il appuya violemment sur une touche. L’imprimante à côté du bureau se mit en marche. Bollard en tira la feuille de papier et l’agita en l’air.
« Des nouvelles intéressantes. »
Il regarda l’heure.
« Mince ! Excusez-moi. Nous allons devoir arrêter là. J’ai encore deux coups de fil à passer.
— Vous pouvez encore téléphoner ?
— Nous avons des générateurs de secours qui alimentent également le téléphone. Avec des connexions distantes, ça marche encore à peu près. Avec des locales, pas du tout, pour ainsi dire. »
Bollard composa un numéro, attendit puis parla en français.
« Bonjour maman. » Sa mère. Manzano avait fait quatre ans de français à l’école et avait toujours été bon dans cette matière. Les souvenirs qu’il en avait et la proximité avec sa langue maternelle lui permirent de suivre l’essentiel de la conversation.
Il mettait sa mère en garde.
« Non, je ne peux rien dire de plus pour l’instant. Au plus tard demain ou après-demain vous en apprendrez davantage. Écoute-moi bien : remettez en marche la vieille radio que vous gardez au garage. Ne gaspillez pas vos vivres. Faites en sorte que le puits reste toujours intact. Je vais également essayer de vous envoyer les Doreuil, de Paris. Soyez gentils avec eux, je vous en prie. Passe-moi papa maintenant. »
Il se tut, tout en conservant le combiné à l’oreille.
Le petit homme épais rabattit l’écran du portable de Manzano. « Tout est en ordre, merci.
— Internet fonctionne encore ? lui demanda Manzano.
— Pour la plus grande partie de la population, à peine. Mais nous, ici, nous sommes directement reliés à une dorsale. C’est-à-dire à un réseau longue distance à très haut débit, pouvant être alimenté avec suffisamment de courant de secours. Jusqu’à présent, c’est stable. »
Il adressa un signe de la main, le pouce en l’air, à Bollard toujours au téléphone et quitta la pièce.
Manzano remballa son ordinateur tandis que l’autre téléphonait encore.
« Bonjour papa. J’ai déjà expliqué deux trois choses à maman. Il est probable que les Doreuil viendront chez vous. Ce que je vais te dire maintenant, fais-y très attention. Allez demain matin à la banque, le plus tôt possible, et retirez autant d’argent liquide que vous pouvez. Je ne voudrais pas crier au loup, mais assure-toi que ton fusil est en état de marche et que tu as suffisamment de munitions. Mais n’en dis rien à maman ni aux Doreuil. Espérons que mes inquiétudes sont infondées. Je vous aime. Salut. »
Manzano regarda Bollard, l’air soucieux. Selon lui, il n’était pas le genre d’homme à dire « je vous aime » sans raison à ses parents. Il se demandait ce qu’avait bien pu apprendre Bollard. Ce dernier, entre-temps, composait un autre numéro. Il parla de nouveau en français. Après quelques phrases, l’Italien comprit qu’il s’entretenait avec son beau-père. Après avoir raccroché, son visage était plus blême et crispé encore. La mine confuse, il regarda Manzano.
« C’est l’heure de notre rendez-vous. Allons-y. »
La salle de réunion était meublée d’une imposante table ovale. Sur l’un des murs se trouvaient six grands écrans. La plupart des gens rassemblés étaient des hommes, Manzano ne dénombra que trois femmes. Bollard lui désigna sa place et en gagna une autre, directement sous les moniteurs.
« Bonjour, mesdames et messieurs. »
Bollard était debout, il parlait anglais.
« Si tant est qu’un tel jour puisse être bon… »
Il tenait une petite télécommande. Une carte d’Europe apparut sur le grand écran au-dessus de lui. La plus grande partie du continent était colorée en rouge. Norvège, France, Italie, Hongrie, Roumanie, Slovénie, Grèce et nombre de petites régions dans d’autres pays étaient couvertes de hachures vertes et rouges.
« Jusqu’à nouvel ordre, cette salle est notre poste de commandement. Dans quel but ? Je vais vous l’expliquer tout de suite. Depuis quarante-huit heures, d’immenses territoires européens sont sans courant, même si, à certains endroits, il a été possible pour quelque temps de rétablir la livraison d’électricité. Ce sont les zones hachurées de la carte. Depuis ce matin, nous savons qu’il ne s’agit pas d’un accident. Déjà la nuit dernière, nous soupçonnions quelqu’un d’avoir introduit des codes dans les compteurs communicants des habitations privées. Par ailleurs, les centrales qui rencontrent des difficultés à se relancer sont plus nombreuses que prévu.
— Stuxnet ? demanda quelqu’un. Ou un truc dans ce genre ?
— C’est ce qu’on regarde en ce moment. Mais ça peut prendre un bout de temps avant qu’on trouve quelque chose. Depuis dix heures, les plantages informatiques mettent hors service les centres des plus importants gestionnaires de réseaux de distribution ou de transport. Ont été touchées : la Norvège, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la France, la Pologne, la Roumanie, l’Italie, l’Espagne, la Serbie, la Hongrie, la Slovénie et la Grèce. »
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