Georges-Jean Arnaud - L'éternité pour nous

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« — J’étais à bout. Vous m’avez prise de vitesse. C’est peut-être la preuve de votre génie. Mais que vous le vouliez ou non, nous sommes complices. Seulement, je veux que vous sachiez une chose. Jamais je ne supporterai que vous ayez quelque pouvoir sur moi. J’accepte vos conditions. Je ne peux pas faire autrement. Dans l’état actuel des choses, je serais arrêtée et condamnée. Vous m’en avez persuadée. Mais je lutterai. Jusqu’au bout. »

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— Et tu joues la carte sentimentale ?

— Peut-être je deviens idiote en étant amoureuse.

J’ai payé le garçon. Nous nous sommes levés et avons fait quelques pas dans les Allées.

— Je ne veux plus que tu reviennes.

— Oui.

Cette soumission m’étonnait encore.

— Je ne veux plus que tu revoies Fred. Je suis persuadé qu’elle est en vie.

— Un jour, elle confiera à Henri ce que tu lui as appris.

J’ai haussé les épaules.

— Et alors ?

— Tu n’as pas peur ?

— Non, je t’ai dit une fois que je pouvais L’empêcher de parler. Tranquillise-toi.

Mais elle marchait, le regard fixe. J’ai failli tout lui expliquer sur-le-champ, au milieu de cette foule qui passait à nos côtés avec nonchalance.

— Il n’est pas besoin de te tracasser. Le jour où elle en aura assez de la vie qu’Henri doit lui faire mener, elle reviendra.

— Il y aura toujours cette menace. Aujourd’hui, je regrette de pas l’avoir fait.

Je ne lui demandai pas quoi. Je comprenais parfaitement. Elle ne pouvait savoir quelle avait été sa chance, notre chance.

— Nous allons rentrer. Il faut que Corcel voie que nous sommes ensemble.

— Bien.

Ensemble nous sommes arrivés et le cuisinier faisait une drôle de tête en nous voyant transporter les achats à la réserve. Il avait dû s’imaginer que nous étions en désaccord.

L’après-midi, profitant d’une heure de répit, nous sommes allés nous baigner. La plage nous appartenait.

— Vendons et partons, me dit encore Agathe.

Cette fois, je ne répondis pas.

CHAPITRE XIII

Le dimanche suivant, nous n’avions encore pris aucune décision. Nous ne pouvions abandonner l’établissement en pleine saison, nous privant ainsi d’une recette intéressante. Nous avons décidé d’attendre le mois de septembre pour envisager la vente de l’hôtel et de la villa. Agathe pensait que l’ensemble pouvait nous rapporter une vingtaine de millions que nous irions investir ailleurs. Personnellement, je savais que je regretterais ce pays.

Il était cinq heures de l’après-midi et nous jouions depuis une heure quand j’ai eu l’impression que quelqu’un m’épiait.

Avec prudence, j’ai cherché dans la salle remplie de danseurs la personne qui ne cessait de me surveiller, et je l’ai enfin découverte.

Tout de suite mon cœur s’est mis à battre follement et la transpiration a envahi mon visage. J’ai dû jouer plus fort, car l’accordéoniste m’a jeté un regard surpris.

Puis j’ai plaqué mon piano pour foncer vers le petit bonhomme chauve et gros qui buvait une liqueur au bar. J’étais fou de colère. Sans aucun motif.

— Bonjour, Sauvel. Toujours à la même place ?

— Toujours fidèle au triple-sec, Santy ?

C’était son vice. Il a haussé les épaules. Il portait un complet clair avec une cravate tapageuse sur laquelle brillait une épingle énorme.

— Je vous offre quelque chose si vous voulez.

J’ai eu un petit sourire ironique. Il ignorait donc que j’étais le patron.

— D’accord. Paul, une bière.

— Bien, patron !

Santy a sursauté. Puis il a dû penser que c’était une appellation familière.

— Que faites-vous dans le coin ?

— Je cherche quelqu’un.

Les lèvres plongées dans la mousse de ma bière, j’essayais de faire bonne figure, mais Santy a trop l’habitude des hommes et des femmes, du cheptel humain, pour s’en laisser compter. Ses gros yeux vicieux me regardaient avec une lueur méchante.

— Je cherche Brigitte Faure.

— Elle n’est plus ici.

— Où est-elle alors ? C’est l’adresse qu’elle m’a donnée avant de m’emprunter vingt-cinq mille francs.

