* * *
Il est probable que le diable voyait Otto Wiegand d’un bon oeil, car, une heure après la visite du capitaine, la porte de la cabine s’ouvrit doucement sur la silhouette de Helga. Un doigt sur les lèvres, elle fit signe à Otto de ne rien dire et referma la porte à clé. Elle avait troqué son blue-jean contre une courte jupe de velours. Elle s’assit sur la couchette vacante et fixa l’Allemand, les yeux brillants.
— C’est vrai que vous avez tué un homme ?
À quoi rêvent les jeunes filles…
— C’est vrai, fit sombrement Otto en anglais, comme elle.
Il omettait de dire qu’à côté de ses exploits passés ce meurtre propre au P-38 était un péché très véniel.
— On va vous arrêter à Riga, remarqua-t-elle.
Il secoua la tête.
— Je n’arriverai pas à Riga. Je me suiciderai avant. Je ne veux pas retomber entre les mains des communistes.
Elle poussa un léger cri. Cet homme la fascinait par la dureté et la cruauté émanant de lui.
— Je voudrais vous aider, murmura-t-elle.
— Comment êtes-vous entrée ici ? demanda Otto.
Elle rougit.
— Je sais où sont les doubles des clés. Je voulais vous parler, vous voir.
— Aidez-moi à sortir de là, jeta-t-il. De cette cabine d’abord.
Elle baissa la tête et avoua :
— J’ai peur de mon oncle. Je suis la seule à pouvoir prendre cette clé. S’il savait que je suis ici, il me battrait et m’enfermerait dans ma cabine.
Otto comprit qu’il ne la convaincrait pas avec des mots. Il n’y avait qu’une méthode. Ses yeux pâles se posèrent sur les cuisses nues et bronzées de la jeune fille avec une telle intensité qu’elle croisa les jambes…
Il y eut un long et insupportable silence, puis Otto se leva et fit lever Helga en la tirant par la main. Elle se laissa faire, le souffle court.
Brutalement, il l’attira contre lui, crispa une main sur sa poitrine, tordant la pointe d’un sein à travers le chandail de laine. Elle ouvrit la bouche pour crier et il la poussa sur la couchette, sa bouche gluée à la sienne. Sa barbe racla la peau fragile, mais elle s’accrocha à lui et lui rendit son baiser. Il avait passé les deux mains sous le chandail et pétrissait les seins comme pour les broyer. Le corps de la Norvégienne se tordit sous lui et elle laissa échapper un gémissement rauque.
La fougue d’Otto Wiegand n’était qu’à moitié feinte : il pensait de toutes ses forces à Stéphanie.
Sans même ôter la jupe de velours, il la prit tout de suite, lui mordant la nuque, pesant de toutes ses forces sur son dos. Otto s’écarta brusquement d’elle, la retourna puis la saisit aux épaules et resta là, son ventre contre le sien. Elle enfouit sa tête sur son épaule, mais il la força à le regarder.
— C’est bien ce que tu étais venue chercher ? souffla-t-il. Maintenant tu peux me laisser crever.
Elle se raidit, voulut descendre de l’étroite couchette.
— Ce n’est pas vrai. Je veux vous aider.
— Alors, voilà ce que tu vas faire. Quand nous serons en vue des côtes, tu me feras sortir. D’ici là, tu auras préparé un canot pneumatique. Après je me débrouillerai. C’est d’accord ?
— J’essaierai, bredouilla-t-elle. Je te le jure.
Il la tint encore un peu contre lui, puis la laissa se remettre debout. Sans le regarder, elle rajusta ses vêtements et sortit la clé de sa poche.
— Il faut que je m’en aille, dit-elle. Je reviendrai dès que je pourrai.
— Tu feras ce que je t’ai dit ?
— Oui.
Sa voix n’était qu’un murmure. Elle sortit rapidement.
Encore essoufflé, Otto se recoucha. Il espérait que Helga aurait encore envie de lui le lendemain. Sa vie dépendait de cette délicate équation glandulaire.
