Deux minutes plus tard, le rédacteur en chef entre en trombe dans le hall.
« Mon Dieu ! Que t’est-il arrivé ?
— Je te raconterai. Mais il me faut un bon bain.
— Et comment ! Chander était dans le même état. Vous avez dû passer dans un cloaque ?
— Pendant que tu t’amusais sur la place », répond-elle en lui donnant son sac à dos, qu’il saisit du bout des doigts. La sonnerie de son téléphone retentit. Un air de rock.
La journaliste s’enferme dans sa chambre et renonce au bain. Elle a passé suffisamment de temps dans l’eau pour la journée. Elle prend la plus longue douche de toute sa vie.
Elle rejoint ses deux collègues une heure plus tard. Tous deux, des lunettes sur le nez, sont installés dans la cour de l’hôtel, chacun devant un ordinateur portable. Sur un imposant barbecue, grille de la viande.
Elle commande un verre avec beaucoup de gin et de sucre. Il lui faut au moins ça. Puis elle commence à raconter. Après avoir hésité, elle se décide à parler de l’instant où elle a failli boire la tasse à tout jamais.
« Quelqu’un a essayé de te noyer ? » D’excitation, Anthony vide son verre de bière d’une seule traite.
« Et alors le gars à la casquette t’a porté secours ? » demande Chander en haussant les sourcils.
— Mouais… C’est ce qu’il prétend, en tout cas, intervient le rédacteur en chef. C’est peut-être lui, après tout, qui a voulu la tuer. Pour récupérer son ordinateur. Ou pour prendre sa revanche à cause de la traque. On doit aller chez les flics !
— Je n’ai pas l’ombre d’une preuve… » Elle se tourne, baisse sa tête pour leur montrer sa nuque, remonte ses manches au-dessus de ses coudes. « Vous voyez quelque chose ? Des marques ? Des bleus ?
— Non, répondent-ils après un bref examen.
— Voilà. Alors à quoi bon aller à la police ? »
Elle s’apprête à continuer son histoire lorsqu’Anthony détourne le regard pour entamer une conversation téléphonique grâce à ses lunettes. Il s’éloigne de quelques pas pour pouvoir discuter discrètement.
« C’est tout le temps comme ça, regrette Chander. La chasse de ce Zero nous a donné une certaine visibilité. Il n’arrête pas d’être contacté par tout un tas médias. Mais toi, comment vas-tu ? » demande-t-il, compatissant. « Puis-je faire quelque chose pour t’aider ? »
Tu pourrais me prendre dans tes bras, pense-t-elle. Mais elle se contente d’un bref remerciement.
Anthony revient. « Alors, que faisons-nous maintenant ? La police ?
— Non, non !
— Mais tu n’as pas encore tout raconté. Que s’est-il passe ensuite ? Il a filé ? Vous avez parlé ?
— Non. » Elle le dévisage. « Il voulait récupérer son ordinateur.
— Et tu l’as… ? Merde !
— De toute façon, il devait être foutu, observe Chander. À cause de la flotte.
— Et qui étaient ces autres personnes qui le poursuivaient ? » s’enquiert Cyn pour détourner la conversation.
« C’est ce qu’analyse notre équipe », répond Anthony, enthousiaste. Il lui montre la page du journal consacrée à la recherche de Zero. « Des centaines de milliers de personnes, dans le monde entier, prennent part aux discussions ! En fait, il s’agirait de reporters amateurs qui voulaient participer à notre chasse à l’homme. Ils ont publié leurs vidéos sur les réseaux sociaux.
— C’est dingue, juge Cyn.
— Mais pas tous, précise Chander. C’est aussi ce qu’a pu constater notre équipe.