— Comment ?

Il a piqué un cigarillo dans sa poche et l’a allumé sans se presser. Toujours le même tic. Quand vous veniez lui demander du travail, c’est ainsi qu’il opérait en vous examinant de ses yeux de bouledogue.

— Oui. Je lui ai envoyé vingt-cinq mille francs à l’hôpital de Cannes. Elle m’a dit qu’elle allait se reposer à Marseillan-Plage pendant un mois, et qu’ensuite elle travaillerait à nouveau. Le mois est écoulé. J’ai envoyé une lettre qui m’a été retournée après avoir été décachetée. Très habilement peut-être, mais je suis capable de m’apercevoir d’un truc pareil. Comme j’avais une affaire à régler à Palavas, j’en ai profité pour m’arrêter dans le coin.

Son petit cigare puait. Mais je n’osais ni m’écarter ni le lui faire remarquer. Ce petit homme visqueux me fascinait. J’avais l’impression qu’il faisait sauter mon destin dans sa main potelée.

— Vingt-cinq mille, c’est peu, mais j’ai une reconnaissance de dette. Je suis un malin, Sauvel, vous le savez certainement. Je ne me laisse jamais gruger, même de vingt sous. Si Brigitte ne rend pas cet argent, je porte plainte. Pour vingt-cinq mille francs, la police ne s’agitera pas beaucoup. Mais on viendra quand même vous importuner. Ce serait embêtant.

J’ai fait semblant de prendre la chose à la rigolade.

— Vous êtes vraiment fauché à ce point ?

Agathe est arrivée. Elle s’est approchée de nous et a glissé sa main sur mon bras. Santy n’a rien perdu de tout ça. Il s’est incliné avec une politesse presque injurieuse.

— M me Barnier, la propriétaire de l’établissement.

L’imprésario m’a regardé, puis a souri.

— Mes hommages.

— M. Santy, imprésario.

— C’est moi qui vous ai envoyé M. Sauvel.

— Je vous en remercie infiniment, a répondu Agathe avec ce ton froid que je ne lui connaissais plus depuis longtemps. Mais je crois que Jean-Marc n’aura plus jamais besoin de vos services.

— Tant pis pour moi, tant mieux pour lui.

Paul écoutait d’une oreille tout en exécutant les commandes des serveuses.

— Nous allons nous marier.

— Félicitations, sincères félicitations !

Le barman en tremblait, lui, en versant ses liquides.

— Nous parlions de M lle Brigitte Faure.

— Elle n’est plus chez moi, a dit Agathe avec une désinvolture acide.

— C’est ce que je viens d’apprendre. C’est ennuyeux…

À ce moment-là, on est venu appeler Agathe pour une question de menu.

— Venez sur la terrasse, ai-je dit à Santy. Nous serons plus à l’aise pour discuter.

Nous avons trouvé une table isolée.

— Pour les vingt-cinq mille francs, nous pouvons toujours nous entendre, ai-je attaqué. Bien que tout soit fini entre Brigitte et moi, je peux encore prendre cette dette à ma charge.

Santy n’a pas répondu tout de suite et quand il l’a fait, ce fut pour apprécier la beauté d’Agathe.

— Une femme splendide, en effet ! Et quelle situation ! Voilà un établissement qui doit rapporter gros, bien qu’il soit situé sur une plage de seconde catégorie. Dites donc, Sauvel, vous réalisez un splendide mariage.

— Ce n’est pas le moment de discuter de ça ! ai-je fait d’un ton sec.

— Je crois que si.

Un nouveau cigarillo est venu se planter dans les lèvres humides et roses.

— Vous parliez de me rembourser les vingt-cinq mille ? Très bien, j’ai la reconnaissance de dettes sur moi. Mais pour vous, ce sera vingt fois plus.

Abasourdi, je me penchai en avant.

— Comment ?

— Vingt fois plus. Sinon, je porte plainte contre Brigitte. J’ai l’impression que vous n’avez pas envie d’être inquiété.

Je me suis levé.

— Foutez le camp, Santy !

— Pas question, vous le regretteriez trop.

Il m’a attiré par la veste.

— Asseyez-vous et écoutez-moi.

Malgré tout, J’ai obéi.

— Brigitte a disparu. Normalement, elle devait se trouver ici et elle n’y est plus. Je trouve ça bizarre car elle tenait à vous. Elle était folle de vous et vous ne vous en seriez pas débarrassé facilement pour épouser cette femme.

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