Tête presque à la renverse, Sam ricana à la limite de s'effilocher les cordes vocales, accompagné par ses hommes de main. Bien que le suicide soit la signature des traîtres, l'inspecteur, qui ne pouvait imaginer pire fin que celle qui l'attendait, n'aurait hésité la moindre seconde pour mettre un terme lui-même à sa vie. Au moins, il ne sentirait plus rien, désormais.
— Donnez-moi les bassines !!
Des disciples lui tendirent deux larges récipients, utilisés dans l'ancien temps pour se laver. Au ralenti, il en glissa un sous Moulin, ensuite l'autre sous la tête de l'inspecteur. Les bords étaient si hauts que le policier ne pouvait plus rien voir.
— Allons, inspecteur ! C'est juste pour récupérer vos tripes ! Ça nous évitera de tout ramasser ! Ha ! Ha ! Ha !
Il poussa la balancelle formée par l'inspecteur et les crochets, forçant le pauvre homme à se claquer le crâne sur les parois de métal à la manière d'un marteau de cloche.
Il désigna Warren.
— Bon, assez joué ! Posez-lui les mains sur notre cher inspecteur et sur l'autre grouillot, exécution !!
Warren tenta de résister, en vain. Il finit par se laisser faire lorsqu'il comprit que son agitation portait préjudice à ses amis, les faisant souffrir inutilement.
— Laissez-moi, je vais le faire moi-même, salopards ! Salopards !
— Laissez-le !! gueula le monstre sanguinaire, gesticulant si rapidement que ses mouvements fendaient l'air dans un bruit vif et strident.
Ils le lâchèrent. Il posa la main gauche sur la jambe de l'inspecteur, délicatement pour éviter tout balancement, ensuite la droite sur la hanche de Moulin.
— Je… je suis désolé… Pardonnez-moi, pardonnez-moi, je vous en prie…
L'inspecteur ferma les yeux, paisiblement. Il eut la force d'étaler un fin sourire qui voulait dire : « Oui, je te pardonne. »
Warren leva la tête vers Moulin, qui cligna des yeux aussi. Il était prêt à mourir.
Écartant les deux bras comme pour s'offrir à d'occultes forces, Sam prononça des incantations maléfiques. Puis, à hauteur de Sharko, il leva la hache bien haut au-dessus de sa tête. Yeux clos, les trois martyres suppliaient une mort rapide, un voyage libérateur, une odyssée bienfaisante. Une fois le mouvement inversé, l'outil tranchant se dirigea indéniablement vers le crâne de l'inspecteur.
— Attention, patron !!
Juste avant qu'il n'abattît la lame, une balle fusa et lui transperça la rate. Il s'écroula lourdement dans la poussière, tout comme ses confrères une demi-seconde plus tard. Encore bien vivant, il respirait comme un buffle.
— Neil !!! cria Warren, qui semblait avoir aperçu un revenant.
— Vous m'aviez dit de garder une balle, inspecteur !! Vite, décrochons-les, Warren !!
Warren se dressa. Neil ôta la bassine, prit la tête de l'inspecteur à deux mains et poussa vers le haut, seul moyen de faire ressortir les pointes. Le pendu hurlait. Immobiles, les crochets s'enfoncèrent même de plus belle, tel un harpon.
— Je… je crois qu'il faudrait plutôt tirer vers le bas, constata Warren, qui ne lâchait pas des yeux les monstres gisant.
Sam agrippa le pied de Warren dans un râle immonde. Ses marionnettes se mirent à ramper aussi, dans leur direction.
Après lui avoir allongé un coup de talon improvisé sur la mâchoire, Warren boitilla jusqu'au fond, écrasant les corps de ceux qui essayaient de s'emparer de sa jambe tout en lui barrant le passage. Il ramassa la machette qui avait volé jusque-là et empoigna aussi le marteau encore accroché au mur. Il rebroussa chemin, lançant la masse à Neil qui l'abattit sur la tempe de Sam. Un hurlement commun envahit le royaume du Malin, tandis que des flots pourpres et poisseux recouvrirent le moindre centimètre carré de béton. La chaleur du liquide sur le sol froid engendra des effluves pesants et irrespirables. Évitant les mains et les crocs-en-jambe, Warren plongea, sans omettre de ranger convenablement la machette dans la cuisse de Sam.
