— Personne. Elle a disparu. Vingt-quatre, voire quarante-huit heures, difficile à dire, lui lança son adjoint.
Isabelle ajouta :
— En l’état actuel, la mère est notre principale suspecte, je pense qu’on peut définitivement écarter la piste terroriste. C’était peut-être même pas une enquête pour nous, elle aurait pu rester au niveau du commissariat, si on a affaire à une barge venue tuer son gosse.
— Un flic doit toujours se méfier des jugements expéditifs. Tu vas un peu vite en besogne. Mais il est vrai qu’à cette heure, madame Ben Hamid est notre seule vraie piste. Il est urgent de la retrouver.
— Il y a bien cette histoire de jeune couple venu lui rendre visite, hier ou avant-hier, hasarda Legal en résumant les explications confuses de l’épicier.
Patrick fronça les sourcils, l’invitant à être plus précis.
— On n’en sait pas beaucoup plus, l’épicier nous a fait une description rapide. Il a surtout parlé de la fille, d’une jeune qu’il a trouvé mignonne. Pour lui, ils étaient tous les deux Marocains.
— Vous lui avez présenté les photos ?
— Oui. Et il ne les a pas reconnus.
— Faut garder ça sous le coude. Peut-être le revoir, insister, qu’est-ce que vous en pensez ?
— On n’aura rien de plus. Ce n’est pas le genre bavard avec la police et, maintenant qu’il sait que la victime est le petit Ben Hamid, il a peur. Avec tout ce qu’il a entendu à la radio et à la télé… Il ne dira rien, même s’il les connaissait.
La commissaire se rangea à l’avis du capitaine.
— Et si on le mettait sur écoute ? Peut-être qu’il va en parler à un proche.
— C’est une idée, mais inutile de s’emballer.
— Et ici, quoi de neuf ? interrogea Legal.
Les épaules du chef de groupe semblèrent s’affaisser.
— J’ai reçu les parents de Jérôme Banel, arrivés par le premier avion de Marseille. Effondrés ! Enfant unique, malade depuis quatre ans… Ils sont passés par toutes les étapes possibles avant qu’il ne soit opéré à Necker. L’opération avait bien marché, leur fils avait enfin un avenir, et il se fait assassiner.
Le flic marqua une pause. Recevoir les proches d’une victime était souvent le moment le plus pénible de l’enquête. Quand en plus, il s’agissait d’un gosse…
— L’audition n’a rien apporté, ils connaissaient le petit Ali et sa mère, les deux enfants étaient dans la même chambre depuis une quinzaine de jours… Il leur paraît impensable que la mère d’Ali puisse être responsable de leur mort. Sinon, on continue d’interroger une partie du personnel de l’hôpital. Rien de ce côté. J’attends le retour des prélèvements ADN faits dans la chambre. Marc est à l’Institut médico-légal pour assister aux autopsies, et son équipier s’occupe de la téléphonie. Ah ! j’oubliais, le grand chef m’a convié à une réunion avec des membres de la DGSI, de la DGSE et de la DCPJ. Personne ne croit à la piste terroriste, mais on leur filera tous les numéros de téléphone, les adresses, les blazes, les ADN qui apparaissent en procédure. Ils vérifieront si ça correspond à quelque chose chez eux…
— On ressemble à des épaves, fit remarquer le capitaine.
— Parle pour toi, t’es gentil.
Girard y alla d’un coup de menton en direction de la jeune commissaire.
— Regarde-la. Elle, on voit bien qu’elle a encore l’âge de traîner en boîte de nuit, elle est toute pimpante.
— Si on allait manger ? suggéra Legal pour couper court à ce genre de discussion.
— Ouais, t’as raison, mais à côté. On est loin d’avoir terminé. Le Rat mort , ça vous va ?
Proposer la cantine administrative la plus proche ne déclencha pas un emballement excessif. Ils se rangèrent cependant au réalisme du commandant, et se mirent en route. Le temps ne s’améliorait pas, toujours aussi froid, et un petit crachin s’était mis à tomber. Mains dans les poches, ils prenaient la direction de Notre-Dame au moment où Marc appela Patrick. Il s’apprêtait à quitter l’IML.
