— Mais on ferait également entrer le loup dans la bergerie », répliqua Bollard. La pensée de devoir travailler avec cet Italien, ce révolutionnaire rouge, ne lui plaisait pas le moins du monde.
« Il est en de bonnes mains, fit Ruiz. Occupez-vous en. »
Central opérations
La réponse du directeur d’Europol le surprit. Le visage anguleux de l’homme aux cheveux sombres et courts de l’écran ne trahissait pourtant aucune nervosité inhabituelle. Les visages des membres de l’équipe rassemblés devant la caméra, dans la salle de réunion, afin de suivre la visioconférence avec leur directeur, étaient tout aussi impassibles.
Ils voulaient démontrer, pensa-t-il, qu’Europol ne souffrait pas d’une bureaucratie trop lourde, c’est pourquoi ils faisaient feu de tout bois. Il se demandait quand Berlin, Paris et les autres apparaîtraient à l’écran, comme des bêtes apeurées.
Ils allaient donc faire venir cet Italien. Et s’il avait quelque peu mis sans dessus dessous leur emploi du temps, il ne pourrait pas aider Europol. Ils s’en rendraient bien compte. Ils ignoraient parfaitement ce qu’il allait se passer. Ils auraient dû s’en préoccuper plus tôt. Ils ne pouvaient tout de même pas s’attendre à ce qu’on les laisse éternellement agir ainsi. Voilà des années que les signaux étaient clairs. Aucun n’avait songé à les prendre au sérieux. Maintenant, ils allaient apprendre à leurs dépens ce que signifie la détresse. Ce n’était que le commencement.
Ischgl
Angström ferma les yeux et se laissa caresser par les rayons du soleil. Elle savourait la chaleur de la tasse dans ses mains.
« Jamais plus je ne boierai de punch. »
Elle ouvrit les yeux. Manzano se tenait devant elle, sans pour autant lui cacher le soleil. Elle rit.
« Je me le suis promis aussi en me levant. »
Il respira profondément, se retourna et désigna les montagnes. « Merveilleux, non ? On a du mal à croire que tout ça puisse être vrai.
— Oui, répondit-elle. Tu veux du thé ou du café ?
— Je ne voudrais pas vous priver.
— On peut probablement en recommander.
— O.K. Alors un café. »
Angström prit une tasse et un thermos dans la cuisine. Ils entendaient quelqu’un s’affairer dans la salle de bain à l’étage. Lentement, le chalet se réveillait. Elle retourna dehors. Manzano s’assit à ses côtés sur le banc, serrant le mug fumant entre ses mains. Il appuya sa tête sur le mur du chalet et ferma les yeux.
« C’était une soirée agréable, hier, dit-il. Malgré tout.
— Oui », acquiesça elle en prenant la même pause détendue.
Manzano s’était montré très intéressé par son travail à l’EUMIC, puis ils avaient bavardé de tout et de rien. L’assemblée bigarrée des hôtes était restée jusqu’à trois heures du matin au coin du feu, dans le chalet de la réception. Angström avait eu l’impression que l’Italien plaisait à van Kaalden. Elle avait ri à gorge déployée à chacune de ses remarques et bu beaucoup de punch. Angström n’aurait pas voulu être à sa place aujourd’hui.
« Alors, les deux tourtereaux ? Terbanten se tenait dans l’encadrement de la porte avec une tasse de café. Y a-t-il une petite place de libre ? »
Angström trouvait la présence de Chloé inopportune en cet instant, tant elle se sentait bien.
« Là », fit Manzano sans même ouvrir les yeux et tapotant de la main sur l’espace libre du banc.
C’en était fini du calme. Terbanten se mit à deviser, Manzano, de temps à autre, ajoutait un commentaire. Angström voulut même se lever, lorsqu’elle entendit des pas crisser sur la neige.
L’une des jeunes femmes de la réception descendait le chemin entre les chalets.
