« En raison de la signature horodatée du log, on pourrait remonter au début de cette propagation et identifier les compteurs à l’origine de tout ça. »
La couleur rouge se retira jusqu’à ne laisser que trois points rouges dans tout le pays.
« Est-ce à dire, demanda Livasco, que nous connaissons les trois points précis où les agresseurs ont libéré le signal ? »
Solarenti acquiesça. « Chacune des adresses. Trois en tout. »
Turin
« Nous y sommes », dit Valerio Binardi. Devant lui une lourde porte d’entrée en chêne. À côté, une sonnette sans nom. Derrière lui, six hommes du Groupe central d’opérations de sécurité, ou NOCS, l’unité antiterroriste de la police d’État italienne. Gilets pare-balles, fusils automatiques en joue, bélier.
Six autres attendaient aux fenêtres ouvertes de l’appartement du dessus, prêts à descendre en rappel dans le domicile de l’étage inférieur en passant par les fenêtres. À l’intérieur et sur les toits des bâtiments d’en face étaient postés six tireurs d’élite équipés de viseurs infrarouges. Des troupes étaient positionnées dans l’entrée et autour du pâté de maisons. Le poste de commandement mobile et les véhicules d’intervention étaient garés au coin de la rue.
Le top action arriva par radio.
Le bélier fit sortir la porte de ses gonds. Immédiatement, des grenades assourdissantes explosèrent dans le couloir. Il faisait sombre dans l’appartement. Binardi courut jusqu’à la première porte et l’ouvrit. Les toilettes. Personne. La seconde. La salle de bain. Personne. Celle du salon était ouverte. Ses collègues venaient d’y entrer par les fenêtres. Derrière lui, il entendit le piétinement des rangers. Quelques rapides regards à travers le salon. Il n’y avait personne. Un canapé et quelques étagères. Encore deux portes closes. Binardi d’un côté avec son équipe, la seconde équipe de l’autre. Une chambre avec un lit superposé. De l’étage supérieur, des yeux d’enfants réveillés en sursaut regardaient le policier. Instinctivement, il pointa son arme. Le petit se mit à crier. Puis un second dans le lit du dessous. Rapidement, Binardi regarda autour de lui, couvrit son collègue qui avait déjà bondi vers le lit, regardait dessous, soulevait les couvertures. Personne d’autre dans la chambre. Ils gardèrent leurs armes en joue. Les enfants se tapirent en criant dans les recoins les plus profonds de leurs couches.
Vingt secondes plus tard, Binardi entendit l’annonce suivante dans l’oreillette de son casque : « Deux adultes dans une chambre, manifestement, on les a réveillés. Personne d’autre.
— Sécurisé », répondit Binardi. Il sentit décroître le flot d’adrénaline qui parcourait son corps.
De toute évidence, ils auraient pu se contenter de sonner à la porte.
La Haye
Bollard éteignit le vidéoprojecteur. Depuis la nuit dernière, il était évident qu’il leur fallait économiser la moindre goutte de diesel du générateur de secours.
Après sa conversation téléphonique avec ses collègues italiens et suédois, il était rentré chez lui, non sans avoir communiqué son numéro de téléphone. Il était allé au lit dans sa chambre glaciale, nourrissant l’espoir de recevoir, au cours de la journée suivante, l’annonce de la fin de l’alerte. La sonnerie du téléphone le tira d’un sommeil sans rêves à quatre heures du matin. Les Suédois d’abord, puis les Italiens moins d’une demi-heure plus tard. Dans les deux pays, on avait constaté des manipulations des signaux dans les compteurs.
Ça ne faisait pas bien longtemps que les dangers des compteurs communicants donnaient lieu à de houleux débats. Selon la plupart des experts, ces systèmes étaient trop compliqués et suffisamment protégés pour être vulnérables sur de longues périodes et dans de grandes proportions. L’ensemble des réseaux électriques européens correspond au critère n-1. Ainsi, à chaque instant, un des ouvrages électriques peut tomber en panne — un transformateur, une ligne, une centrale — sans pour autant que les autres soient surchargés. En aucun cas ce type d’incident ne doit empêcher le courant de transiter. En raison d’importants défauts, ou d’intempéries, plusieurs de ces incidents peuvent avoir lieu en même temps. Malgré tous les règlements et les mesures de précaution, les manquements humains peuvent également conduire à des accidents. Et provoquer alors des pannes électriques. Jusqu’à nos jours, très rares ont été en Europe les attaques suivies de conséquences commises contre la distribution d’électricité. Ce genre d’opérations a très largement émané de mouvements nationaux extrémistes, comme au cours de la « nuit de feu », dans le Tyrol du Sud. Mais, en ce moment, c’était autre chose.
Trente minutes plus tard, Bollard était assis à son poste de travail. Il prévenait tous ceux qu’il pouvait joindre. Pendant ce temps-là, les bureaux italien et suédois envoyèrent un compte-rendu de leurs premières découvertes. À sept heures, une grande partie de l’équipe s’était réunie. Il ne manquait que le directeur d’Europol, Carlos Ruiz. L’Espagnol s’était envolé jeudi pour un sommet d’Interpol à Washington. Il participait à la réunion grâce à une ligne téléphonique d’appoint.
« Nous devons mettre en place une action coordonnée, annonça Bollard. Les collègues suédois et italiens ont chacun identifié trois points d’entrée dans le réseau. Les unités spéciales d’intervention peuvent examiner les logements concernés sous deux heures. Les investigations sur les occupants, ou les précédents, tournent à plein régime. À l’issue de cette réunion, on informera officiellement la Commission européenne, Interpol et les autres administrations, selon la procédure. »
Il fit une pause. « Je crois que nous sommes tous conscients de la gravité de la situation. Cette mobilisation pourrait être la plus importante depuis la création de notre organisation. »
Ils entendirent le directeur Ruiz, par le haut-parleur de l’ordinateur, sur l’écran duquel apparaissait son visage, annoncer : « À partir de maintenant, tous les congés sont suspendus. Tous les employés doivent être à leur poste dans les meilleurs délais. Est-il exact, continua-t-il, que ces informations cruciales proviennent d’un programmeur italien ?
— L’homme apparaît d’ailleurs dans nos fichiers, répondit Bollard.
— Pour quelles raisons ?
— Un hacker. Et un très bon, semble-t-il. C’est-à-dire, il s’introduit partout où il veut. Ça remonte à quelques années.
— White hat ou black hat ?
— Difficile à dire », répondit Bollard non sans surprise. Il n’aurait pas pensé que le directeur considérerait les choses de cette manière. À ses yeux, tous les hackers étaient des criminels. Même si les white hats ne faisaient rien d’autre que s’infiltrer dans des réseaux pour mettre des failles de sécurité en évidence, selon lui ils restaient des hors-la-loi. Quant aux black hats, ils pillaient et vandalisaient.
« En outre, il manifestait dans les années 1990 pour l’opération “Mains propres”. Il a aussi été arrêté au cours des incidents contre le G8 à Gênes.
— Se peut-il qu’il soit lié à l’affaire ?
— Ce n’est pas exclu.
— S’il a les mains propres et qu’il est aussi fort que vous le prétendez, il peut nous aider. Il l’a déjà fait une fois. Dans cette affaire, nous devons recourir à tous les hommes de bonne volonté, y compris à des collaborateurs extérieurs. Et s’il était impliqué dans ce sabotage, alors nous l’aurions à nos côtés et ne pourrions que mieux le surveiller.
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