— Pas trop dur ?
— Qu’est-ce que tu veux que je te réponde. Avec des gosses, ce n’est jamais simple. On ne peut pas s’empêcher de penser aux nôtres.
— Alors ?
— Rien qu’on ne sache déjà. La mort des deux enfants a été quasi immédiate. Impossible de dire lequel a été tué en premier, mais deux armes…, certainement deux tueurs. Si c’est la mère, elle n’était pas seule. Et de votre côté ?
— On t’attend pour déjeuner, on te racontera !
— Non, merci, je vais d’abord faire les P.V., je me ferai un casse-dalle plus tard.
Girard lui fit alors rapidement le point avant de prendre l’appel de l’un de ses ripeurs :
— Oui, Jean-Paul, je t’écoute.
— On a reçu les comparaisons ADN…
— Joue-la courte, on arrive à la cantoche. Donne-moi les résultats…
– Ça matche par deux fois ! Un homme, une femme.
La voix du jeune flic se fit plus enthousiaste. L’impression d’avoir levé un lièvre, même si la réaction du chef le doucha légèrement.
— Sur quoi ?
— L’homme, sur un plateau-repas…
— C’est un ADN transportable, ça ne prouve pas qu’il est entré dans la chambre. Le plateau a pu être touché partout dans l’hôpital. Et l’autre ?
— Le montant du lit, ça te va, ça ?
— Ouais, c’est mieux.
— Et les deux gagnants sont connus pour quoi ?
— La femme pour un vol à l’étalage, et l’homme pour des coups et blessures volontaires.
— Fais des vérifs. Je veux tout sur eux. Je passe te voir d’ici une heure.
— Ben…, c’est que j’irais bien déjeuner moi aussi.
– À ton âge, on peut rater un repas, tu mangeras plus tard… Je vais te ramener un sandwich, et en plus je te l’offre, elle est pas belle la vie ? Merci qui ?
— Merci, chef.
*
Après avoir mangé, les mines de plus en plus fatiguées, le groupe se retrouva dans le bureau de Patrick Girard pour un résumé des derniers éléments d’enquête. La découverte de deux ADN ne sentait pas forcément bon. Celui de la femme s’avérait être celui de Jenifer Granger, une jeune aide-soignante, auteure d’un vol à l’étalage quelques années plus tôt alors qu’elle suivait sa formation. Le second, celui d’un membre du personnel de maintenance, Jacques Rabillard, un garçon connu pour des violences, en général sous l’emprise de l’alcool.
— Je n’y crois pas, commenta le commandant. Néanmoins, on ne fait pas l’impasse. Jean-Paul, tu continues là-dessus. Une perquisition chez eux, histoire de se faire une idée plus approfondie de leur personnalité, et tu les entends tous les deux. On étudie leur téléphonie, leur environnement, leur emploi du temps… Juste un truc. Tu t’arranges pour les prendre en dehors des heures de boulot. Pas la peine de leur porter préjudice s’ils n’y sont pour rien. Pas nécessaire non plus de les mettre en garde à vue s’ils coopèrent.
Le commandant finit son débriefing par une conclusion d’évidence :
— Ce soir, on essaye de rentrer chez nous. Ça nous permettra de nous reposer un peu et de nous changer, je crois qu’on en a besoin.
Vingt-deux heures lorsque Patrick Girard arrêta la voiture de service devant son pavillon, dans un quartier résidentiel de Montigny-le-Bretonneux. Habiter Paris lui aurait permis d’être plus proche du boulot et de s’éviter la route, mais il avait sacrifié à l’envie d’avoir une maison et un peu de calme. Même s’il s’agissait d’une banlieue agréable, l’endroit ne satisfaisait pas ses désirs de campagne. C’était tout de même mieux que Paris et sa petite couronne, et puis Marianne, sa femme, travaillait au château de Versailles. Vautré dans le canapé familial devant un téléfilm, Luc leva tout juste la tête à l’arrivée de son père.
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