Mais ce bonheur ne pouvait durer. À l’instar de ses collègues du Monitoring and Information Centre de l’Union européenne, l’EUMIC, ou encore MIC, il avait compté sur une fin rapide de la coupure de courant.
Mais rien de tel ne s’était produit. Au contraire. Au cours de la matinée arrivèrent les premiers rapports et requêtes des pays membres.
Le MIC est armé vingt-quatre heures sur vingt-quatre par une trentaine de fonctionnaires de différentes nationalités et a en charge trois domaines. Le premier est de former un centre de communication continental. En cas de catastrophe, le MIC reçoit demandes et offres d’assistance de tous les pays membres. Sa seconde mission est d’informer tous les membres, mais également le public au sens large, sur ses activités et les interventions du moment. Enfin, le MIC soutient la coordination des mesures d’aide à deux niveaux. Au central, on met en relation les propositions d’aide et les besoins, on identifie les carences et on cherche des solutions. Si nécessaire, le MIC envoie des experts dans les zones concernées.
Son téléphone sonna. Comme toute la journée. Il ne connaissait pas le numéro. Un indicatif autrichien.
« Bonjour Terry, c’est Sonja Angström.
— Sonja ! Tu es bien arrivée ? »
Elle rit. « Avec quelques difficultés. J’ai appris une histoire étrange. Nous ne sommes pas le bon interlocuteur. Je présume que ça relève plutôt d’Europol. Mais je n’ai pas le numéro sur moi. Une connaissance d’une copine en vacances avec moi te l’expliquera mieux. Il s’appelle Piero Manzano, c’est un développeur italien, il a découvert une chose inquiétante. »
La Haye
À la fenêtre de son appartement, François Bollard regardait la pluie tomber. La nuit descendait doucement. Sur le gazon du petit jardin, il y avait tous les récipients qu’ils avaient dénichés dans la maison, seaux, saladiers, casseroles, verres, gobelets, boîtes en plastique, assiettes à soupe. Les gouttes de pluie faisaient clapoter l’eau dont ils se remplissaient. Derrière lui, les enfants jouaient. Marie, son épouse, lisait sur le canapé. Des bougies dispensaient de la lumière. Dans l’âtre, une flambée. C’était la seule pièce suffisamment chauffée de l’appartement.
L’idée de travailler dans une ville qui lui semblait être le symbole de l’Europe et de son administration avait plu à Bollard. De bourgeoises et fastueuses demeures trahissaient le riche passé de la ville, et le gouvernement comme la reine se trouvaient mieux dans la tranquille cité qu’à Amsterdam. L’un y avait son siège, l’autre sa résidence. Avec sa femme et ses enfants, ils logeaient dans une belle habitation du dix-neuvième siècle, à quinze minutes à pied de la mer, avec des escaliers abrupts et beaucoup de bois. Ses enfants fréquentaient l’école internationale, sa femme officiait comme traductrice.
Après plusieurs années au ministère, Bollard aspirait à relever de nouveaux défis dans un environnement international. Et les nombreuses perspectives offertes par ce poste, après avoir passé deux années à l’étranger, étaient très prometteuses.
Bollard emprunta le couloir menant à la porte du jardin et enfila ses bottes en caoutchouc ainsi que sa veste de pluie. Dans le jardin, il vida sept récipients dans un grand seau puis les replaça. Il porta le seau dans la salle de bain et le vida dans la baignoire au quart pleine. Il le remit ensuite à l’extérieur et revint dans le salon.
« Tu pourrais pas nous dénicher un groupe électrogène ? demanda Marie.
— Europol n’en a pas. Tout du moins pas pour les usages privés de ses employés. »
Sa femme soupira. « Ce n’est pas normal. Ça fait longtemps que l’électricité devrait être revenue.
— C’est ce qu’on croyait », fit son époux.
