Ses pieds s’agitaient dans tous les sens, ses semelles dérapaient dans la boue pour tenter de diminuer l’horrible pression sur son cou. Ses fesses s’élevaient, retombaient et glissaient sur le sol flasque et ses mains tentaient en vain d’agripper la corde et de dénouer l’étreinte mortelle. Il ignorait où son arme était tombée. Il fut ainsi traîné sur plusieurs mètres, disloqué, pantelant, asphyxié, comme un animal qu’on mène à l’abattoir.
Dans moins de deux minutes, il serait mort.
Déjà, l’air lui manquait.
Sa bouche s’ouvrait convulsivement mais le plastique l’obstruait à chaque inspiration.
À l’intérieur du sac, l’oxygène se raréfiait, remplacé par le gaz carbonique qu’il rejetait.
Il allait subir le même sort que Grimm !
Le même sort que Perrault !
Le même sort qu’Alice !
Pendu !
Il était au bord de la perte de connaissance quand, tout à coup, l’air entra de nouveau dans ses poumons comme si on avait ouvert une vanne. Un air pur, non vicié. Il sentit aussi la pluie ruisseler sur son visage. Il aspira l’air et la pluie à grandes goulées rauques et salvatrices qui firent le bruit d’un soufflet dans ses poumons.
— Respirez ! Respirez !
La voix du Dr Xavier. Il tourna la tête, mit une seconde à accommoder et vit le psychiatre penché sur lui, le soutenant. Le psy avait l’air aussi terrifié que lui.
— Où… où est-il ?
— Il a filé. J’ai même pas eu le temps de le voir. Taisez-vous et respirez !
Soudain, un bruit de moteur s’éleva et Servaz comprit.
La Volvo !
— Merde, trouva-t-il la force de dire.
Servaz était assis contre un arbre. Il laissait la pluie rincer son visage et ses cheveux. Accroupi à côté de lui, le psychiatre semblait tout aussi indifférent à la pluie qui trempait son costume et à la boue sur ses chaussures cirées.
— Je descendais à Saint-Martin quand j’ai vu votre voiture. J’étais curieux de savoir ce que vous faisiez là-dedans. Alors, j’ai décidé de venir jeter un coup d’œil.
Le psy lui décocha un regard pénétrant et un demi-sourire.
— Je suis comme les autres : cette enquête, ces meurtres… Tout ça est terrifiant, mais aussi très intrigant. Bref, je vous ai cherché et, tout à coup, je vous ai vu là, allongé sur le sol, avec ce sac sur la tête et cette… corde ! Le type a dû entendre ma voiture et il s’est tiré vite fait. Il n’avait sûrement pas prévu qu’il serait dérangé.
— Un pi… piège, bégaya Servaz en se frottant le cou. Il m’a ten… tendu un piège.
Il tira sur sa cigarette humide, qui grésilla. Tout son corps était agité de tremblements. Le psy écarta délicatement le col de sa veste.
— Laissez-moi voir ça… C’est plutôt moche… Je vais vous conduire à l’hôpital. Il faut soigner ça tout de suite. Et faire une radio des cervicales et du larynx.
— Merci d’être pa… passé par là…
— Bonjour, dit M. Monde.
— Bonjour, répondit Diane. Je viens voir Julian.
M. Monde l’examina, une moue sur les lèvres, ses mains comme des battoirs sur la ceinture de sa combinaison. Diane soutint le regard du colosse sans ciller. Elle s’efforçait de conserver son sang-froid.
— Le Dr Xavier n’est pas avec vous ?
— Non.
Une ombre passa sur le visage du colosse. De nouveau, elle le regarda dans les yeux. M. Monde haussa les épaules et lui tourna le dos.
Elle le suivit le cœur battant.
— De la visite, lança le grand garde après avoir ouvert la porte de la cellule.
Diane s’avança. Ses yeux rencontrèrent ceux étonnés d’Hirtmann.
— Bonjour Julian.
Le Suisse ne répondit pas. Il semblait dans un mauvais jour. Sa bonne humeur de la dernière fois s’était envolée. Diane dut faire appel à toute sa volonté pour ne pas tourner les talons et ressortir avant qu’il ne soit trop tard.
— Je ne savais pas que j’avais de la visite aujourd’hui, dit-il finalement.
