— Viens.
Elle s’allonge. Je la rejoins, soude mes lèvres aux siennes.
Son ventre est brûlant. Je la pénètre avec fougue, l’envahis pleinement. Elle agrippe mes fesses, ses doigts s’enfoncent dans ma chair. Nos peaux se retrouvent, fusionnent. Rien ne compte plus que de la posséder.
Nos corps ondoient, vibrent en harmonie. Mon désir grandit, le sien s’épanouit au creux de ses reins. Des fourmillements parcourent mes jambes.
Elle bascule la tête en arrière.
— Maintenant.
Un orgasme vertigineux nous emporte. Nous jouissons en chœur, dans un concert de râles et de cris.
Je m’affale, vidé, repu.
— Je t’aime, Camille.
Ses yeux s’emplissent de larmes.
Elle passe une main dans mes cheveux.
— Je ne sais plus où j’en suis. Dis-moi de partir au bout du monde, de chasser ce rêve impossible, de t’oublier à jamais.
Mon arrivée inattendue produit l’effet escompté.
L’équipe me réserve un accueil triomphal. Ils m’embrassent, me bombardent de questions. Je me contente de répondre dans le vague, oui, tout s’est bien passé, j’ai obtenu ce que je voulais, vous en saurez plus très bientôt.
Mes cheveux sont encore trempés et j’ai les jambes en compote.
Pas dupe, Éloïse me détaille de la tête aux pieds.
— Ça a l’air chaud, l’Ukraine.
— Torride.
Après les derniers potins et la tournée de café, je débarque chez Christophe.
Il lève les yeux, contrarié.
— Tu es déjà là ? Je t’attendais demain.
— J’ai zappé la visite des musées. L’article est bouclé.
— Envoie-le-moi, je le lirai tout à l’heure.
Son manque d’enthousiasme me refroidit. Je n’ai sans doute pas choisi le bon moment. Je retourne à mon poste, lui expédie le document et me mets au travail.
Il me convoque quelques minutes plus tard. Mon texte est ouvert sur son écran. Il veut en savoir plus sur les conditions dans lesquelles j’ai obtenu les témoignages, les dates, les noms et la logique que j’ai suivie pour tirer mes conclusions.
Il m’écoute, imperturbable, prend quelques notes.
— Merci, je te fais signe.
Je ressors et tente de me rassurer. Mon reportage est solide, je lui ai fourni des réponses concrètes.
Dans la foulée, je téléphone à Raf.
Il décroche après un siècle, la voix éraillée.
— Salut, Fred. Tu es rentré ?
Plutôt que de lui raconter mon trip, je lui propose un rendez-vous demain soir, avant qu’il prenne son service.
Il insiste.
— Mon père y était ?
— Un témoin l’a reconnu, mais son rôle n’est pas clair.
— Merde !
— Ne t’emballe pas. D’après ce que j’ai appris, il n’a pas participé au carnage.
— Tu dis ça.
Je le sens abattu.
— Qu’est-ce qui se passe, Raf ?
— Je ne dors pas. J’ai mal au bide. En plus, Gwen me tire la gueule. Je ne sais pas ce qu’elle a. Elle pense que je suis sur une autre meuf.
Tombeur comme il est, ça ne m’étonnerait pas.
— C’est comme ça, les nanas. Ça change d’humeur et d’avis tout le temps.
— Elle dit aussi que tu as une mauvaise influence sur moi.
— Ce ne serait pas la première.
— Pourtant, je ne lui ai rien dit, je te promets.
J’abrège avant qu’il me raconte sa vie sentimentale.
— On en parle demain.
Je raccroche et jette un coup d’œil vers le bureau de Christophe. Il est en grande conversation avec Damien, le rédac-chef adjoint. Ce dernier hausse les épaules, lance les bras au ciel. À coup sûr, mon article est au centre du débat.
Je descends fumer une clope pour me calmer.
Camille vient aussitôt me tourmenter. Je ressens l’empreinte de son corps dans le mien. Son parfum emplit mes narines, le souvenir de notre orgasme vibre encore dans mes muscles.