À cet instant, la sonnerie du téléphone retentit. Il se hâta dans le couloir vers le guéridon et décrocha. Son correspondant était un Danois du service journalistique, qui voulait le mettre en relation avec un collègue britannique, ce dernier ayant reçu l’appel d’un Italien en Autriche. Bollard était encore en train d’assimiler toutes ces informations lorsqu’on lui passa la communication.
Le Britannique, un certain Terry Bilback, travaillait au Monitoring and Information Centre de l’Union à Bruxelles et parla d’une étrange histoire de codes sur les compteurs italiens. Bollard écouta attentivement et posa des questions. En guise de réponse, le Britannique lui donna un nom, quelques renseignements et un numéro de téléphone. Il pourrait ainsi joindre l’Italien et en apprendre davantage.
Bollard raccrocha. Il songeait à ce qu’il venait d’entendre. Il composa le numéro autrichien.
Ischgl
Manzano raccrocha.
« Et ? » lui demanda Angström lorsqu’il rejoignit les autres qui s’étaient mis à l’aise dans le chalet de la réception, au coin du feu. Tous le regardaient avec un vif intérêt.
« C’était quelqu’un d’Europol, fit-il. Il va paraît-il informer ses collègues italiens et suédois.
— J’espère qu’il n’empruntera pas la voie officielle, lança van Kaalden. Sans quoi nous allons rester encore longtemps enterrés auprès du feu. »
En espérant que ça ne sera pas pire que maintenant, pensa Manzano. Il n’avait que succinctement et à voix basse évoqué les possibles conséquences de sa découverte avec le Français d’Europol. Il chassa ses sombres pensées.
« Y a-t-il aussi quelque chose à boire pour moi ? » demanda-t-il avec une joie feinte.
Lara Bondoni lui tendit un verre rempli d’un liquide fumant et odorant. « Et nous nous sommes aussi occupées de vous trouver une place où dormir. En raison des événements, tous les vacanciers n’ont pu arriver jusqu’ici. Quelques chalets sont vides. Vous pouvez passer la nuit dans l’un d’entre eux. Ce sera sans doute mieux que dans vos froids appartements », rit-elle en levant son verre.
Manzano but et espéra que l’alcool chasserait ses noirs pressentiments.
« Expliquez-moi donc maintenant où vous travaillez, demanda-t-il à Angström. Vous semblez avoir de très bonnes relations. »
La Haye
Bollard raccrocha et se rendit dans le salon.
« Je dois faire un saut au bureau. »
Marie le regarda.
« Un samedi soir ? » Elle le jaugea, tenta de lire sur son visage. Elle savait ce que cela signifiait, lorsqu’il arborait cet air sérieux.
« Dois-je me faire du souci ?
— Non », mentit-il.
En voiture, il ne lui fallut que dix minutes à travers les rues sombres. Au siège d’Europol, à Statenkwartier, un quartier du centre-ville, brillaient quelques lumières.
Bollard partit à la recherche de Dag Arnsby, qui lui avait fait part de l’appel.
« Regarde donc si, à tout hasard, nous avons quelque chose sur un certain Piero Manzano. »
L’autre entra le nom de l’Italien. « C’est lui ? »
On voyait sur l’écran la photo d’un homme d’âge moyen. Visage anguleux, menton proéminent, nez étroit, cheveux bouclés courts et noirs, yeux marron, teint blême.
« Piero Manzano, lut Bollard à voix haute. Un mètre quatre-vingt-sept, soixante-dix-huit kilos, quarante-trois ans, analyste-programmeur. A appartenu pendant des années à un groupe de hackers italiens qui pénétrait dans les systèmes informatiques d’entreprises et d’administrations d’État afin de mettre des failles en évidence. Raison pour laquelle il a été condamné une fois à la fin des années quatre-vingt-dix. Que du sursis. En outre, il a refait surface dans le cadre de l’opération “Mains propres”. Il a été arrêté peu de temps en 2001 lors des manifestations anti-G8 à Gênes. »
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