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Gérard De Villiers: L’or de la rivière Kwaï

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Gérard De Villiers L’or de la rivière Kwaï

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— Mais à votre avis, Jim Stanford est-il encore en Thaïlande ? demanda Malko. En dépit de sa connaissance du pays, c’est un risque terrible.

Le colonel dessinait rêveusement sur son bureau. Il leva sur Malko des yeux où, pour la première fois depuis le début de la conversation, il y avait un peu d’humanité :

— Je crois, en effet, qu’il se trouve encore dans ce pays, peut-être tout simplement parce qu’il l’aime, dit-il. Il y a passé vingt ans de sa vie. Parce qu’il ne sait pas où aller. Je ne sais pas. Cette fille n’a rien pu nous apprendre. Et je crois qu’elle ne savait vraiment rien d’autre. On ne résiste pas au serpent corail.

— Vous allez continuer à rechercher Stanford ?

— Non. Il n’est plus dangereux. Je ne veux plus risquer des hommes pour le retrouver. C’est peut-être mieux ainsi. Il a fait beaucoup pour notre pays, du temps des Japonais. Et, jusqu’à l’heure de sa mort, il n’oubliera pas que sa sœur est morte à cause de lui. Maintenant, c’est un homme traqué. Il doit être caché par les Chinois qui lui fournissaient des armes. Ceux qui se trouvaient avec lui dans la vieille maison de Domburi. Il n’ira pas loin. Eux aussi l’abandonneront. Il est trop dangereux, maintenant. Si vous le trouvez, il est à vous.

L’émotion du colonel n’était pas feinte. Malko le remercia d’un signe de tête. C’est toujours humiliant d’être du côté des traîtres.

— Et cette jeune Chinoise ? demanda-t-il encore. Cette fois le colonel eut un rire cruel :

— Vous vous intéressez à son sort ? Eh bien, vous allez être fixé. Vous verrez que nous ne la torturerons plus. Elle ne peut plus nous servir. Elle a dit tout ce qu’elle savait. Ce n’est qu’un rouage.

Ils le suivirent jusque dans la cave où on avait interrogé Kim-Lang. La Chinoise était toujours là, attachée sur la table de bois. Avec les deux affreux accroupis à ses pieds. Le colonel donna l’ordre de la détacher.

L’un des Thaïs défît les sangles et Kim-Lang roula à terre. L’un des affreux était sorti et revint avec une couverture qu’on étendit sur le sol. Brutalement, il y roula Kim-Lang, toujours évanouie et nue, puis elle fut saucissonnée, comme un paquet. Les deux affreux la prirent sous leurs bras comme un tapis roulé et sortirent de la cellule.

Thépin, Malko et le colonel leur emboîtèrent le pas.

Une camionnette bâchée était garée dans la cour. Le corps de Kim-Lang y fut jeté sans ménagement et l’un des deux geôliers s’assit sur le rouleau. L’autre prit le volant. Le colonel monta dans sa Datsun avec Malko et Thépin.

Ils enfilèrent Plœnchitr Road puis tournèrent à droite dans Soi-Chid Road et ensuite dans un dédale de petites rues, en lisière d’un khlong verdâtre, pour s’arrêter finalement devant un immeuble assez miteux.

La rue était peu animée. Personne ne prêta attention au colis transporté par les deux Thaïs jusqu’au premier étage. Guidés par le colonel, Malko et Thépin montèrent l’escalier à leur tour. L’officier leur ouvrit une autre porte donnant sur un local plongé dans le noir. Le Thaï alluma et Thépin poussa une exclamation de surprise : une immense glace était enchâssée dans le mur du fond, deux mètres sur trois.

— C’est une glace sans tain, souligna le colonel Makassar, d’une voix neutre.

De l’autre côté se trouvait une chambre à coucher simplement meublée, dans laquelle les deux affreux étaient en train de décharger Kim-Lang sur le lit. Ils ressortirent en refermant la porte derrière eux.

— Que voulez-vous faire ? demanda Malko, intrigué.

— Chut, c’est une surprise, fit le colonel. Excusez-moi, je dois m’absenter quelques instants. Restez-là.

Il disparut dans une pièce voisine et Malko l’entendit téléphoner sans comprendre ce qu’il disait. L’autre parlait thaï, bien entendu.

