Mon portable retentit dans ma poche.
Facturator. Je n’aurais pas parié sur lui en premier.
— Tu as trouvé quelque chose ?
— Ouais. Sylvie Simonis effectuait des virements réguliers. Il y en a un qui pourrait cadrer avec ce que tu cherches. Un virement trimestriel, sur un compte suisse.
— Depuis quand ?
— Ça ne date pas d’hier. Octobre 1989. À l’époque, quinze mille francs tous les trois mois. Aujourd’hui, on en est à cinq mille euros. Toujours chaque trimestre. Je frappai le mur avec mon poing. Mon coup de sonde, pile dans le mille. Après l’échec de l’enquête, après les fiascos de Moraz, Cazeviel et Longhini, Sylvie avait décidé d’agir et engagé un privé. Un détective qui avait bossé pour elle durant plus de dix années !
— Tu as le nom du destinataire ?
— Non. L’argent est viré sur un compte numéroté.
— On peut lever l’anonymat ?
— Pas de problème. Il te suffit d’avoir un mandat de perquisition international et les preuves concrètes que l’argent dont on parle est illicite.
— Merde.
— D’où provient ce fric ? demanda Facturator.
— De ses propres revenus, je suppose. Sylvie Simonis était horlogère.
— Alors, tu oublies, mon canard.
— Il n’y a aucun autre moyen ?
— Je vais voir. À mon avis, ce pognon ne faisait que transiter sur le compte numéroté. L’encaisseur doit le faire virer sur un autre compte, nominatif celui-là.
— Tu peux suivre le transfert ?
— Je vais voir. Si le gus vient en personne prendre son cash au guichet, c’est foutu.
Je le remerciai et raccrochai. Je descendis au rez-de-chaussée, écartant toute autre possibilité — que Sylvie ait simplement mis du fric à gauche ou qu’elle verse une rente à un membre éloigné de sa famille. Je sentais, avec mes tripes, que j’avais vu juste. Elle payait un privé. Un homme qui devait posséder un dossier d’enquête à toucher le plafond. Un homme qui connaissait peut-être l’identité du tueur !
Je m’arrêtai face aux portes vitrées du hall. Dehors, flemme et douceur de vivre s’étalaient sur le gazon pelé. Les hommes portaient moustaches et survêtements ; les femmes, caleçons longs et sweat-shirts criards. Les enfants se déchaînaient sur les portiques. Tout ce petit monde grillait au soleil comme des saucisses sur un barbecue.
Je composai à nouveau le numéro de Foucault. Au bout de deux sonneries, on décrocha :
— Foucault ? Durey.
— Mat ? Justement, on parlait pas de toi.
— Avec qui ?
— Ma femme. On est avec le gamin, au parc André-Citroën.
Je ne pouvais pas y croire : j’attendais des nouvelles de l’enquête depuis ce matin et ce con était tranquillement parti en promenade !
Je ravalai ma rage, songeant à Luc qui faisait chanter ses propres hommes pour mieux les asservir.
— Tu n’as rien de neuf pour moi ?
— Mat, le concept du dimanche : ça te dit quelque chose ?
— Je suis désolé.
Le flic éclata de rire :
— Non. Tu ne l’es pas. Et moi non plus. Tu appelles pour Longhini ? Ton môme, c’est l’homme invisible.
— Tu as son nouveau nom ?
— Non. La préfecture de Besançon fait barrage. La Sécu n’a rien. Quant à l’Identité judiciaire, il existe un dossier spécial.
— Qu’est-ce que tu me chantes ?
— Un dossier réservé, chez les gendarmes. Ils ont protégé sa fuite, à l’époque.
Les uniformes avaient donc pris parti pour l’adolescent contre les flics, au point de l’aider dans sa disparition. Dans ces conditions, aucun espoir de le retrouver. Je tournai le dos aux portes vitrées et remontai le couloir jusqu’à l’arrière du bâtiment.
— Je peux te donner mon impression ? fit Foucault.
— Dis toujours.