Sa dernière phrase résonne dans ma poitrine comme une menace ou une promesse avortée.
« Je ne sais plus où j’en suis. »
Les nanas, ça change d’humeur et d’avis tout le temps.
Un appel de Jeremy m’arrache à mes pensées. Comme de coutume, il est surexcité. Il me propose la soirée du siècle au Doktor Jack. Gin premium, murge et tétrachiée de meufs assurés. Je lui promets de le rejoindre vers minuit et remonte à la rédaction.
Christophe et Damien m’attendent, l’air préoccupé.
— Allons dans la salle de réunion.
Je leur emboîte le pas, les tripes tenaillées par un mauvais pressentiment. Ils s’asseyent d’un côté de la table, je m’installe en face.
Christophe ouvre le feu.
— Nous ne pouvons pas publier ton article.
Un poulpe glacial se pose sur ma tête, déploie ses tentacules sur mon visage.
Damien embraie, le ton cassant.
— Tes sources ne sont pas fiables. Si ce que tu avances est vrai, ton enquête doit être mieux bétonnée.
— Qu’est-ce que tu reproches à mes témoins ?
— Le premier est une sorte de nazi dont on ne peut pas citer le nom. On lui a donné un coup de fil, on lui demandait, quelqu’un lui a transmis des instructions, un homme les a fait entrer, rien de précis. Rien ne prouve qu’il était sur place. Pire, tu as allongé 5 000 euros pour qu’il te raconte cette histoire. Pour la moitié, je peux te trouver dix guignols qui jureront avoir fait partie des tueurs du Brabant.
— Il a parlé de mercenaires, il en a reconnu deux sur les photos.
Il secoue la tête.
— Non, Fred. Il t’a semblé qu’il reconnaissait ces hommes sur ces photos, c’est différent. Pour ce qui est du type sur le toit, la séquence dure trois secondes. Comment peux-tu garantir que c’est ce Lekieffre, par ailleurs inconnu au bataillon ?
— Tadeusz est catégorique.
Christophe intervient.
— Soyons sérieux, Fred. Ces images sont floues. Même si ce type était mon frère, je n’oserais pas certifier que c’est lui.
Je n’abandonne pas la partie.
— Ce que dit Iouri ne vous va pas non plus ?
Damien reprend le flambeau.
— Ton Iouri n’est pas un témoin objectif. Sa femme a été tuée ce jour-là. Son rapport ne vaut pas grand-chose. Il n’était pas présent dans la Maison. Il a vaguement parlé à quelqu’un.
— Il a parlé à Régis Bernier, il l’a identifié.
— Sur une photo qui date de 2010. En plus, il cite un Francis, pas un Régis. Et le Bernier en question ne peut pas confirmer.
— Pour cause, il a été assassiné le 18 juin.
— Non, il s’est suicidé, la police est formelle.
Ils se foutent de moi.
Je hausse le ton.
— Deux témoins directs qui ne se connaissent pas affirment la même chose. De plus, ils sont dans des camps opposés. Tout a été planifié, organisé. Des mercenaires encadraient les voyous, des flics étaient groupés à l’arrière du bâtiment et n’ont pas bougé le petit doigt. Une centaine de personnes se sont fait massacrer, et on va fermer notre gueule ?
Christophe temporise.
— Tu as fait du bon boulot, Fred, mais tu as encore beaucoup de choses à apprendre. Tu es resté en surface, tu n’apportes pas de preuves tangibles pour dénoncer un complot. Le moindre chroniqueur démolirait ton texte en deux minutes. Pas de faits avérés, pas de noms, pas de documents. Sans compter que nous aurions des comptes à rendre au ministre des Affaires étrangères qui nous suspecterait de vouloir provoquer un incident diplomatique avec l’Ukraine.
— Qu’est-ce qui vous manque ?
— Du solide. On marche sur des œufs. De toute façon, on a assez perdu de temps avec cette affaire.
Je désigne Damien du menton.
— Si tu penses que mon nom n’en impose pas assez, tu n’as qu’à signer l’article.
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