La lame, enfoncée jusqu'à l'os, fit vociférer l'ensemble des bêtes.
— Achève-le, Warren ! Achève-le ! beugla l'inspecteur en rassemblant ses dernières forces.
Warren pinça le menton de Sam et lui tourna la tête pour qu'il le vît bien dans les yeux.
— Crève, salopard !!
Au moment où il lui fendit le crâne en deux, les hurlements cessèrent. Avec Neil, ils encadrèrent l'inspecteur.
— Inspecteur ! On doit sortir de ce lieu maudit. Il faut changer de technique ou on ne vous dégagera jamais de là… Nous allons tirer… Ça… ça va faire mal, mais… il n'y a plus beaucoup de chair à traverser…
— Mordez ça ! dit Neil, en lui glissant le manche du marteau entre les dents.
— À trois, on tire d'un coup sec ! reprit Warren, s'adressant à Neil sans regarder le policier.
Ils empoignèrent son jean.
— Un… deux… trois…
— Haaaaaaaa !!!
Sharko se cassa deux incisives, tellement il avait mordu avec hargne. Les dents s'embourbèrent dans une flaque, tandis que lui chutait sur le sol. Ils arrachèrent des vêtements pour ensuite les enrouler autour de ses pieds déchiquetés. L'inspecteur perdit connaissance, pourtant Warren continuait à lui parler.
— Courage, inspecteur !! On s'occupe de Moulin, et on dégage d'ici !
L'enfant de vingt-cinq ans ne bronchait plus, il ne respirait plus non plus. Warren lui ferma les paupières, terminant par un signe de la croix.
— Bon, il faut sortir d'ici… Neil, aidez-moi à tirer l'inspecteur, jacassa-t-il, infligeant de grosses claques à la masse inerte dont les yeux disparaissaient régulièrement derrière leur orbite.
— Regardez, dit Neil terrorisé, regardez leurs ventres, ils bougent !!
— Merde !! Vite, il faut faire vite !! Tirez, tirez !!
Une patte de panthère éventra l'une des poitrines de l'intérieur, lacérant déjà la peau de ses griffes couleur ivoire. Au fond, une tête de singe apparut, tandis qu'un papillon virevoltait allègrement dans la pièce. Dans tous les coins, des bedaines enflaient et explosaient à la manière de bulles de gaz dans un magma volcanique.
— Vite !! hurla Neil, écrasant du talon un crapaud qui tentait de gagner la sortie.
Warren trancha d'un geste pur une tête de serpent qui germait de la bouche d'un cadavre. La gueule triangulaire roula sur le sol, alors que le reste du corps continuait à s'agiter en se vidant d'un liquide froid. À l'arrière, où il faisait sombre, deux yeux jaunes rutilaient et pulsaient régulièrement, effacés par instants derrière de fines paupières transparentes. Le vautour au bec tranchant ainsi qu'à l'envergure gigantesque traversa la pièce de deux amples battements d'ailes, pour venir d'un mouvement calculé prélever un médaillon de chair d'une taille convenable sur le bras de Warren. Dévoré par la douleur, il lâcha sa machette qui glissa derrière un amas de corps dont les entrailles se déversaient sans pudeur. Parqué au sommet d'un crochet, l'oiseau s'enfila le morceau en poussant des cris qui sentaient la mort, puis lança une nouvelle attaque. Neil, niché derrière une table de découpe, surgit et ne rata pas le charognard, lui trouant une aile d'un premier coup de masse.
Déséquilibré, l'ignoble oiseau dériva pour s'écraser sur un mur transversal, mais se retournait déjà pour un assaut définitif.
Incapable de voler, il accourait par petits pas rapides dans leur direction, accompagné de ce qui ressemblait à un doberman.
Juste avant le saut du chien, Neil se plaqua sur le sol, laissant la bête s'embrocher proprement sur un crochet par le ventre. Son poids ainsi que son agitation momentanée le divisèrent en deux, puis chaque partie croula de part et d'autre sur le sol, telle une noix de coco qui s'éventre au contact de la terre. Le vautour en profita pour attaquer une phalange du mini-menuisier, mais il eut le bec décollé par un précis coup de marteau. Sans riposter, désarmé de son appendice, il se réfugia au bout de la pièce, se vidant de son sang par l'orifice béant apparu entre ses deux yeux.
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