— Je ne le savais pas non plus, répliqua-t-elle. Du moins jusqu’à il y a cinq minutes.
Cette fois, il parut sincèrement décontenancé et elle en éprouva presque de la satisfaction. Elle s’assit à la petite table et étala ses papiers devant elle. Elle attendit qu’il vienne s’asseoir sur la chaise, de l’autre côté de la table, mais il n’en fit rien, se contentant d’aller et venir près de la fenêtre comme un fauve en cage.
— Comme nous allons être amenés à nous rencontrer régulièrement, commença-t-elle, j’aimerais préciser un certain nombre de choses, histoire de fixer un cadre à nos échanges et d’avoir une idée de la façon dont les choses se passent dans cet établissement…
Il s’arrêta pour lui lancer un long regard suspicieux, puis il reprit ses allers-retours sans un mot.
— Cela ne vous ennuie pas ?
Pas de réponse.
— Eh bien… pour commencer… vous recevez beaucoup de visites, Julian ?
De nouveau, il s’arrêta pour la fixer avant de reprendre nerveusement ses allers-retours, les mains nouées dans le dos.
— Des visites en dehors de l’Institut ?
Pas de réponse.
— Et ici, qui vous rend visite : le Dr Xavier ? Élisabeth Ferney ? Qui d’autre ?
Pas de réponse.
— Vous arrive-t-il de parler avec eux de ce qui se passe à l’extérieur ?
— Le Dr Xavier a-t-il autorisé cette visite ? demanda-t-il soudain en s’arrêtant pour se planter devant elle.
Diane s’efforça de lever les yeux. Lui debout et elle assise, il la dominait de toute sa hauteur.
— Eh bien, je…
— Je parie que non. Que venez-vous faire ici, docteur Berg ?
— Euh… je viens de vous le dire, je…
— Tssst-tssst. C’est incroyable comme vous les psys vous pouvez manquer de psychologie parfois ! Je suis quelqu’un de bien élevé, docteur Berg, mais je n’aime pas qu’on me prenne pour un imbécile, ajouta-t-il d’une voix tranchante.
— Êtes-vous au courant de ce qui se passe à l’extérieur ? demanda-t-elle, abandonnant le ton professionnel de la psy.
Il baissa les yeux vers elle, parut réfléchir. Puis il se décida à s’asseoir, penché en avant, avant-bras sur la table, doigts croisés.
— Vous voulez parler de ces meurtres ? Oui, je lis les journaux.
— Donc, toutes les informations dont vous disposez sont celles qui figurent dans les journaux, c’est bien ça ?
— Où voulez-vous en venir ? Qu’est-ce qui se passe au-dehors qui vous a mise dans cet état ?
— Quel état ?
— Vous avez l’air… effrayée. Mais pas seulement. Vous avez l’air de quelqu’un qui cherche quelque chose… ou même… d’un petit animal, un petit animal fouisseur ; c’est la tête que vous avez en ce moment : une tête de sale petit rat… Si vous pouviez voir votre regard ! Bon sang, docteur Berg, qu’est-ce qui vous arrive ? Vous ne supportez pas cet endroit, c’est ça ? Vous n’avez pas peur de perturber la bonne marche de cet établissement avec toutes vos questions ?
— On croirait entendre le Dr Xavier, persifla-t-elle.
Il sourit.
— Ah non, s’il vous plaît ! Écoutez, la première fois que vous êtes entrée ici, j’ai tout de suite senti que vous n’étiez pas à votre place. Cet endroit… Vous pensiez trouver quoi, en venant ici ? Des génies du mal ? Il n’y a que de malheureux psychotiques, des schizophrènes, des paranoïaques, des pauvres types et des malades, ici, docteur Berg. Et je me permets de m’inclure dans le lot. La seule différence avec ceux qu’on trouve ailleurs, c’est la violence… Et croyez-moi, il n’y a pas que parmi les patients…
Il écarta les mains.
— Oh, je sais que le Dr Xavier a une vision… disons romantique des choses… Qu’il nous voit comme des êtres malfaisants, des émanations de la Némésis et autres conneries. Qu’il se croit investi d’une mission. Pour lui, cet endroit est un peu comme le Saint-Graal des psychiatres. Foutaises !
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