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Frédéric Dard: Cette mort dont tu parlais

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Frédéric Dard Cette mort dont tu parlais

Cette mort dont tu parlais: краткое содержание, описание и аннотация

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Retraité précoce, un fonctionnaire rencontre une jeune femme par petite annonce et l’emmène vivre dans une ferme de Sologne. Mais le fils qu’elle a déjà, sous des dehors charmants, est une petite frappe inquiétante et perverse. Elle-même… — En somme, vous êtes heureux ? — C’est un grand mot… — Elle paraît gentille. Peut-être un peu trop, non ? Dans un climat d’érotisme et de peur, de cupidité et de haines contenues, Frédéric Dard nous montre, avec sa cruauté baroque jusqu’où peut conduire l’asservissement sexuel. Et c’est terrible.

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Je voulais que mon texte fût suffisamment original pour attirer l’attention d’une fille intelligente et assez sobre cependant pour retenir celle d’une femme réservée. Après bien des brouillons je me suis résolu à envoyer le libellé suivant :

J’ai quarante ans (je m’étais vieilli intentionnellement) et j’arrive des colonies. Je possède une propriété en Sologne, des revenus suffisants pour deux et une figure qui en vaut une autre. Je cherche ma réplique féminine et si je la trouve je l’épouserai. Envoyez photographie.

En laissant tomber mon message dans la boîte à lettres du village voisin, j’éprouvais un peu de ce que doit ressentir le naufragé qui confie une bouteille à la mer.

Il existe une certaine volupté à jouer son destin à pile ou face. Décidément, plus j’y songeais, plus ce moyen de recruter une femme me séduisait. Grâce à lui j’étais dispensé des mièvreries ordinaires, des trémolos, des bouquets de fleurs, des balades en barque ou au clair de lune. De part et d’autre on pouvait jouer franc jeu. Dans de telles conditions, nous ôtions tout romantisme au mariage, nous en faisions ce qu’il est en réalité, une association d’individus désirant exploiter un ménage.

Il ne me restait plus qu’à attendre les réponses…

Elles sont venues.

*

Il n’y en a pas eu mille, comme je le pensais, ni cinq cents, ni cent, ni dix, mais neuf en tout et pour tout, ce qui porterait à penser que les femmes en mal d’époux sont moins nombreuses qu’on l’imagine.

Huit lettres contenaient des portraits de dames photographiées sous le bon angle certes, mais tellement disgraciées que l’objectif, malgré la technique de l’opérateur, n’avait pu ignorer leur infortune. Cet étalage de misères physiques m’ôta toute envie de lire les lettres. Je ne pris connaissance que de la neuvième car elle ne comportait pas de photo.

Monsieur,

Je devrais commencer sans doute cette lettre par la formule consacrée « Votre annonce parue ce jour a retenu toute mon attention »… Mais je ne le ferai pas car elle m’a seulement amusée. Si je vous écris, c’est parce qu’à travers son libellé j’ai cru deviner un homme d’esprit. Cette denrée est si rare à notre époque que j’en épouserais volontiers un pour peu qu’il fût présentable. Je ne doute pas que ce soit votre cas.

À quoi bon vous envoyer une photographie qui tuerait le mystère d’une éventuelle rencontre entre nous ?

Si vous avez la curiosité de me voir, écrivez-moi : Madame Grisard, poste restante (c’est tellement pratique !) bureau de la rue du Four, Paris.

Vous pouvez me fixer tel rendez-vous qui vous plaira, je suis libre.

Croyez à ma sympathie, peut-être trop anticipée.

La signature était sèche et pointue comme un éclair.

Je relus deux fois la lettre et je pris ma plus belle plume pour répondre :

Madame,

Puisque vous me laissez le choix des armes, je vous attendrai au Flore, mercredi prochain à trois heures. Inutile, n’est-ce pas, de convenir d’un signe de ralliement ? Si nous ne savons pas nous trouver, c’est que nous ne sommes pas faits l’un pour l’autre.

Paul Dutraz.

C’était très agréable de décider aussi froidement de son avenir et de régler son destin comme la sonnerie d’un réveille-matin.

CHAPITRE III

Mina a été la première personne que j’ai regardée en pénétrant au Flore.

Elle se tenait au fond de la salle, sur l’angle de la banquette et elle regardait autour d’elle d’un air patient et pas tellement curieux. Une bouteille de bière, posée devant elle, m’a un peu surpris. Les femmes qui boivent de la bière sont rares. C’est un breuvage masculin. Je n’osais pas regarder cette femme et, bêtement, je consacrai toute mon attention à l’étiquette dorée de la bouteille.