« Monsieur Manzano, un certain monsieur Bollard a téléphoné pour vous. Il rappelle dans dix minutes. C’est urgent, a-t-il dit. »
Saisie d’une angoisse croissante, Angström avait suivi la discussion téléphonique de Manzano. De ses réponses, elle avait tiré des conclusions. Une fois dehors, il confirma ses craintes.
Tandis qu’ils retournaient vers le chalet, la Suédoise le questionna. « Pourquoi ne veux-tu pas y aller ? »
Manzano haussa les épaules. « Comme tu sais, je n’ai pas vraiment eu de bonnes expériences avec la police. Sans compter que je me demande vraiment si je peux leur être utile là-bas.
— Tu l’as fait une fois déjà. Donc pourquoi ne pas recommencer ?
— Je ne suis pas un spécialiste en ce domaine. Il s’agit de systèmes très spécifiques.
— Mais c’est de l’informatique.
— C’est comme si, d’un coup, tu ne devais plus mettre sur pied de l’aide d’urgence pour des populations sinistrées mais organiser une coupe du monde de saut à ski. Et ce, du jour au lendemain. Tu vois ?
— Oui, ce serait différent. Je vois ce que tu veux dire. »
Lorsqu’ils arrivèrent au chalet, les autres avaient déjà dressé la table pour le petit-déjeuner. Même le vieux Bondoni n’était plus au lit. Manzano lui fit part de ces nouvelles informations.
« Bien sûr que tu y vas ! fut le premier à s’emporter le vieil homme. À moins que tu ne veuilles laisser à ces types le soin de nous sauver ? Non, mon cher, tu ne peux pas aussi facilement te dérober à tes responsabilités. Pourquoi, autrefois, t’es-tu lancé contre les cordons de policiers ? Pour sauver le monde. Et maintenant, t’as l’occasion de le faire.
— Fiche-lui la paix, fit la fille de Bondoni à son père. C’est à Piero de décider.
— Si j’ai bien compris ce que tu fais à Bruxelles, dit Manzano à Angström, tes collègues auront beaucoup de travail dans les prochains jours. »
Elle acquiesça. « C’est précisément ce que je me disais. Si tu te décides finalement à rejoindre La Haye, demande à ce Bollard s’il peut prévoir un vol pour deux personnes. De là, il n’y a que deux heures de voiture jusqu’à Bruxelles. Sinon, je dois voir comment je peux y parvenir. La présence de tous est nécessaire. »
Berlin
Jürgen Hartlandt était inspecteur de l’Office fédéral de la police criminelle, unité ST 35. Les casernements du Treptower Park symbolisaient à ses yeux, plus que tout autre lieu berlinois, l’histoire si tragique des conflits internationaux des vingtième et vingt et unième siècles. Jadis on y formait les bataillons du Kaiser qui partaient livrer bataille, ensuite les soldats de la Wehrmacht, afin qu’ils remportent la guerre totale, puis, en 1949, c’est la police du peuple — un nom bien cynique — qui y prit ses quartiers. Depuis la rénovation complète, à la fin du siècle passé, de ce lieu affecté à l’Office fédéral de la police criminelle, les unités de la sécurité d’État y luttaient contre le terrorisme international, à la suite des attentats du 11-Septembre, et, en 2004, c’est le Centre commun de renseignement sur le terrorisme (GTAZ) qui s’y était installé.
Hartlandt se rendit directement dans la salle de réunion. Quelques collègues, la mine tendue, s’y trouvaient déjà.
Il prit place et échangea quelques suppositions. Un quart d’heure plus tard, apparut enfin le directeur du GTAZ en personne. Il salua rapidement.
« Ce matin, les autorités suédoises et italiennes ont confirmé la manipulation de leurs réseaux électriques, cela ayant conduit à la coupure. »
Il ajouta, dans un brouhaha de murmures : « L’envergure de la situation dans toute l’Europe nous fait redouter de devoir prévoir d’autres communiqués de ce type. »
Il fit un état des lieux, qui s’avérait pire encore que ce que Hartlandt avait entendu à la radio. Les responsables partaient du principe que la panne pouvait durer encore plusieurs jours, entraînant des évacuations et autres mesures d’urgence pour des dizaines de millions de personnes.
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