Georges-Jean Arnaud - Bunker Parano

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— Vous disposerez de l'appartement des Sanchez. D'abord pas de réaction puis, malgré les trois cognacs préventifs, elle avait pigé :
— Les suicidés ?
— Les scellés sont levés… Il y a un très joli appartement, vous verrez… Confortable malgré le coin. Ils avaient mis de l'argent dedans… Les idiots… On aurait pu s'arranger, prendre en compte. Ils se sont vraiment affolés. En fait, l'expropriation n'est pas pour demain. Deux, trois ans… Le journal n'aurait jamais dû parler d'expulsion mais d'expropriation. Un jeune journaliste maladroit. Il y a dans cette ville des gens menacés depuis deux ans et qui en auront encore pour autant. Tout le monde ne se suicide pas… Heureusement. Mais cette Maison est malade… Malade. On a affaire à des gens psychiquement fragiles… De braves gens pourtant…

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Bien fait pour lui ! Pourtant, elle n’était pas mécontente de savoir qu’il y avait quelqu’un là-haut qui l’attendait, ne serait-ce que pour avoir de la lumière.

— Tenez, c’est ma tournée, dit le patron. Dans une heure je me tire. Mon beauf me remplace sinon c’est mon neveu. La nuit, c’est pas évident mais eux ça leur fait un peu de fric. Moi ça me paye mes frais et tout le monde est content.

— C’est facile d’obtenir l’autorisation ?

Il lui jeta un regard méfiant et retourna à son bar.

Possible qu’il soit très bien en cour à la mairie. Elle regarda ce cognac qu’il avait apporté avec un peu de répugnance. Il devait se sentir proche d’elle, vaguement complice. Il n’avait pas l’air d’apprécier les gens du Bunker qui ne faisaient pas de bons clients. C’étaient tous plus ou moins des besogneux qui devaient compter chaque franc.

— Le journaliste il devait passer sa journée mais on ne l’a pas revu, lança-t-il depuis son bar. Il n’y avait qu’une table de joueurs de belote.

— Vous ne l’avez pas revu ?

— Pourtant la maison l’attire. Il la trouve bizarre mais si l’on va par là c’est tout le quartier qui l’est, je vous le dis et moi je préfère habiter Ollioules… Je suis plus tranquille et les gens sont normaux.

Elle avala son cognac, sentant que c’était le verre décisif qui allait la faire basculer dans l’incohérence. Ce bistrot devait savoir à quel moment un seul verre devenait la goutte en trop.

Elle marcha très raide jusqu’à la porte du Bunker mais s’embrouilla avec les clés.

CHAPITRE X

— C’est vous ?

Il questionnait depuis le fond, la salle de bains, et elle donna de la lumière.

— Ne rentrez pas, je prends un bain. Je me suis brusquement senti coincé dans cette baignoire. N’oublions pas qu’ils ont les clés.

— Pourquoi viendraient-ils ici chez les Sanchez ?

— Parce que vous y êtes et que bientôt ils sauront que vous furetez.

Il sortit enveloppé dans un peignoir bleu layette ayant dû appartenir aux Sanchez.

— Je furète, moi ?

— Ils sauront que vous travaillez pour Bossi et voudront deviner la suite, prévoir, préparer leur riposte. Vous devriez fermer toutes les fenêtres avant que j’ose aller et venir dans l’appartement.

— Ça va, dit-elle en titubant un peu.

Elle ferma les fenêtres, résista à l’envie de s’affaler sur la banquette ; elle se serait immédiatement endormie.

— Je vais vider la baignoire.

— Vous n’auriez pas dû prendre un bain en mon absence… Il y a des bruits qui peuvent attirer l’attention.

— Les tuyaux d’évacuation ne traversent aucun appartement. La situation de celui-ci est admirable de ce point de vue et favorise mon séjour.

— Qu’est-ce que vous voulez bouffer ?… Je suppose que vous attendez des merveilles de moi, mais n’y comptez pas. Pour ma part un sandwich me suffit.

— J’ai promis de faire la bouffe et je m’y tiendrai. Vous allez voir ce que vous allez voir.

En fait, ce furent des spaghettis sauce bolognaise. Les monstrueuses réserves de nourriture étaient d’un banal ! Elle se mit à table avec plaisir. Se servit un grand verre de vin.

— Magali Arbas est une très belle fille.

— Vous l’avez vue ?

Elle lui parla de ce que le patron du bar lui avait dit.

— Tout à fait attendu. Ils ne sortent que si un membre de la famille rentre. En ce moment, si j’excepte le V.R.P., il n’y a que Arbas dehors.

