Jean-Paul précisa :
— On n’a pas encore réussi à joindre la mère d’Ali. Elle ne répond pas sur le portable mentionné lors de l’admission de son fils. Elle a donné comme résidence l’adresse d’une épicerie arabe dans le 19 ème. J’ai envoyé des collègues sur place. C’était fermé, et impossible d’avoir les coordonnées de qui que ce soit. La boutique ouvre vers six heures.
— Va falloir foncer là-bas au petit matin, et la trouver.
– Ça pourrait être elle ? demanda le commissaire divisionnaire.
— D’après le personnel hospitalier, c’est impossible.
Patrick Girard prit une profonde inspiration :
— C’est elle qu’on voit entrer dans la chambre, c’est une Arabe et, selon les spécialistes, l’inscription aurait été faite par quelqu’un sachant écrire parfaitement cette langue. On a utilisé un bout de drap trempé dans le sang des victimes.
L’adjoint du groupe en rajouta une couche :
— Ce qui est étrange, c’est qu’aucun des deux enfants ne semble s’être défendu. À leur âge, même malade, on a une certaine capacité de résistance. Ont-ils été surpris ? Jérôme Banel était couché sur le côté et tournait le dos à Ali. Il dormait ou on l’a obligé à prendre cette position. Il a été poignardé en plein cœur, d’un tranchant fin, comme un poinçon.
— On n’a pas retrouvé l’arme. L’autopsie le confirmera, mais il semble qu’Ali n’ait reçu qu’un coup rapide, direct, d’une lame très effilée, certainement différente de celle qui a tué Jérôme, fit remarquer le procédurier.
Bayon se passa la main dans les cheveux en faisant la moue :
— Deux armes ? Deux personnes ?
— Pas impossible effectivement, indiqua Isabelle qui ne souhaitait pas se trouver écartée de la conversation.
— D’autant que sur les caméras de surveillance, les ripeurs ont relevé un élément intéressant. Donne-nous ton explication, Hakim.
— On parle de la mère d’Ali, commandant, mais le témoin ne l’a pas réellement vue ou, du moins, pas de face. Madame Ben Hamid porte habituellement un foulard. La femme qui est entrée était vêtue comme elle, mais on ne l’a pas identifiée clairement. Ce n’est qu’une supposition, pas une certitude. Sur les caméras de l’hôpital, je la repère une autre fois sans voir son visage, rien de formel. En plus, elle est avec un homme en blouse blanche, on dirait un membre du personnel hospitalier. À l’extérieur, rue de Sèvres, on la retrouve par deux fois, d’abord avec quelqu’un qui correspond physiquement à celui vu en blouse blanche, sauf qu’il n’a plus la blouse. Ensuite seule !
— On voit mieux les visages ? interrogea Bayon.
— Malheureusement non, l’image est mauvaise et, à chaque fois, ils tournent la tête, on pourrait penser qu’ils évitent la caméra.
— Voyez avec les services techniques ce qu’on peut faire.
— C’est déjà en cours, monsieur, intervint à nouveau Isabelle. On a fait une multitude de prélèvements pour chercher de l’ADN et on a relevé, pour comparaison et élimination, celui d’une partie des membres du personnel.
— La téléphonie ?
Girard ne laissa pas le temps à la commissaire de répondre :
— On a commencé à lancer des réquisitions mais, dans Paris, en pleine journée, dans un hôpital… ça va être monstrueux. Le téléphone de la mère d’Ali n’apparaît pas. On va voir si des numéros identiques bornent dans Necker, aux environs de l’épicerie arabe et à l’endroit où on perd la trace de madame X… ressemblant à madame Ben Hamid.
Un temps de silence s’installa que Girard interrompit pour annoncer une évidence :
— La nuit va être courte, faut qu’on avance la paperasse et qu’on bécane. À six heures, je veux qu’on soit à l’ouverture de l’épicerie. En attendant, on diffuse le signalement de madame Ben Hamid auprès de la PAF. Ceux qui disposent d’un hébergement à proximité peuvent rentrer chez eux dormir pendant deux ou trois heures. Pour les autres… comme moi, ce sera le fauteuil de bureau.
