Respect, penses-tu ! se dit Michelsen. Le brave homme n’avait fait que contourner élégamment le « nous ne sommes pas responsables », le portant à son paroxysme.
« Peut-être qu’un des collègues travaillant dans la production de courant pourrait l’expliquer ? »
Donc il transmet le relais. Et il est brûlant. Qui le saisira ? Heffgen s’inclina en arrière et croisa les bras sur sa poitrine pour signifier qu’il en avait assez dit.
« Monsieur von Balsdorff, peut-être ? » suggéra le ministre.
L’homme, légèrement en surpoids, à la peau de fumeur aux pores dilatés, s’humectait fébrilement les lèvres de la langue.
« Hmmh ! Nous rencontrons plus de difficultés avec les centrales que ce à quoi nous pourrions nous attendre dans pareil cas. Aucun de nous n’a été jusqu’à présent confronté à une telle situation. Au cours des exercices, on a enregistré des taux d’échec allant jusqu’à trente pour cent. Nous en sommes à plus du double. Nous cherchons encore…
— Est-ce à dire, interrompit le ministre d’une voix dangereusement douce, que vous n’êtes pas en mesure de garantir un redémarrage de l’approvisionnement de base dans les heures qui viennent ? »
Von Balsdorff adressa un regard torturé au ministre.
« Tous les hommes disponibles sont à pied d’œuvre. Mais, en ce qui nous concerne, nous ne pouvons rien garantir. » Il se mordit les lèvres.
« Et vous, messieurs ? » lança le ministre à l’assemblée.
Des hochements de têtes contrits.
Michelsen était envahie du même sentiment que quelques années plus tôt, lorsque deux policiers avaient frappé chez elle et lui avaient annoncé le décès de son frère et de sa sœur. Elle voyait bien aux visages de ces chefs d’entreprise qu’ils comprenaient lentement. Malgré la température de la salle, elle se mit à transpirer et son pouls commença à s’accélérer.
Ischgl
Soulagée et impatiente, Angström considérait les sommets très enneigés qui pointaient tout autour en direction du ciel. Si près du but, elles étaient excitées et aspiraient à un bon bain, une toilette complète, de l’eau chaude, des lits propres et douillets, une soirée au coin du feu. La route partait à l’assaut d’une montagne, Angström chercha le village où elles avaient réservé leur location. Dix minutes plus tard, elles l’avaient atteinte. Sur une pente abrupte se trouvaient une dizaine de confortables maisons en bois, les unes à côté des autres. De la fumée s’élevait de quelques cheminées. Elles garèrent l’auto sur le petit parking, presque plein. Sur le premier chalet il y avait un écriteau : « Réception ».
À l’intérieur, une jeune femme en tenue traditionnelle les salua derrière le comptoir. Elle enregistra leurs noms et les autres coordonnées. « Je vous montre votre chalet. »
Elle les conduisit à travers des chemins étroits, enneigés, entre les habitations, jusqu’à l’une d’entre elles, à l’extrémité du village. Angström était émerveillée par la vue sur la vallée et les montagnes en face.
« Malheureusement, nous sommes aussi concernés par la coupure de courant, expliqua la femme. À l’intérieur des chalets, il n’y a ni lumière, ni chauffage, ni eau courante. »
Angström échangea un regard avec ses amies et lut la déception dans leurs yeux.
« Cependant, s’empressa de continuer l’employée, nous faisons tout notre possible pour rendre votre séjour aussi agréable que possible. »
Elle ouvrit la maison et les fit entrer. L’étroit couloir donnait sur une salle petite mais douillette, aménagée avec des meubles rustiques et un poêle en faïence.
