Bernard Minier - Une putain d’histoire

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Une putain d’histoire: краткое содержание, описание и аннотация

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Une île boisée au large de Seattle…
« Au commencement est la
.
La
de se noyer.
La
des autres,
ceux qui me détestent,
ceux qui veulent ma peau Autant vous le dire tout de suite :
Ce n’est pas une histoire banale. Ça non.
c’est une putain d’histoire.
Ouais,
… »

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« Il est là ? » demanda Jay.

Boyce acquiesça et lui montra l’escalier dans le fond. Jay grimpa les marches rapidement. Il n’y avait personne à l’étage et il remonta le couloir silencieux jusqu’à la porte close, frappa et entra.

« Oh, merde ! » s’écria-t-il en se retournant aussitôt.

Mais trop tard. L’image était déjà imprimée sur la rétine de Jay : sa grande ombre projetée sur le mur derrière lui, Grant Augustine, pantalon de lin crème et slip bordeaux baissés sur les cuisses, en train de se faire tailler une pipe par une bénévole qui ne devait pas avoir plus de vingt ans. Il avait ôté veste et cravate et les pans de sa chemise pendaient mollement sur ses jambes. La faible clarté jaunâtre d’une ampoule jouait sur les cheveux blonds de la fille, aussi lisses et soyeux que ceux d’une poupée. Jay sentit la moutarde lui monter au nez. Il attendit une seconde, fit volte-face et, saisissant la fille qui reboutonnait son corsage par le col, il la traîna sans ménagement vers l’escalier : « Si tu parles de ça à qui que ce soit, je te tue », lui glissa-t-il à l’oreille. Puis il retourna dans le bureau de son patron et claqua la porte. Il était furieux.

« Le diacre est en bas, putain ! Tu imagines s’il était monté à ma place ! »

Augustine referma tranquillement sa braguette, boucla sa ceinture.

« L’appel de la chair, pontifia-t-il. Il a été donné comme un fardeau à l’homme, Jay. Si on ne s’y soumet pas de temps à autre, c’est non seulement le corps mais encore le cerveau qui s’empoisonne. Il s’infecte de mauvaises pensées, de terribles pensées… Mieux vaut les purger que de les laisser prospérer. »

Il avait dit cela tout sourire. Grant Augustine était un homme pétri de paradoxes : rigide et exubérant, puritain et hédoniste, autoritaire et enjôleur, sincère et menteur, intelligent et fou… Il prétendait descendre d’une longue lignée d’écrivains, de militaires et de politiciens, mais Jay savait que c’était un mensonge de plus : le père d’Augustine avait travaillé à la raffinerie ExxonMobil de Bâton-Rouge pendant plusieurs décennies et aujourd’hui il croupissait dans une cage dorée : une maison de retraite de luxe où une infirmière veillait sur lui jour et nuit pour éloigner les curieux éventuels. Comme l’a dit Faulkner, les gens du Sud n’étudient pas le passé, ils l’absorbent.

« Tu saignes », fit observer Jay.

De fait, un mince filet écarlate coulait d’une des narines de Grant. Jay avait remarqué que, chaque fois que son patron était en proie à une émotion violente, il saignait du nez peu de temps après. De près, le visage de son patron était moins engageant que sur les photos : sa peau laiteuse avait quelque chose de malsain, ses lèvres étaient rouges — mais d’un rouge de champignon vénéneux — et, comparé au portrait dans la vitrine, l’éclat de ses yeux bruns, d’une désagréable fixité, prouvait à quel point la photographie est l’art du mensonge.

« C’est le sang du péché, dit Augustine en s’essuyant avec un mouchoir brodé. Ces filles, ajouta-t-il, c’est une honte, elles sont la tentation même. Pourquoi Dieu leur a-t-il donné des nichons, un cul et une chatte, Jay, si ce n’est pour nous mettre à l’épreuve ? »

Jay ne dit rien.

