Je soulève la porte, la referme derrière moi et me dirige vers le fond du réduit. Dans un carton, je récupère un tournevis avant de pousser une vieille armoire. Derrière ce meuble, une planque que j’avais préparée depuis longtemps. Je dévisse la fausse cloison pour accéder enfin à mon trésor.
Un sac plein de billets, de faux papiers. Sous les billets, plusieurs chargeurs et un automatique que je glisse dans mon blouson.
Je referme soigneusement le garage, jette le sac dans le coffre de l’Audi et reprends ma place sur le siège passager.
Je sors l’arme, y insère un chargeur. Greg sursaute.
— Démarre.
— Iz… Je sais que j’ai déconné, mais…
— C’est bon, calme-toi ! dis-je en remettant l’arme dans mon blouson. C’est juste au cas où. On peut aller chez toi, maintenant.
Il remet le contact et nous prenons le chemin de Montpellier. Greg roule vite, je lève les yeux au ciel.
— Ralentis. C’est pas le moment de se faire serrer par les poulets.
Il obéit, allume la radio. Peut-être pour détendre l’atmosphère.
— Tu vas faire quoi ?
— Roule.
— OK, soupire Greg.
— Faut que je me trouve une chambre d’hôtel pour cette nuit.
— Tu peux rester chez moi, si tu veux, me propose Greg.
— Merci, dis-je sans aucun enthousiasme.
— Y a pas de quoi, mon frère. Tu sais Iz… Pour Tama, j’ai rien vu venir…
— C’est bien ce que je te reproche.
— Tarmoni t’a parlé du coup de fil ?
— Oui.
— Tu crois que c’est elle qui vous a balancés ?
— Roule, j’t’ai dit…
En taule, j’ai eu du temps pour réfléchir. Beaucoup de temps, même.
Bien sûr que c’est Tama qui nous a balancés. Parce que je me suis montré violent, parce que je n’ai pas su retenir mes coups.
J’ai cru qu’elle m’avait pardonné, je me suis trompé. Elle me l’a fait payer, au prix fort.
Nous entrons dans Montpellier sans avoir échangé un mot de plus. La ville est triste sans soleil.
Triste, sans Tama.
Nous passons non loin du resto où je l’ai emmenée pour fêter ses seize ans. La boutique où elle aimait acheter ses fringues. La place où nous allions parfois boire un verre. Toutes ces rues où nous avons marché, main dans la main.
Derrière mes lunettes fumées, je retiens mes larmes.
Parce qu’un mec, un vrai, ça ne chiale pas. C’est ce que me répétait mon salaud de père.
La ville est triste.
Triste sans Tama.
Cette fille que j’ai aimée à la folie.
Cette fille que j’aime encore.
Cette fille que je vais tuer, pourtant.
Nous arrivons chez Greg trois quarts d’heure plus tard. En entrant, j’ai une drôle d’impression.
L’impression que Tama était là quelques minutes plus tôt. L’impression qu’elle va apparaître d’un instant à l’autre.
Greg sort un pack de bières du frigo, le pose sur la table.
— On va fêter ton retour parmi nous !
Je n’ai pas envie de fêter quoi que ce soit, mais je le laisse poursuivre sa tentative de réconciliation.
— J’ai besoin d’air, dis-je soudain.
— Tu veux t’installer dehors ?
— Je préfère, oui.
— Je comprends, m’assure Greg.
— Pourquoi, t’as déjà été en taule, toi ?
— Non, mais… J’imagine très bien ce que ça fait.
— Ça m’étonnerait !
Il prend les bières et nous retournons dehors. Nous nous installons sur les chaises de jardin, j’allume une cigarette. Nous trinquons, je n’arrive toujours pas à sourire. Je ne sais pas si j’y arriverai à nouveau un jour.
Vers 9 heures ce matin, Greg m’a sortie du placard. Il avait l’air stressé. Il m’a poussée jusque dehors et nous avons traversé la cour. Il a ouvert la remise, m’a jetée à l’intérieur.
Nouvelle geôle. Qui pue le renfermé, la poussière, la moisissure. C’est d’une saleté repoussante.
