— Mais… ces archives, les VRAIES, les comptes rendus de séance, tous ces trucs-là, c’est passé où ??
— …
— C’est passé où, papa ?
— Eh bien… Après la mort de ta mère, je suppose que tout ça est resté aux mains de ses associés… Je ne sais même pas comment exactement ça se présente, ces trucs-là… Pourquoi ?
— Parce que dans les affaires de Frantz j’ai retrouvé quelque chose de bizarre. Un document de maman…
— … sur quoi ?
— C’est un document qui relate le cas de Sarah Berg. En détail. C’est assez curieux. Ce ne sont pas ses notes de travail, c’est un rapport. Adressé à Sylvain Lesgle, on se demande bien pourquoi. Il est daté de fin 1989. Je ne sais pas comment Frantz a pu mettre la main dessus, mais pour lui ça a dû être une lecture très éprouvante… et même pire…!
— …
— Ça ne te dit vraiment rien, papa ?
— Non, rien du tout.
— Tu ne me demandes pas de quoi ça parle ?
— Tu m’as dit que ça traitait du cas de Sarah Berg, non ?
— Je vois. En fait, c’est vraiment très curieux de la part de maman.
— …?
— Je l’ai lu TRÈS attentivement et je peux t’assurer que c’est tout sauf professionnel. C’est intitulé : « Bilan clinique » (tu as déjà vu ça, toi ?) Ça fait « pro », à première vue, c’est d’ailleurs pas mal fait mais, à bien regarder… c’est absolument n’importe quoi…!
— …?
— Ça relate, prétendument, le cas de Sarah Berg, mais on trouve là-dedans un galimatias pseudo-psychiatrique très curieux, des mots, des expressions visiblement empruntées à des encyclopédies, à des ouvrages de vulgarisation. Sur la partie biographique de la patiente, hormis ce qu’on peut trouver sur internet sur son mari, par exemple, c’est tellement élémentaire que ça pourrait être écrit par quelqu’un qui ne l’a jamais rencontrée : il suffirait de connaître deux ou trois faits sur elle, ça suffirait pour produire ce méli-mélo psycho-je-ne-sais-quoi…
— Ah…
— C’est TOTALEMENT fantaisiste, mais quand on n’y connaît pas grand-chose, c’est crédible…
— …
— À mon avis, (je peux me tromper !), cette biographie de Sarah Berg est tout ce qu’il y a de plus inventé.
— …
— Ton avis, mon petit papa ?
— …
— Tu ne dis rien ?
— Ben, écoute… Tu vois… le langage des psys, ça n’a jamais été mon truc… Moi, c’est plutôt l’architecture et les BTP…
— Et alors ?
— …
— Hou hou ?
— Eh ben… Écoute, souris verte… J’ai fait ce que je pouvais…
— Oh, papa…!
— Oui, bon, je reconnais : c’est un peu approximatif…
— Explique-moi !
— Le peu que nous avons découvert dans cette « fiche clinique » nous disait l’essentiel : Frantz a dû rêver longtemps de venger la mort de sa mère en tuant la tienne. Et comme il en a été privé, c’est sur toi qu’il a transféré toute sa haine.
— Évidemment.
— Il m’a semblé qu’on pouvait utiliser ça comme levier. D’où l’idée de ce rapport. De quoi l’affaiblir un peu, ce garçon… Tu avais besoin d’aide.
— Mais… comment Frantz l’a-t-il trouvé ?
— Tu m’as assuré qu’il m’observait très attentivement. J’ai entreposé des cartons censés être les archives de ta mère. Puis j’ai laissé la porte du garage suffisamment ouverte… Je me suis donné un peu de mal pour fabriquer des archives un peu anciennes et à la lettre B j’ai rangé le document que j’avais préparé à son intention. Je reconnais que la rédaction en était assez… approximative.
— Approximatif mais… TRÈS efficace ! Le genre de document qui déprimerait n’importe quel fils, surtout s’il est très attaché à sa mère ! Et tu le savais !
— Disons que c’était logique.
— Je n’y crois pas… Tu as fait ça ?
— Je sais, c’est très mal…
— Papa…
— Et… tu en as fait quoi, de ce truc ? Tu l’as donné à la police ?
— Non, papa. Je ne l’ai pas conservé. Je ne suis pas folle.