— Ou bien la reconnaissance faciale n’a pas fonctionné, objecte Eddie. Ainsi, tu l’aurais blessé sans raison.
— Pourquoi n’aurait-elle pas fonctionné ? demande Adam.
— Étrange, tout de même », intervient Sally en cherchant le regard d’Eddie.
Soudain, leurs téléphones émettent une sonnerie stridente de sirène de police. Viola manque de laisser tomber le sien.
« Waouh ! » s’exclame Adam. Puis de chuchoter : « Silence, ne vous faites pas remarquer. »
Prudemment, il retire les lunettes du nez de Bettany tout en veillant à ne pas les changer de direction, puis les chausse.
« Eh ! » proteste son amie.
Viola s’interpose. « Chut ! »
Sur son téléphone, elle comprend ce que l’alarme signifie. Un visage entouré d’un cadre bleu clignotant. Celui de l’homme costaud qui se dirige vers eux. Il ne se trouve peut-être qu’à sept ou huit mètres maintenant. Il s’approche d’une démarche chaloupée, roulant des mécaniques, des bras de gorille, les poings fermés. Il porte une casquette de base-ball au-dessus de ses lunettes de soleil, menton et lèvres sont proéminents. Une imposante chaîne pend à son cou.
À côté du cadre apparaît un avis de recherche assorti d’une photographie.
Wanted :
Lean, Trevor
Londres
Date de naissance : 17/04/1983
Délits : effractions, vols, coups et blessures
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« Merde ! s’exclame Eddie. Qu’est-ce qu’on fait ?
— On appelle la police, non ? fait doucement Adam. Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? Vous faites pas remarquer. Appel d’urgence », murmure-t-il.
Le pouls de Viola s’accélère. Elle n’ose pas regarder en direction du type qui se trouve presque à leur niveau maintenant, et lui tourne même le dos. Elle ne quitte pas son téléphone des yeux. Adam, lui, fixe le criminel, de sorte que Viola ne perde rien de la scène.
Devant les yeux d’Adam un symbole de téléphone assorti du numéro d’urgence apparaît.
Lean regarde autour de lui. Il regarde Adam droit dans les yeux. Le jeune homme détourne le regard. Trop tard. Lean accélère le pas.
Grâce à son smartphone, Viola entend la voix féminine de la Metropolitan Police qui parle à Adam. Le souffle court, il lui explique qui ils ont rencontré et à quel endroit. Il se met à marcher derrière Lean, à quelques pas de lui, tout en continuant à le regarder. Viola et les autres se lancent au pas de course derrière leur ami. Viola a un pressentiment désagréable. C’en est fini de jouer.
Voilà longtemps que les Londoniens se sont habitués aux objectifs qui surveillent nuit et jour leurs faits et gestes. C’est le cas de ce groupe de jeunes qui se hâtent dans Mare Street. Ils ne prêtent qu’à peine attention aux caméras installées dans les années 1990. Pas plus à celle qui se trouve cent mètres derrière eux qu’à celle située trois cents mètres plus loin. Les prises de vues sont transmises quasiment à la vitesse de la lumière. Et dans la mesure où aucune force armée n’a à sa disposition trois mille policiers à installer devant autant d’écrans, c’est un ordinateur qui accomplit le travail. Lorsque le logiciel remarque quelque chose d’inhabituel, une alarme se déclenche et les images sont envoyées sur un écran devant lequel est assis un ou une fonctionnaire en chair et en os, bien souvent un opérateur de l’unité de vidéosurveillance rapprochée de Lambeth (Closed-circuit télévision, CCTV), l’un des trois postes de commandement de la London’s Metropolitan Police. Seule la police est autorisée à utiliser ce circuit de caméras fermé. En théorie. Lorsque l’un des opérateurs de l’unité de vidéosurveillance reçoit des images suspectes sur son écran, il en informe l’équipe qui se trouve dans la pièce attenante.
