Le Coronado se posa sans heurt à Mexico-City, à 19 h 29, heure locale. Mais, cette fois, personne n’attendait Malko. Il se fit conduire au Maria-Isabel et demanda une chambre au septième
A Chulavista, dans la banlieue de Mexico, il y avait peu de distractions. Le cinéma ambulant une fois par semaine. Aussi, quand le curé afficha à la porte de l’église qu’il dirait le lendemain une messe spéciale, avec chanteurs, pour le repos de l’âme de Felipe Chano, décédé dans un accident d’automobile, le bruit se répandit-il comme une traînée de poudre.
Le lendemain, toutes les femmes du village étaient là, de vieilles mantilles noires sur la tête. Quelques hommes aussi, ceux qui ne travaillaient pas. Tous, en entrant, restaient suffoqués d’admiration : jamais il n’y avait eu autant de fleurs dans la petite église, qui d’habitude n’avait pour ornement que de naïfs dessins sur bois.
Il y avait des fleurs partout, des gerbes d’orchidées sauvages, des lis, des glaïeuls, et même des fleurs que les villageois n’avaient jamais vues. Surtout, c’était le tapis qui fascinait les Cuernavaquiens. Un long tapis rouge qui allait de la porte au chœur, épais, cossu, sur lequel les villageois s’agenouillaient avec volupté.
— C’est comme à la cathédrale ! murmura une vieille femme qui était déjà allée à Mexico.
Le vieux curé se rengorgeait, devant la surprise de ses ouailles. Ce tapis lui avait valu trois heures de tortueuses négociations avec le curé de Sainte-Marie-des-Cimes. Son confrère lui avait quand même extorqué 100 pesos, et la promesse que pas une tache ne souillerait le chef-d’œuvre, qui était en réalité une vieille moquette d’escalier, rachetée d’occasion au Gouvernement.
Lorsque la messe commença, il y eut un « Oh », contenu par la piété : du coin gauche s’élevait le son grinçant d’un vieil instrument, accompagné par une douzaine de voix enfantines. Il y avait même des chœurs. L’harmonium était aussi un emprunt du vieux curé.
Devant une telle magnificence, on oublia complètement la veuve et ses enfants. Discrètement quelques femmes ressortirent et convièrent le reste du village au spectacle.
L’apothéose eut lieu quand on défila devant le cercueil. Il y avait une immense couronne de deux mètres de diamètre avec une seule inscription : À su amigo, Felipe, S.A.S.
Les villageois se gonflèrent de fierté en pensant que leur Felipe pouvait avoir un ami assez riche pour assumer de telles dépenses. À leurs yeux, il n’avait été jusque-là qu’un petit policier, tirant le diable par la queue.
Mais ce fut du délire lorsque le curé annonça, d’un ton faussement humble, que désormais la même messe serait dite chaque année.
Après la messe, il fut assiégé dans la sacristie par une nuée de curieuses, qui désiraient savoir qui était ce mystérieux donateur. Le curé leva les bras au ciel :
— Je n’en sais rien moi-même. C’est un étranger que je n’avais jamais vu et dont je ne sais même pas le nom. Grand, blond, vêtu d’un costume noir brillant. Il parlait très peu et portait de grosses lunettes, dissimulant ses yeux. Il m’a laissé une somme d’argent pour que je puisse dire ma messe très longtemps et, Dieu veille sur lui, je n’en distrairai pas un centavo. Mais il ne m’a pas dit pourquoi il agissait ainsi.
Personne n’avait remarqué durant le service religieux l’inconnu blond, debout derrière un pilier. Lorsque le vieux curé avait aspergé le cercueil avec son goupillon, il avait fait un lent signe de Croix, le premier depuis son enfance.
Puis il partit sur la pointe des pieds, sortit de l’église et remonta dans une discrète Chevrolet grise, ôta ses lunettes noires et essuya les larmes de ses yeux avec une pochette immaculée.
Military Air Transport
Les blancs, en argot mexicain
Voir S.A.S. à Istanbul
On appelle ainsi les agents de la C.I.A. qui n’apparaissent pas sur les documents officiels.