Je savais que je ne me trompais pas. J’avais compris ça en entrant dans le café. Elle occupait une position stratégique qui lui permettait de surveiller les entrées. Et puis il y avait dans toute sa personne quelque chose d’un peu crispé qui sautait aux yeux.

Je me suis incliné devant sa table.

Puis je l’ai fixée. Elle ne correspondait pas du tout à l’être que naturellement j’avais essayé d’imaginer. J’avais cru rencontrer une femme sèche, un peu hommasse avec — pourquoi grand Dieu ! — un nez fort et un menton proéminent. Au lieu de ce portrait peu flatteur, je trouvais une jeune femme aux cheveux gris, au visage fin et intelligent. Elle portait des lunettes sans monture et n’avait pas la moindre trace de fard sur le visage. Malgré ses cheveux précocement gris et ses lunettes, elle faisait jeune. Sa figure ne comportait pas la moindre ride. Il y avait dans toute sa personne un je ne sais quoi de frénétique mal contenu, qui semblait insolite chez cette personne au maintien strict. Elle possédait des formes bien marquées, presque opulentes, mais qu’elle ne cherchait pas à mettre en valeur… Elle était vêtue d’un tailleur gris sombre, d’un chemisier de soie blanche et d’un petit chapeau noir de bon ton. Si elle l’avait désiré, elle aurait pu se rajeunir avec une teinture et un maquillage approprié, mais je lui sus gré d’avoir eu le courage de son âge. Elle était venue à moi en jouant cartes sur table. Cette preuve de franchise me plaisait.

— Vous permettez ? ai-je demandé en prenant un siège.

Elle semblait plus surprise que moi et me détaillait posément.

— Eh bien, voilà, ai-je soupiré, c’est moi… Et vous… c’est vous… Excusez-moi, je dois vous sembler gauche, mais je n’ai guère l’habitude de ce genre de situation.

Elle a ôté ses lunettes. Son visage s’est rajeuni, éclairé même.

— Mais vous êtes tout jeune ! a-t-elle soupiré…

— J’ai trente-six ans…

— Vous disiez…

— Sur l’annonce j’ai préféré avouer mon âge moral… De ce côté-ci je puis même vous avouer que j’étais en dessous de la vérité…

— Vraiment ?

— Oui.

— Vous vous trompez sûrement, un homme vieux de caractère ne s’en aperçoit pas ; il est aveugle sur son cas, c’est le principal élément de sa maturité.

— Bigre, déjà en pleine philosophie ?

— Je suis plus âgée que vous, a-t-elle murmuré…

— Je peux demander de combien ?

— De six ans…

— Quarante-deux ?

— Oui.

— C’est incroyable… On vous donnerait…

— Qu’importe ce qu’on me donnerait, c’est ce que j’ai qui compte. Un écart de six ans entre mari et femme est normal lorsque c’est l’époux le plus âgé… Là il est… Il est un peu indécent.

— Ce n’est pas vrai !

J’avais lancé cette exclamation avec une telle fougue qu’elle a souri tristement.

— Ce n’est pas vrai. Vous avez l’air encore plus jeune que moi. J’estime au contraire que cette différence rétablit en partie l’équilibre.

— Quel équilibre ?

— Vous n’avez jamais lu dans votre hebdomadaire favori que la longévité est plus forte chez la femme que chez l’homme.

Ça a paru l’amuser pour de bon.

— Nous n’en sommes pas encore là !

— Non, heureusement… Mais je tenais à anéantir vos scrupules mal fondés.

Plus je la regardais, plus elle me plaisait. Cette femme dégageait un charme très opérant. Elle me troublait. J’avais envie de tout savoir sur elle, et j’avais un peu peur de l’apprendre.

Nous nous sommes racontés l’un à l’autre, sans fioritures, le plus succinctement possible, comme on résume une histoire. Pour la première fois je me suis aperçu à quel point la mienne était vide et inintéressante : une enfance douillette, des études secondaires, des parents décédés dans un accident d’auto, le régiment en qualité de lieutenant dans une base d’Afrique du Nord, l’envie de descendre plus bas… Un poste d’administration en Oubangui après ma démobilisation… Et puis l’avis d’un toubib de là-bas qui, ayant jeté un coup d’œil à une radio de mon foie, m’avait préconisé de rentrer…

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