— Je ne sais pas. Du moment que je récupère ma fille, c’est tout ce qui m’importe. Et Calvin ?
— Il est sorti du bloc. Ça ira. » Flanagan prit une inspiration. « J’aimerais m’excuser…
— Pas la peine.
— Si. Je voulais une réponse facile, une résolution rapide. J’aurais dû écouter ce que vous me racontiez. »
Lennon secoua la tête, un mouvement imperceptible. « Vous avez tenu compte des informations dont vous disposiez. J’aurais agi comme vous. »
Flanagan s’immobilisa, debout près du lit.
« Je vais vous aider, dit-elle, dans la mesure de mes moyens. Vous méritez cette pension que vous réclamez. Je ne peux rien promettre, mais j’ai rendez-vous avec l’ACC demain après-midi. S’il le faut, je saisirai l’Ombudsman et le Conseil supérieur de la police.
— Merci.
— Dommage, quand même. J’aurais toujours besoin d’un bon élément dans mon équipe. »
Une esquisse de sourire sur le visage amoché de Lennon. « Vous me foutriez dehors en moins d’un mois.
— Peut-être… On ne saura jamais. »
Elle allait sortir, une main sur l’épais rideau, quand Lennon lança :
« Dan Hewitt.
— Oui, quoi ?
— Il sait que vous avez vu mon dossier sur lui.
— Exact.
— Faites gaffe. Il est dangereux.
— C’est marrant, répliqua Flanagan. Il m’a dit la même chose sur vous. »
« Je ne regrette pas mon geste », dit Ida Carlisle.
Une odeur d’eau de Javel et d’urine flottait dans la cellule. Appuyée contre le mur, Flanagan sentait la pierre lui glacer les épaules. Ida, vêtue d’un pyjama en papier, était assise sur le mince matelas recouvert de vinyle qui tenait lieu de lit, les mains croisées, un pansement sur le poignet qu’elle avait essayé d’entailler.
« Vous devriez le regretter, dit Flanagan. Du moins, c’est ce que je suis censée vous dire. Mais je n’y arrive pas.
— Quelle heure est-il ? » Ida regarda la fenêtre. Au-delà, le noir impénétrable.
« Pas loin de minuit. Essayez de dormir un peu. Vous passez devant le juge à neuf heures.
— Que vont-ils faire de moi ?
— Difficile à dire. Nous demanderons l’indulgence, mais vous serez condamnée à une peine. Impossible de l’éviter. En tout cas, ce ne sera sans doute pas une prison de haute sécurité.
— Est-ce que j’aurai le droit d’assister à l’enterrement de Rea ?
— Bien sûr. Je vous accompagnerai. »
Ida sourit. « Merci. Vous êtes quelqu’un de bien. »
Flanagan lui rendit son sourire. « Vous aussi. Vous vous êtes retrouvée dans une situation difficile, c’est tout. »
Ida baissa les yeux. « Je ne suis pas quelqu’un de bien. Je le croyais, mais ce n’est pas vrai. Quelqu’un de bien aurait défendu sa fille. »
Flanagan alla s’asseoir à côté d’elle et lui prit la main. « Une situation difficile, je vous le répète.
— Et lui ?
— Monaghan ? Il s’en remettra, et il sera accusé du meurtre de Rea. En ce qui concerne le registre, il faudra un peu de temps avant d’éclaircir toutes les affaires et, éventuellement, le poursuivre en justice, mais il sera jugé pour ce qu’il a fait à votre fille. Je vous le promets. »
D’un doigt, Ida toucha délicatement Flanagan sous le menton. « Et vous, comment allez-vous ?
— Ça va. Fatiguée. Mais je survivrai.
— Vous l’avez dit à votre mari ?
— Non. Ce soir… Je lui parlerai ce soir.
— Je parie que c’est un homme gentil.
— Oui, très.
— Alors, il voudra savoir. Il le mérite. Et je suis sûre qu’il se montrera à la hauteur, quels que soient vos besoins. Il vous tiendra la main tout du long. C’est ce que font les hommes bien. »
Flanagan l’attira contre elle et la serra dans ses bras.