L’équipe se sépara, laissant seuls le patron de la Crim’, la commissaire Hervier et le commandant Girard. Le divisionnaire posa la question qui le hantait :
— Et l’acte terroriste dans tout ça ?
Isabelle répondit tout en associant le commandant :
— On n’y croit pas.
Girard haussa les épaules en ajoutant :
— Non, j’en doute, pourquoi se limiter à ces deux gosses et ne pas s’attaquer à d’autres ? Des terroristes auraient visité plusieurs chambres. Ce n’est pas revendiqué. Cette inscription est un leurre. Qu’en pensent les collègues de la SAT ? Je n’ai pas eu le temps de leur parler.
— Ils sont de cet avis.
L’opinion de Bayon était faite :
— Vous restez saisis. On est dans le droit commun. Après l’histoire de l’enseignant mytho du 93 qui s’est charcuté au cutter et s’est dit victime de Daech, la SAT est échaudée, les cinglés vont surfer sur la vague terroriste. La DGSI n’y croit pas non plus. Demain matin… c’est-à-dire aujourd’hui, rectifia Bayon, en réalisant que la nuit était déjà largement avancée, j’ai une réunion avec tous les services : DGSI, DGSE, DCPJ et le DGPN, on leur dira ce qu’on a, et on partagera nos billes. Ici, rien ne ressemble à du terro et ne correspond à la mise en œuvre d’une menace déjà identifiée… En tout cas, le procureur de la République n’a pas choisi de saisir le parquet antiterroriste.
Avant de partir, le commissaire divisionnaire se tourna vers Isabelle :
— Tu me prépares une note sur le sujet.
Et, alors qu’il s’en allait, il crut bon de recommander :
— Pour l’intervention de demain matin, prenez avec vous une équipe de la BRI, vous ne savez pas où vous mettez les pieds, pas question de tomber dans un traquenard.
Il était cinq heures cinquante, lorsque la commissaire Hervier, le capitaine Legal et les ripeurs arrivèrent au 20, rue de Meaux, suivis par deux voitures de la BRI. Le commandant Girard et les procéduriers avaient préféré rester au service. Ils rappliqueraient en cas de besoin. Tarik Badoumi était en train d’ouvrir son épicerie. La commissaire laissa le commandement des opérations à l’officier.
— Inutile de déclencher une guerre mondiale, faisons soft, proposa le capitaine, avant d’appuyer sur le bouton d’émission de sa radio de bord… « Legal au dispo, on ne va pas affoler notre homme, je pars en avant avec Isabelle, couvrez-nous. En cas de problème, vous intervenez ». On reste clair, on lui demande où se trouve madame Ben Hamid, point barre !
– Ça me convient.
Un air humide et froid les enveloppa dès la sortie de leur voiture. Tous deux portaient leur gilet pare-balles sous leur veste légèrement ouverte, prêts à sortir leur arme s’il le fallait. Tout en marchant, le capitaine vérifia la présence de sa paire de menottes. Tarik Badoumi était en train de déposer un cageot de tomates sur un étalage extérieur lorsque l’appel de son nom le fit se retourner. Il jaugea d’un coup d’œil le couple en face de lui. Inutile de leur demander leur carte professionnelle, il s’agissait bien de deux flics.
— Oui ! dit-il d’une voix claire, bien que teintée de suspicion…
Legal eut l’impression de lire dans les pensées de Badoumi : Les flics à six heures du matin, ça ressemble à des emmerdes, et quand en plus, on est Arabe, méfiance.
— Nous cherchons madame Ben Hamid, vous la connaissez ?
Nouveau moment d’hésitation… Que devait-il répondre ? L’épicier plissa le front, comme s’il réfléchissait intensément.
— … Ben Hamid ?
Le capitaine sourit.
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