— C’est fou de voir ces inconnus participer à tout ça ! » Impossible d’arrêter le rédacteur en chef, tant il est enthousiaste. « En comparant les différents enregistrements, ils ont remarqué que huit des poursuivants ont coursé notre homme dès le quartier des musées. Et cinq d’entre eux n’ont rien diffusé. » Tout à son excitation, il fait apparaître les séquences vidéos. « Grâce aux autres poursuivants, nous avons obtenu des images de ces cinq hommes. Malheureusement, elles ne sont pas d’assez bonne qualité pour être analysées grâce au logiciel de reconnaissance faciale. Sans compter qu’ils portaient des lunettes teintées et des casquettes. D’ailleurs, les autres ont aussi beaucoup discuté au sujet de leurs lunettes. Manifestement, elles embarquent des dispositifs qui neutralisent l’efficacité des programmes de reconnaissance faciale, évitant ainsi toute possibilité d’identification. On recherche maintenant d’autres signes caractéristiques chez ces poursuivants, comme des taches de naissance ou des tatouages. Vous voyez ? Certains croient avoir identifié deux d’entre eux comme étant des agents de la CIA.
— Les gens aiment la théorie du complot », remarque la journaliste, sceptique. Puis elle repense aux paroles du jeune homme. Il n’y avait pas que vous à mes trousses, mais des gens d’une autre trempe.
« C’est pas complètement aberrant, remarque Chander. Les chances que nous ayons levé l’un des membres de Zero sont élevées. Nous avons fait exprès le déplacement pour Vienne. Pourquoi pas les services secrets ?
— Alors il avait raison. » Elle frissonne.
« Qu’est-ce que tu veux dire ? » l’interroge Chander.
CIA. Sheeld. Freemee. Cyn aimerait que son patron ne soit pas là pour pouvoir s’entretenir en tête-à-tête avec Chander.
« C’est nous qui avons mis les services de renseignement sur les traces de Zero.
— Je crois qu’ils auraient réussi sans nous.
— C’est à cause de nous qu’il a publié la vidéo avec Kosak et Washington, alors qu’elle comportait une erreur qui nous a permis, comme à d’autres, de remonter jusqu’à lui.
— Je pense qu’il l’aurait aussi publiée si nous n’avions pas été là, dit Chander.
— Ça ne me plaît pas. » Elle hoche la tête.
« Comment séparer le bon grain de l’ivraie dans tout ce bazar ?
— Les gens le feront d’eux-mêmes tôt ou tard. Frances les aide en intervenant sur le forum, rappelle Chander.
— Nous avons même recruté deux stagiaires supplémentaires, dit Anthony. Toute seule, elle ne pouvait pas faire face. Même si elle est très douée. Jeff contrôle l’ensemble et Charly fait des recherches. Nous sommes le média du moment ! On a des millions de lecteurs dans le monde entier ! Il est temps que tu t’y mettes à ton tour, Cyn ! »
Elle regarde dans le vide, pensive. Elle repense à sa journée. La traque de l’inconnu. Toujours plus de gens dans les canalisations. Des rats. Elle vide son verre d’un trait.
« OK, dit-elle. Passe-nous en direct. Je vais parler de ce que j’ai vécu dans les égouts. Quick n’ dirty, comme tu dis.
— Ici ?
— C’est un super décor, non ?
— Bien. »
Il murmure quelques ordres, puis ils sont en direct. Il regarde Cyn.
« Bonjour, c’est Anthony Heast, du Daily. Je suis en compagnie de notre journaliste Cynthia Bonsant, qui a poursuivi Zero au plus profond des égouts de Vienne. Cynthia, peux-tu nous parler de ce que tu as vécu là-dessous ? »
Elle sourit à la caméra avant de parler.
« C’était de la merde, Anthony. » Sa mine ahurie l’amuse. « Nous avons poursuivi une personne qui n’a rien fait d’autre que de ridiculiser le plus grand empêcheur de tourner en rond de la planète. Ce que lui et ses sbires font matin et soir partout dans le monde. Personnellement, je présente à Zero toutes mes excuses et refuse de participer davantage à cette mascarade. Ce à quoi nous nous livrons est insensé. Dorénavant, vous le chercherez sans moi. »
Anthony la regarde, médusé. Il a l’air en colère et chuchote des instructions aux bureaux de Londres. Il enlève ses lunettes, les pose à l’écart.
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