Le trajet lui prit moins d’une demi-heure. Avant de démarrer, elle envoya un texto à Alistair lui annonçant qu’elle partait. Elle baissa les vitres de la Volkswagen, se servit du vent frais de la nuit pour aérer son esprit et chasser la fatigue.
Flanagan savait qu’elle aurait dû profiter de ce moment pour se préparer à la conversation qu’elle allait avoir avec son mari, mais ses pensées la ramenaient sans cesse à Ida Carlisle, et à sa pauvre fille. Elle se demanda qui était Rea Carlisle dans la vie. Au fil de ses enquêtes, elle en venait souvent à connaître les victimes, comme de vieilles amies qui réintégraient brusquement son cercle après l’avoir quitté longtemps auparavant. Mais pas Rea. Toute à son impatience de régler l’affaire, elle s’était trop polarisée sur Lennon.
Elle décida de mieux connaître Rea. Elle le lui devait bien, et à sa mère aussi.
Alistair l’attendait à la table de la cuisine devant un verre de sa bière préférée, blonde, américaine, et beaucoup trop chère. Il lui avait servi un gin-tonic. Avec des bulles qui pétillaient sur la tranche de concombre glissée entre les glaçons.
Il se leva pour l’accueillir. Après avoir posé sur la table le verre qu’il lui tendait, elle l’embrassa. Surpris, il resta d’abord un peu raide, puis se détendit et la prit dans ses bras.
« Qu’est-ce qui t’arrive ? demanda-t-il quand ils se séparèrent. Une raison en particulier ?
— Non, aucune. Ça va, les enfants ?
— Oui. Ils t’ont réclamée, mais je leur ai dit qu’ils te verraient demain matin. J’ai juste eu un peu de mal à coucher Eli. À part ça, pas de problème. Et je ne les ai pas laissé regarder le journal télévisé.
— Tant mieux. » Flanagan attrapa son verre et s’assit à la table. Alistair s’installa en face d’elle.
Il l’observa un moment.
« C’était dur aujourd’hui ?
— Plutôt, oui.
— Tu aurais pu être blessée ? » Il essayait de masquer l’inquiétude dans sa question, et elle l’aima pour cet effort.
« C’est toujours une possibilité, répondit-elle. Tu le sais. Mais je n’ai rien, et c’est ce qui compte. »
Il se rembrunit. Sa voix, pourtant, n’était empreinte d’aucune dureté. « Ce qui compte, ce sont les enfants. Je vis dans la peur constante de devoir les réveiller, un matin, et leur annoncer que tu ne rentreras pas à la maison. »
Flanagan vit le tremblement de ses mains, l’émotion dans ses yeux.
« Chéri, il faut que je te dise quelque chose. »
Lennon se tenait en retrait derrière la foule. Suffisamment loin pour ne pas avoir à entendre les sanglots de la veuve et des enfants de Roscoe Patterson près de la tombe. De gros nuages gris s’amoncelaient au-dessus du cimetière, chargés d’une légère bruine.
Nombreux parmi les visages lui étaient familiers. Il les avait tous arrêtés, à un moment ou un autre. Et certains le reconnaissaient malgré les points de suture et les hématomes. Il demeura indifférent aux regards haineux.
Alors que l’assemblée endeuillée se dispersait, il chercha Dixie Stoops. Il le trouva en train de claquer le dos et de serrer les mains de Rodney Crozier et Dandy Andy Rankin, deux hommes qui, sous ses yeux, avaient tenté de se tuer l’un l’autre deux ans et demi auparavant.
Rankin le détailla de haut en bas. « Mince alors. Un enterrement, ça fait remonter la merde à la surface, hein ?
— Comment va le palpitant, Dandy ?
— Vous pouvez vous le mettre au cul. » Rankin poussa Crozier du coude et ils partirent ensemble. Lennon resta seul avec Dixie.
« Triste journée », dit Dixie.
Lennon hocha la tête. « Je suis désolé de ce qui s’est passé. Et je voulais vous remercier. Sans vous, Howard Monaghan se serait échappé.
— Aye , et si j’avais pas donné son nom, Roscoe n’aurait pas été tué. Je vais devoir vivre avec ça, maintenant.
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