Il a attrapé un gros rouleau de scotch, m’a forcée à m’allonger sur le ventre et m’a ligoté les poignets dans le dos, ainsi que les chevilles. Je me demandais ce que ce taré était en train d’inventer pour me faire souffrir. Il a collé un morceau de scotch sur mes lèvres avant de me retourner sur le dos.
— Aujourd’hui, c’est un grand jour, Tam ! m’a-t-il annoncé avec son sourire dégueulasse.
Je n’ai pas compris ce qu’il essayait de me dire. Il m’a traînée un peu plus loin pour m’asseoir contre une énorme poutre qui soutient la charpente de la remise. Une poutre à laquelle il m’a attachée, déroulant des mètres de scotch pour que je ne puisse plus faire le moindre mouvement.
— Voilà, a-t-il dit. C’est absolument parfait.
Il a quitté la remise et je me suis mise à grelotter de froid en essayant de deviner ce que manigançait cette pourriture.
— À ta liberté retrouvée, mon frère ! lance Greg en tapant sa canette de bière contre la mienne. Cette histoire de vice de procédure… c’est un truc de fou ! Qu’ils sont cons ! Tu es sous contrôle judiciaire ?
— Je suis sous le contrôle de personne, réponds-je. Ils vont très vite le comprendre…
— Je vois, sourit Greg.
Lui, arrive encore à sourire. Il a de la chance.
— Qu’est-ce qu’on fait pour Santiago ?
— Je m’en occupe.
— C’est que j’ai pas envie d’être le prochain sur la liste…
— Je m’en occupe, je te dis.
— OK, Iz…
— Pourquoi t’as arrêté de venir au parloir ?
Il tourne la tête, évitant soigneusement mon regard.
— J’étais mal, Iz… J’étais mal parce que j’avais fait le con avec Tama… J’aurais dû être là pour l’empêcher de se tirer, j’aurais dû… Putain, si tu savais comme je m’en veux, mon frère !
Je ne dis rien, termine ma bière et en ouvre une autre.
Quand j’entends la voix d’Izri, je me crois en plein délire.
Pourtant, c’est bien lui ! Il est là, à quelques mètres de moi. Je comprends qu’il vient d’être libéré de prison et que Greg est allé le chercher. Maintenant, je sais pourquoi ce salaud m’a enfermée ici. Pour qu’Izri ne puisse pas me voir.
Mais pour que moi, je puisse l’entendre.
Je croyais tout savoir sur la cruauté et la perversité humaines. Je me trompais.
J’essaie de bouger, j’essaie de hurler. Je me contorsionne dans tous les sens avec l’espoir un peu fou que je vais parvenir à me détacher. Mais Greg a bien fait les choses et je ne peux pas bouger le petit doigt. Je ne peux pas faire de bruit, non plus.
Je suis paralysée, impuissante, désarmée.
L’homme que j’aime est là, tout près de moi. Lui que j’attendais comme le Messie…
Il est là et je ne peux rien pour lui signaler ma présence.
Alors, je m’étouffe dans mes larmes silencieuses. Condamnée à écouter Greg me salir aux yeux d’Izri, encore et encore.
— J’aurais jamais cru que Tama te ferait ça, reprend Greg. Je croyais qu’elle t’aimait, putain !
— Je le croyais aussi…
Tarmoni arrive à ce moment-là et je demande à Greg de nous laisser. Je vois bien que ça le chagrine d’être mis à l’écart, mais un seul de mes regards suffit à le convaincre d’obéir.
— Je t’ai trouvé la planque idéale, m’annonce l’avocat à voix basse.
Il me confie un morceau de papier avec une adresse.
— C’est ce que tu voulais… Un coin perdu, à moins de deux heures de Montpellier.
— Parfait, dis-je. Merci. Qui est au courant ?
— Toi et moi. Personne d’autre. J’ai loué la baraque à un bouseux, sous un faux nom. Elle est à toi pour six mois. Tu devrais y aller très vite.
— J’ai besoin de deux ou trois trucs avant de partir. J’y serai demain soir. Tu m’as trouvé la bagnole ?
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