— Certainement. Mais la femme de Caducci travaille tard et doit encore être au boulot. En fait de mi-temps ce serait plutôt une journée continue. Mais je ne les ai jamais vus, ceux-là.

On sonna et ils se regardèrent. Puis il ôta son couvert, le planqua dans un meuble suspendu.

— Allez ouvrir maintenant. Je grimpe là-haut. Pensez-y.

— Je ne suis pas saoule à rouler par terre.

Monique Larovitz souriait timidement. Elle portait une horrible robe d’hôtesse en synthétique trop chamarrée.

— Nous sommes quelques-uns à prendre l’apéritif et j’ai pensé…

— Maintenant ?

— Vous savez, nous ne sommes pas formalistes pour deux sous… Il y a juste les Arbas et les Roques vont arriver, le temps de fermer la boutique.

Le regard de Magali Arbas ne la surprit pas ; c’était celui d’une femme cherchant la rivale. Un petit sourire rassuré ourla de mépris les lèvres peintes. Elle eut tout de suite un verre, se trouva en face de la forte femme de Roques au sourire plus jovial mais aux yeux inquisiteurs.

— Vous aviez laissé couler un robinet ? Ou la machine à laver ? Mon mari du magasin entendait tout. La descente des Caducci passe dans la cour, vous comprenez ? Celle des Sanchez dans le magasin.

Manuel Mothe, vous vous croyez le plus fort et vous risquez d’être découvert deux heures à peine après votre arrivée dans votre planque. Passager clandestin à la manque, va ! Elle avala d’un coup son Martini-gin et on lui remplit son verre. En route pour la cuite du siècle, celle qui la livrerait ivre morte à Manuel sans scrupule.

— Vous travaillez, m’a-t-on dit, fit Magali Arbas. Dans quelle branche ?

— Le social…

— C’est gratifiant ?

— Juste juste, de quoi manger, quoi.

Arbas se dressait à côté de son élégante :

— Désolé pour hier mais…

— O.K., mais alors donnez, dit-elle en tendant la main.

Sans l’alcool elle n’aurait jamais osé demander les clés.

Il ne comprenait pas et elle dut mettre les points sur les I.

— Oh ! C’est une habitude, vous savez… Chacun a les clés des autres. En cas de coup dur on ne sait jamais.

— Pas mal, reconnut-elle, dans ce cas filez-moi les quatre autres.

Silence gêné mais ils ne se regardaient pas. Malgré son ivresse, ou grâce à elle, Alice se douta d’une chose, Arbas Trois-Pièces fil-à-fil, était le Manitou, le chef, le responsable, l’homme du destin du Bunker. Il fallait en passer par lui pour aller pisser dehors.

— Nous devons les faire refaire. Celles des Sanchez sont introuvables.

— N’oubliez pas, hein ? Bredouilla-t-elle. Moi, je n’oublierai pas. Vous pouvez en être sûr… J’oublie jamais rien, d’ailleurs.

Ils formaient cercle mais ne riaient pas. D’autres avaient ri de ses cuites, de ses excès de langage après quelques verres mais pas ceux-là.

— On peut avoir un petit quelque chose, hein ?

— Vous savez… commença Monique Larovitz…

— Samedi, c’est chez moi. L’apéro-lunch, vous voyez ce que je veux dire. On bouffera bien et on rigolera… Vous serez tous là. Les Caducci que je ne connais pas…

— Lui ne viendra pas, dit M meRoques, celle aux yeux trop inquisiteurs.

— Malade ?

— Dépression. Il vit toujours sous neuroleptiques et ne peut donc pas boire.

— Vous savez, j’suis pas raciste. Y aura de la limonade et du picht… du pschitt… Même de l’eau de l’évier faut ce qui faut.

— Madame Soult, dit Arbas en s’approchant, quand avez-vous rencontré M. Cambrier pour lui louer l’appartement des Sanchez ? Il se tenait un peu penché pour la regarder dans les yeux :

— Attendez, dit-elle… Caducci faudra quand même qu’il vienne, sa femme aussi, même s’ils sont psychiquement fragiles comme dirait…

Mais elle ne prononça pas le nom de Bossi, comme si Manuel, surgi soudain, venait de lui plaquer sa main sur la bouche.

— Qui dit cela, madame Soult ? demanda Trois-Pièces fil-à-fil tandis que Navet offrait encore à boire. J’ai cru entendre un nom, ou plutôt il me semble que quelqu’un a déjà émis le même diagnostic au sujet de certaines personnes.

— Vous ne connaissez pas, vous pouvez pas connaître…

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