« Cette fille, elle fait tout ce que je lui demande, tu comprends, Jay ? »

Jay comprenait. Il connaissait son maître mieux que personne. Il lui était fidèle comme un clebs depuis l’adolescence. Grant et Jay approchaient aujourd’hui tous les deux de la cinquantaine, mais le second avait toujours vécu dans l’ombre du premier. Jay était de loin le plus indispensable des collaborateurs de Grant Augustine. Il comprenait les gens. Il savait détecter une faiblesse ou deviner une craque encore plus vite que Grant lui-même. Augustine avait toujours su tourner les faiblesses des autres à son avantage. Il avait bâti sa fortune sur ce talent — mais Jay était têtu comme un fox-terrier lorsqu’il s’agissait de tester les limites de quelqu’un et d’obtenir de lui quelque chose.

Et, cependant, Jay n’aspirait qu’à ceci : rester dans l’ombre de son patron, être le premier de ses pions : homme à tout faire, bras droit, aide de camp, nettoyeur … Car, entre eux, l’amitié n’avait jamais été au-delà d’une relation maître-esclave.

Parfois, Augustine l’appelait ainsi : « mon esclave blanc ».

Quand il était sûr qu’aucune caméra, aucun micro, aucun dictaphone ne traînait…

Il était mieux placé que quiconque pour savoir qu’il n’y avait plus de vie privée possible désormais en Amérique.

Bureau petit et meublé d’un profond canapé en cuir marron, d’une table de travail en acajou, d’une petite bibliothèque et d’un service à café en argent. Rien de trop ostentatoire. Derrière le store en bois, on apercevait les branches d’un sassafras caressées par la lueur des éclairs. Il y avait une grande carte dépliée et étalée sur le bureau. Depuis qu’il avait décidé de se présenter à l’élection, Grant Augustine passait ses soirées à étudier la géographie de l’État : comté d’Alleghany, comté de Franklin, comté de Rappahannock, comté de Shenandoah… Il aurait pu se servir d’un moteur de recherche, mais il se méfiait d’Internet.

Augustine se versa une large rasade de bourbon dans un gobelet en plastique.

« Tu veux quoi ?

— Rien », répondit Jay.

Grant se demandait parfois si Jay n’était pas la réincarnation d’un cathare. Il ne lui connaissait qu’un seul vice : les cigares.

« Tu as vu les derniers sondages ? » Les chaînes locales donnaient toujours son adversaire gagnant, mais l’écart n’avait cessé de se resserrer depuis leur premier débat en juillet à Hot Springs, parrainé par l’Association du barreau de Virginie.

« Si tu emportes le prochain débat, tu peux passer devant », estima Jay en se laissant tomber dans le canapé.

Le prochain débat se tiendrait le 25 octobre à McLean. Il serait organisé par la chambre de commerce du comté de Fairfax et par la chaîne NBC4. Un journaliste de la chaîne servirait de modérateur.

« Tu dois appuyer là où ça fait mal. Personne n’est enthousiaste à l’idée de voter pour un pion dévoué à son parti. Et c’est précisément ce qu’est ton adversaire : la quintessence du politicien démocrate obéissant. Ton problème, c’est ton image. Tu restes un inconnu pour la plupart des Virginiens. Et ceux qui te connaissent soit approuvent nos activités, soit les jugent antidémocratiques.

— Répète-moi les éléments de langage.

— Nos activités protègent l’Amérique depuis plus d’une décennie mais, aujourd’hui, tu as décidé de mettre tes compétences au service de l’État qui t’a vu naître, tu n’es pas un politicien blanchi sous le harnais mais un bâtisseur, un businessman et un patriote.

— Alors, WatchCorp est une entreprise patriotique ? plaisanta Augustine.

— Patriotique et prospère, le corrigea Jay très sérieusement. C’est ton œuvre, ton bilan. Mets-le en avant. »

Ils savaient tous deux comment WatchCorp était devenue prospère : grâce à l’argent du contribuable. Il y avait chaque année plus d’Américains qui mouraient en glissant dans leur salle de bains que victimes du terrorisme mais les fabricants de tapis de bain antidérapants n’avaient pas touché du gouvernement les milliards de dollars qu’il avait généreusement octroyés à des boîtes comme WatchCorp après le 11 Septembre.

« Et s’il me décrit comme un adversaire de la démocratie ? Quelqu’un qui s’immisce dans la vie privée des gens ? Qui braque sur eux ses micros, ses logiciels, ses caméras, ses ordinateurs ? S’il me dépeint comme un putain de Big Brother, Jay ?

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