J’ouvris l’issue de secours et me retrouvai au pied d’un versant d’herbe abrupt. Au sommet, des sapins se balançaient lentement, libérant de temps en temps des éclats de soleil glacé. Je m’appuyai contre le mur.
— Durant sa garde à vue, les flics ont dû secouer le môme. Il était en état de choc.
— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
— Il a consulté un psychiatre.
— Comment tu le sais ?
— Une histoire d’assurances. À l’époque, la compagnie a continué à verser les remboursements à l’ancienne adresse de la famille. Les gendarmes ont fait suivre. La mutuelle a conservé les ordonnances, dont les consultations chez le psy.
— T’es en train de me dire que tu as le nom du psychiatre ?
— Le nom, l’adresse, ouais.
— Et c’est maintenant que tu m’annonces ça ?
— Je l’ai appelé hier. Il n’a jamais eu la nouvelle adresse et…
— File-moi ses coordonnées.
J’avais déjà sorti mon carnet. Foucault hésita :
— C’est-à-dire…
— Quoi ?
— C’est que je les ai pas là, moi… Je suis au parc.
— Je te donne dix minutes pour filer au bureau. Exécution.
Foucault allait raccrocher quand je demandai :
— Attends. Et l’autre recherche ? Celle des meurtres de même type ?
— Rien.
— Même à l’échelle nationale ?
— Personne n’a réagi à mon réscom. Le SALVAC n’a pas le début d’un meurtre ressemblant au tien. C’est la première fois qu’il tue, Mat.
— Il ne te reste plus que neuf minutes.
Je raccrochai et appelai Svendsen. Le légiste décrocha. D’un coup, je me sentis en veine.
— Mes gars sont sur le coup mais il n’y a rien de nouveau.
— Je t’appelle pour autre chose.
Le médecin soupira, simulant un épuisement sans limite :
— Je t’écoute.
— Foucault ne trouve pas d’autre meurtre dans le style du nôtre.
— Et alors ? C’est peut-être son premier coup.
— Je suis sûr du contraire. Il faut entrer d’autres critères dans notre recherche.
— Qu’est-ce que je viens faire là-dedans ?
— Foucault est parti du meurtre. Il faut peut-être partir du corps.
— Comprends pas.
— Tu l’as dit toi-même : la signature du tueur porte sur le processus de décomposition. Il joue avec la chronologie de la mort.
— Je t’écoute toujours.
— Un légiste distrait aurait pu ne pas remarquer ces décalages sur un cadavre rongé aux vers…
— Distrait et bourré.
— Non. Sérieusement, je voudrais lancer une recherche portant sur tous les corps découverts en état de décomposition avancée, à l’échelle nationale.
— Quelle période ?
— 1989–2002.
— Tu sais combien ça fait de macchabs ?
— C’est possible ou non ? À travers les instituts médico-légaux ?
— Je vais déjà regarder à la Râpée. Et appeler les collègues dont j’ai les numéros personnels. En attendant lundi. Dans tous les cas, ça prendra du temps.
— Merci.
Je raccrochai et me laissai couler le long du mur, subjugué par les sapins noirs au-dessus de moi. Entre deux coulées de soleil, leur ombre m’enveloppait de froid. Je relevai le col de mon manteau, attendant l’appel de Foucault.
Les hypothèses tournoyaient dans ma tête sans qu’aucune ne pénètre réellement dans mon champ de conscience. Caché à l’arrière de l’immeuble, je me sentais simplement en sécurité.
Au moins, Sarrazin ne viendrait pas me cueillir ici…
La sonnerie du téléphone m’électrisa. Je me réveillai en sursaut.
— Foucault. T’as de quoi noter ?
Je regardai ma montre. 14 h 10. Il avait mis moins de vingt minutes pour rejoindre le 36. Pas mal.
— Tu notes ou quoi ?
— Vas-y.
— Le mec s’appelle Ali Azoun. Aujourd’hui, il est installé à Lyon. Je te préviens : c’est pas un rigolo.
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