Résigné, Malko s’assit sur un sofa peu confortable, à côté de Thépin qui arborait un air aussi mystérieux que le colonel.

De l’autre côté de la glace sans tain, Kim-Lang ne bougeait pas, étendue nue sur le lit, les yeux fermés. Impossible de dire si elle était assommée, évanouie, ou si elle dormait simplement, épuisée par son interrogatoire.

Ils étaient là depuis une demi-heure environ lorsqu’ils entendirent des pas dans l’escalier.

Thépin se pencha sur Malko et dit méchamment :

— Tu vas voir ce qui va arriver à ta putain.

Ils avaient tous les deux les yeux fixés sur la glace sans tain. La Chinoise n’avait pas changé de position.

Il y eut un conciliabule sur le palier puis la porte de la chambre où se trouvait Kim-Lang s’ouvrit brutalement.

Une femme s’encadra dans le chambranle. Malgré les lunettes noires, Malko reconnut immédiatement Mme Stanford, plus distinguée et plus séduisante que jamais, drapée dans un manteau de soie grège. Elle tenait un petit sac noir dans la main droite. Calmement, elle referma la porte et retira ses lunettes. Jamais Malko n’avait vu un visage respirer une telle cruauté. Les lèvres et les yeux ne formaient plus qu’un trait fin, un rictus de haine faisait trembler son menton.

Mme Stanford s’avança vers le lit et secoua Kim-Lang par l’épaule. La Chinoise ouvrit les yeux et poussa une exclamation que la glace étouffa. Malko vit seulement bouger les lèvres. Elle essaya de se lever mais la longue main de Mme Stanford la repoussa sur le lit.

Comme fascinée par un serpent, Kim-Lang ne bougea plus. Mme Stanford se pencha et, de la main droite, gifla violemment Kim-Lang, laissant sur sa joue cinq traînées sanglantes. Puis droite comme un I, implacable, elle injuria sa rivale pendant plusieurs minutes. On voyait ses lèvres bouger, ses yeux flamboyants de haine. Les paroles parvenaient à travers la glace comme une rumeur sourde.

Soudain, elle ouvrit son sac et y plongea la main. Elle la ressortit, tenant un pistolet automatique noir, un Beretta 7,65. Calmement, elle l’arma, ramenant la culasse en arrière.

Les mains croisées sur la poitrine, Kim-Lang se recroquevilla sur le lit, tellement effrayée qu’elle ne cria pas. Comme au stand, Mme Stanford étendit le bras et tira. La première balle frappa Kim-Lang au pied droit. Elle cria et tenta de se lever. Mme Stanford continua à tirer.

Malko vit un trou sanglant apparaître dans la poitrine de la Chinoise. Puis un autre juste au-dessus de son nombril. Elle bascula en avant. Mme Stanford tira encore deux fois, dans le dos, des éclats d’os jaillirent de la colonne vertébrale de la Chinoise. Elle eut une convulsion violente et glissa par terre.

Déjà Malko se précipitait à travers l’appartement. Il se heurta au colonel Makassar qui, fermement, mais poliment, lui enfonça le canon de son propre revolver dans l’estomac.

— N’intervenez pas, murmura-t-il. C’est un simple drame passionnel. Je viens d’apprendre à Mme Stanford où se trouvait la femme qui avait ruiné son mari… Elle a réagi comme toute épouse digne de ce nom.

Juste à ce moment, on entendit un autre coup de feu, venant de la rue. Abandonnant son interlocuteur, le colonel bondit sur le palier et dévala l’escalier, Malko sur ses talons.

Mme Stanford était debout près d’une Toyota, le corps d’un homme étendu à ses pieds. Elle tenait encore le pistolet avec lequel elle avait abattu Kim-Lang. Le colonel se précipita et le lui arracha. Elle se laissa faire sans résistance, hébétée, et s’appuya à la voiture.

— Qui est-ce ? demanda le Thaï en désignant le mort qui portait un affreux trou à la tempe.

— Mon chauffeur, murmura Mme Stanford.

Les gens s’attroupaient autour de la voiture. Le colonel furieux, s’exclama :

— Mais pourquoi l’avez-vous tué ?

— J’étais tellement énervée, fit Mme Stanford. Et il me restait encore une balle.

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