* * *
Le planton apporta sur le bureau du vice-consul des USA à Oslo une liasse de feuillets imprimés, synthèse des écoutes radio de la nuit. Un message avait été encadré au crayon rouge. Le consul en prit connaissance aussitôt, et, avant même d’avoir fini, décrocha son téléphone.
— Donnez-moi le 351-11-00 à Washington, en priorité demanda-t-il.
Le numéro de la CIA. Le vice-consul en était l’émanation à Oslo. Quelques minutes plus tard, il obtenait la communication.
La conversation qui s’ensuivit ne fut pas longue, mais déclencha une véritable orgie de câbles et de télex tous plus secrets les uns que les autres.
* * *
Une Buick immatriculée CD stoppa dans Karl-Johans-Gata devant l’immeuble ancien abritant les bureaux de la Compagnie de navigation Haraldsen. Deux hommes élégants en descendirent et entrèrent presque en courant. L’un d’eux tendit sa carte à l’hôtesse assise dans le hall qui partit comme si on lui avait annoncé le naufrage du Kon-Tiki.
On ne recevait pas tous les jours la visite du consul des États-Unis, accompagné du vice-consul.
Knut Haraldsen était un grand vieillard à l’expression rusée et aux joues couperosées, maigre comme un clou. Il fit entrer immédiatement ses deux visiteurs et leur offrit des sièges. Le plus âgé ne lui laissa pas le temps de poser des questions.
— Nos services radio ont accidentellement pris connaissance d’un échange de communications entre votre minéralier, le Ragona et vos bureaux d’Oslo, monsieur Haraldsen, exposa-t-il.
Le vieil armateur sursauta.
— Mais pouvez-vous me dire en quoi…
Le consul croisa les deux mains sur ses genoux.
— Monsieur Haraldsen, reprit-il onctueusement, je comprends parfaitement les motifs qui vous ont poussé à donner l’ordre à votre capitaine de remettre l’inconnu trouvé au milieu de l’Atlantique aux autorités de Riga, mais je vous demande respectueusement de réviser votre position.
Knut Haraldsen s’attendait à tout sauf à cela.
— Que voulez-vous dire ?
— Que je vous demande de contacter d’urgence le Ragona et d’ordonner à votre capitaine de déposer votre passager involontaire dans le pays non communiste de son choix. Il va sans dire que nous vous indemniserons pour la dépense supplémentaire. Mais vous devez procéder ainsi.
Knut Haraldsen rougit violemment. Il était susceptible et xénophobe.
— Monsieur, répliqua-t-il, je n’ai d’ordres à recevoir de personne. Le Ragona continuera sur Riga, où ce criminel sera remis aux autorités… Je ne comprends pas pourquoi vous vous intéressez au sort d’un tel individu.
Il se leva, signifiant que l’entretien était terminé. Le consul soupira et resta assis.
— Monsieur Haraldsen, dit-il lentement, cet individu, comme vous dites, a une grande importance à nos yeux. Pour tout dire, nous tenons absolument à ce qu’il ne retombe pas dans les mains des communistes. Vous comprenez ?
Le Norvégien était plus têtu qu’un cent de marins bretons.
— Je comprends, monsieur, dit-il sèchement, mais personne n’a à me donner d’ordres en ce qui concerne mes navires. Le mien ira droit à Riga.
Un instant les deux hommes se toisèrent du regard. Le consul avait quelque chose sur le bout de la langue. Haraldsen ferait une drôle de tête s’il savait qu’un sous-marin américain suivait en ce moment la route du Ragona , prêt à intervenir si les négociations n’aboutissaient pas.
Le genre d’intervention que l’on nie à l’ONU, la tête sur le billot. Mais heureusement, il avait d’autres armes contre Haraldsen. Il prit l’air accablé d’un militaire que l’on empêche de déclencher une belle guerre.
— Monsieur Haraldsen, je crois que les marins de votre compagnie relâchent fréquemment aux États-Unis. Il vous serait donc désagréable de vous voir déclarer persona non grata auprès de certaines agences fédérales…
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