Lorsqu’on lui demanda qui était derrière tout ça, il ne fit que répondre : « Inconnu. Pour l’heure, impossible d’écarter une attaque terroriste motivée par des raisons politiques ou religieuses, ni une attaque criminelle, ni même un acte de guerre. »
La dernière remarque provoqua de nouveaux murmures dans la salle.
« Mesdames et messieurs, conclut-il, j’attends d’ici deux heures un premier rapport mettant en évidence les raisons pour lesquelles nous n’avons aucune information quant à un possible événement précédent de ce type — ainsi que tous les faits et informations qui doivent être réévalués au vu des événements. Hartlandt, vous coordonnez les investigations. »
La Haye
Marie Bollard chargea la valise dans la voiture. Les deux enfants portaient un petit sac à dos contenant leurs jouets préférés.
« Nous partons en vacances ! s’enthousiasmait Louise.
— Je veux rester ! geignait son frère.
— S’il te plaît, Paul, arrête ton cinéma. De toute façon, tu serais parti en avion chez tes grands-parents de Paris ce vendredi.
— Mais on n’y est même pas allé ! »
Elle avait peur. La nuit passée, son époux était resté longtemps au bureau. À son retour, il s’était montré crispé comme jamais, plus encore qu’avant la naissance de leur premier enfant, même s’il faisait tout son possible pour n’en rien laisser paraître. Il ne pouvait ni ne voulait lui dire quoi que ce soit. Au lieu de cela, il lui avait proposé de partir quelques jours. À un endroit où il y avait de l’électricité et de l’eau courante. Paris avait été écarté pour une raison simple : il n’y avait pas assez d’essence dans le réservoir pour qu’elle puisse se rendre chez ses parents.
« Allez, on y va.
— Papa vient aussi ?
— Papa doit travailler. Il viendra ce soir. »
Marie Bollard verrouilla la porte d’entrée. Tout avait l’air normal le long de l’étroite rue bordée de belles et anciennes maisons bourgeoises. Le ciel était nuageux.
La circulation était plus dense qu’à l’accoutumée. Rien d’étonnant, puisque tout le monde avait pris sa voiture. Elle alluma la radio. On y diffusait des reportages sur la coupure de courant. Marie Bollard se demanda comment les chaînes parvenaient à diffuser.
Une fois Zoetermeer derrière eux, le GPS les fit sortir de l’autoroute. Marie Bollard suivit les indications de la voix jusqu’à une ferme imposante.
La façade en colombages de la grande bâtisse était surmontée d’un haut toit de chaume. Dans la cour se trouvaient un véhicule tout-terrain, deux berlines et un tracteur. Elle se gara à côté.
« On descend, les enfants ! »
Elle appuya sur le bouton de sonnette en laiton de la porte en bois finement sculptée. Une femme de son âge ouvrit. Elle portait un pantalon en velours côtelé, une chemise à carreaux, un pull en laine, elle avait un visage avenant et des cheveux blonds.
Bollard se présenta, ainsi que les enfants. « Mon mari vous a contactée, dit-elle.
— Maren Haarleven, fit la propriétaire en souriant. Bienvenue. Voulez-vous boire quelque chose ou préférez-vous d’abord voir votre chambre ?
— La chambre, volontiers, s’il vous plaît. »
Il faisait chaud dans la maison. La demeure était bien entretenue, les siècles n’avaient laissé que peu de murs ou d’angles droits. L’ameublement, qui dénotait un bon goût, était de style rural. La chambre, ordonnée et confortable. Des sofas et des fauteuils profonds tapissés d’un tissu aux motifs floraux, des antiquités paysannes, beaucoup de blanc.
« C’est une de nos suites, expliqua Haarleven. Voici le salon. À côté, vous avez une cuisine et une table pour manger, une salle de bain et deux chambres à coucher.
— Une salle de bain ! »
Elle essaya la robinetterie. L’eau coula. Marie Bollard réprima un léger gémissement. Elle songeait à la douche qu’elle allait prendre dès que possible.
« C’est formidable !
— Oui, rit Haarleven. La coupure de courant ne nous fait rien. Ce serait d’ailleurs bien embêtant. Venez avec moi, je vais vous montrer quelque chose. Ensuite, nous pourrons faire monter vos bagages. »
Une fois en bas, Haarleven gagna la partie arrière de la ferme. À droite et à gauche se trouvaient deux bâtiments agricoles. Haarleven gagna celui de gauche et poussa une lourde porte. Derrière, Marie découvrit un immense hangar dont le sol grouillait de poussins. Du plafond pendaient des lampes diffusant une lumière chaude.
« Voici notre élevage de poulets. »
Paul et Louise eurent un cri de ravissement.
« Imaginez que nous ne puissions plus chauffer ici. En quelques heures, ils seraient tous morts de froid. »
Elle referma la porte, continua au bout du bâtiment jusqu’à une annexe moderne avec une porte en métal. La pièce qu’elle abritait était plus sombre. Marie ne vit qu’une grande boîte verte de laquelle s’échappaient plusieurs tuyaux et conduits.
« C’est pour ça que nous avons notre propre centrale thermique, expliqua Haarleven. On l’alimente avec du bois et des granulés de bois. Ainsi, nous sommes tout à fait indépendants du réseau d’électricité publique. Et comme nous avons également notre propre puits, nous ne remarquons rien du black-out. » Elle referma la porte. « Hormis le fait que nous ayons soudain des hôtes en plein hiver. Depuis ce matin, nous sommes complets. En une demi-heure. Quelques collègues de votre mari, je crois. Aucune idée de ce qu’il se passe. »
On l’apprendra bien assez vite, pensa Marie, en proie à un pressentiment de plus en plus sombre.
Paris
« Mesdames et messieurs », commença Guy Blanchard face aux caméras. Il remit son oreillette d’aplomb. « C’est aujourd’hui une bonne occasion pour les Françaises, les Français, mais également pour l’Europe et le reste du monde, de découvrir que le sigle CNES ne renvoie pas seulement au Centre national d’études spatiales mais également au Centre national d’exploitation du système électrique, le centre de conduite des réseaux électriques français. Je figure en toute humilité au nombre de ses dirigeants. Sans le Centre national d’exploitation du système électrique, l’autre CNES n’aurait pas même assez d’électricité pour faire du café. »
Satisfait, il jeta un regard à la horde de journalistes qui s’amassait dans la salle de presse. Il était féru de caméras et de flashes.
« Bien entendu, la panne qui a touché toute l’Europe avant-hier soir n’a pas épargné le système français. Nous tenons à nous excuser des désagréments occasionnés aux populations contraintes à vivre sans lumière ni chauffage. Cependant, comme beaucoup ont pu entre-temps le constater, nous sommes parvenus à rétablir l’approvisionnement dans de nombreuses régions en une nuit, tout du moins partiellement, à l’inverse de nos voisins et de la plupart des pays européens. La coupure complète donne beaucoup de travail aux personnes concernées. Un exemple seulement : la France tire l’essentiel de son énergie, comme vous le savez, du nucléaire. Remettre en marche les réacteurs en un temps si court n’a pas été une tâche aisée pour les responsables, mais cela a été fait de façon exemplaire.
— Monsieur Blanchard », résonna la voix de son assistante dans son oreillette.
Sans se laisser décontenancer, il poursuivit son exposé.
« Nous sommes l’un des rares pays d’Europe à y être parvenus.
— Monsieur Blanchard, c’est très important. » La voix dans son oreille l’agaça.
« En partant des réseaux français qui sont stables, il sera possible de reconstituer ceux du reste de l’Europe.
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