Là, des dizaines de policiers et de fonctionnaires en civil, installés devant un nombre impressionnant d’écrans, prennent les appels, en évaluent l’urgence, dépêchent des forces d’intervention si nécessaire et coordonnent les opérations. Les chuchotements et les bourdonnements de leurs voix emplissent l’endroit.
Au-dessus de leurs têtes s’étendent sur deux des côtés de la salle d’impressionnants murs d’écrans qui relaient les images sans cesse changeantes des caméras. Immeubles, tramways, vues d’ensembles, gros plans, différentes perspectives, véhicules mal garés, badauds ou gens pressés forment un panorama de Londres en forme de mosaïque, un panoptique mouvant, un patchwork vivant. De quoi devenir fou pour qui n’y est pas habitué.
Un opérateur récupère l’appel d’Adam tandis que l’on voit sur l’écran de son ordinateur les images de l’unité de vidéosurveillance.
L’opérateur comprend rapidement ce dont il s’agit. Un individu court dans la rue animée, quatre autres le suivent à une certaine distance, plus lentement. L’homme pressé doit probablement être ce Trevor Lean. Il fait un zoom pour cadrer les quatre amis et le criminel. Le visage du suspect est méconnaissable à cause de sa casquette. Il est vêtu d’un jogging sombre. Les poursuivants sont jeunes, ils doivent avoir environ dix-huit ans, selon l’opérateur. Le premier d’entre eux est costaud et porte des lunettes. Il n’a pas de téléphone. Comment fait-il alors pour appeler ? L’autre garçon est un peu plus petit et plus mince, il a l’air plus souple. Deux jeunes filles marchent un peu en retrait.
OK mon garçon, je le vois, murmure l’opérateur. Puis parlant dans son micro : « Monsieur Denham, je vous vois grâce aux caméras de vidéosurveillance. Ne prenez aucun risque ! »
À cet instant, le criminel bascule sa tête en arrière pour respirer profondément. L’opérateur parvient alors à l’identifier. Il fait une sauvegarde de l’image. Mais elle est de trop mauvaise qualité pour une reconnaissance faciale.
« Cherche-moi ce Trevor Lean », demande-t-il à son voisin de droite. Ce dernier ouvre une base de données, entre son nom. Un visage et de multiples informations apparaissent. L’opérateur louche sur l’écran de son collègue. Nul doute, il s’agit bien du même homme.
« Monsieur Denham ? Vous m’entendez ? »
Pas de réponse.
De toute façon, quelqu’un a besoin d’aide. Sans compter la pagaille que peut provoquer dans le public une chasse à l’homme. Il doit y mettre fin pour éviter toute panique. Il entre en contact avec les patrouilles proches : « Poursuite à pied dans Mare Street, à hauteur de Richmond Road. Plusieurs personnes. L’une recherchée par la police et dangereuse. »
Les gens s’écartent devant Lean, qui jette un regard apeuré par-dessus son épaule.
« Que fais-tu, Adam ? demande l’opérateur. Nous avons Lean dans notre viseur. Laisse-le courir. On va l’attraper. »
Viola court dix mètres derrière Adam et Eddie. Sally est à ses côtés, à bout de souffle. Ils ont semé Bettany. Viola ne parvient à regarder son téléphone, qui retransmet ce que voit Adam, qu’à de brefs moments.
Stop ! Ne le suivez pas !
En lettres capitales rouges, le texte clignote sous les yeux d’Adam. Pourquoi d’ailleurs continue-t-il de courir après le fugitif ? Auparavant, jamais il n’aurait osé.
Viola hésite, laisse l’écart se creuser. Soudain, elle voit Lean tirer un objet métallique de sa ceinture de pantalon. Elle est pétrifiée. Elle jette un coup d’œil sur son téléphone. Malgré la piètre qualité de l’image elle reconnaît clairement un pistolet.
« Adam ! glapit-elle, il est armé. »
« Fuck ! » lâche l’opérateur en appuyant sur le signal d’alarme. « Un homme armé dans Mare Street ! » hurle-t-il dans son micro, convoquant toute son équipe. Ses trois collègues des postes voisins se joignent à lui.
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