« Comme vous pouvez le constater, vous disposez d’un poêle qui permet de chauffer l’ensemble du lieu. Vous n’aurez pas froid. Et il y a suffisamment de bois. »
Elle les guida ensuite jusqu’à une minuscule cuisine. « La gazinière peut elle aussi être chauffée au bois. Je ne sais pas si vous voulez cuisiner vous-mêmes, quoi qu’il en soit, vous pouvez tout à fait faire fondre de la neige pour avoir de l’eau chaude et prendre un bain. » Elle se mit à rire. « Et dehors, il y en a assez, de la neige. C’est comme dans le temps, hein, typique, non ? »
Elle redevint sérieuse et leur montra les deux petites chambres, qu’on atteignait au moyen d’une échelle de meunier. « Voici la salle de bain. Vous voyez, on a déjà préparé des baquets afin que vous puissiez faire fondre de la neige et remplir la baignoire d’eau chaude. » Face aux regards sceptiques des hôtes, elle ajouta : « Bien entendu, on vous fera une remise pour ces désagréments. Vous pourrez tout de même utiliser le sauna. Je vous le montre tout de suite. Et manger au restaurant, si vous le souhaitez. Ces deux endroits sont alimentés au bois. Elles étaient de nouveau dans la salle principale. J’espère bien entendu que vous pourrez dès demain apprécier tout le confort de votre résidence. À la réception, il y a un téléphone en état de marche, pour le cas où vous n’auriez pas de réseau. » Après avoir vu le sauna et le restaurant, elles allèrent chercher leurs bagages et s’installèrent.
« Qui prend son bain en premier ? »
Elles jouèrent à pile ou face. Van Kaalden fut l’heureuse élue.
« On commence par traire des vaches puis on porte des seaux de neige, grogna Terbanten.
— Prenons ça comme une drôle d’aventure », répondit Angström avant d’apporter deux cargaisons de neige dans le chalet.
Il faisait encore nuit lorsque Manzano et Bondoni arrivèrent au village. Après avoir dit à la femme de la réception qui ils recherchaient, elle les conduisit au chalet.
« Papa ! Qu’est-ce que tu fais ici ? Et toi, Piero ? »
Manzano avait rencontré rapidement Lara lors des visites qu’elle rendait à son père. Il l’appréciait. C’était une petite personne énergique, dont la tête n’était qu’une touffe de cheveux noirs.
« Entre donc ! Qu’est-ce que t’as au front ? demanda-t-elle en désignant sa cicatrice.
— Un petit accident », répondit-il, et les images de la victime emprisonnée dans la carcasse de sa voiture refirent surface.
Derrière Lara apparut une seconde jeune femme qui, d’après Manzano, pouvait avoir entre vingt-cinq et trente ans. Elle était plus grande, mince, ses cheveux longs, raides et bruns, formant un intéressant contraste avec ses yeux bleus. Lara Bondoni leur présenta Chloé Terbanten. Le chalet avait l’air petit mais confortable. Dans la cheminée ouverte crépitait un feu revigorant. Une troisième femme était étendue sur le banc qui courait sur deux des murs de la pièce. Lorsque Bondoni et Manzano entrèrent, elle se leva. Elle faisait à peu près la même taille que Terbanten. Malgré son épais pull-over de ski aux motifs nordiques, Manzano devina ses formes féminines. Un nez délicieusement retroussé et quelques taches de rousseur sur son visage, les cheveux jusqu’au menton, de beaux yeux bleus pétillants. Son regard se posa furtivement sur le front de Manzano, mais elle ne pipa mot. Ça me plairait bien ici, pensa-t-il, entouré de ces trois femmes.
« Sonja Angström, fit Lara, la partie suédoise de notre quatuor. La quatrième, notre Hollandaise, prend un bain à l’étage.
— Vous avez de l’eau chaude, s’exclama Bondoni. Et une baignoire ? »
Sa fille se mit à rire. « Oui, mais seulement à condition de travailler dur. Ne me dites pas que vous êtes venus de Milan pour prendre un bain ! »
Bruxelles
Terry Bilback était heureux comme jamais d’être au bureau. Il était chauffé, les sanitaires fonctionnaient, il y avait de l’eau chaude. Lumière, ordinateur, Internet et même la machine à café marchaient, contrairement à l’appartement hors de prix qu’il louait dans une banlieue de la capitale belge, d’où il n’avait pu atteindre aujourd’hui l’avenue Beaulieu qu’en voiture. Les transports en commun n’étaient pas en service.
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