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Frédéric Dard: Cette mort dont tu parlais

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Frédéric Dard Cette mort dont tu parlais

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Retraité précoce, un fonctionnaire rencontre une jeune femme par petite annonce et l’emmène vivre dans une ferme de Sologne. Mais le fils qu’elle a déjà, sous des dehors charmants, est une petite frappe inquiétante et perverse. Elle-même… — En somme, vous êtes heureux ? — C’est un grand mot… — Elle paraît gentille. Peut-être un peu trop, non ? Dans un climat d’érotisme et de peur, de cupidité et de haines contenues, Frédéric Dard nous montre, avec sa cruauté baroque jusqu’où peut conduire l’asservissement sexuel. Et c’est terrible.

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Adieu !

Germaine.

Blanchin avait découpé le bas de cette lettre et il avait empoisonné sa femme… Les deux derniers mots l’avaient couvert vis-à-vis des pandores du coin.

J’ai plié la lettre et l’ai posée sur un rayonnage à outils. J’étais songeur. J’allais un peu vite dans mes conclusions. La veille encore, j’ignorais tout de ce suicide et voilà que j’en faisais déjà un meurtre dont je n’hésitais pas à créditer le mari.

Le papier s’est enflammé d’un coup dans la chaudière, illuminant la cave. J’ai jeté du bois sec et je l’ai entendu pétiller, craquer joyeusement. Ce feu, c’était enfin de la vie dans cette maison morte. J’ai attendu qu’il eût bien pris avant de pelleter le charbon. Plus je réfléchissais à cette lettre, plus j’étais convaincu que Blanchin avait tué sa femme.

Je me disais : « Tu vas aller trouver la maréchaussée pour demander des détails au sujet du fameux message d’adieu. Et puis… » Et puis quoi ? Après tout, ça ne me regardait pas que mon prédécesseur fût un assassin. La morale est une entité confuse. De toute manière, M me Blanchin était morte. Si son mari l’avait tuée (et il l’avait tuée car la lettre que je venais de lire n’était pas celle d’une neurasthénique, mais au contraire celle d’une femme déterminée à l’action) s’il l’avait tuée il devait avoir assez de tracas avec sa conscience… La justice des hommes ne pourrait que le soulager en prenant son crime en charge.

Lorsque le feu a été réglé, je suis remonté. J’étais paisible, presque détendu. Un meurtre est vraiment une chose vénielle lorsqu’il n’est pas découvert. Dans le fond, quand cela se passe bien, ça ne tire pas à conséquence. La fragilité, la précarité de notre peau est telle que la mort, sous une forme ou sous une autre, paraît familière, presque innocente… M me Blanchin avait perdu la vie parce que la dernière phrase de sa lettre ne tenait pas toute sur une même ligne. Parce que le hasard de son écriture avait voulu qu’elle isolât le mot « Adieu » et que ce mot se trouvât juste au-dessus de sa signature.

Il y a des gens, notez bien, qui sont morts pour encore moins que cela.

CHAPITRE II

Un secret comme celui que je venais de découvrir, ça n’est pas une compagnie pour un homme seul. Au bout de quelques jours je me suis mis à cafarder sérieusement et j’ai eu envie de tout bazarder et d’aller planter mes choux ailleurs. Lorsqu’on est un solide garçon de trente-six ans, on a beau avoir une hypertrophie du foie et des revenus appréciables, il est difficile de mener longtemps une vie comme celle-là. C’est pourquoi, un matin, en me rasant, je me suis examiné attentivement dans la glace du lavabo. Je commençais à prendre une physionomie de célibataire. Les stigmates de l’homme seul marquaient mon visage. Cela se tenait dans le regard et aux commissures des lèvres. Mes yeux avaient une petite lueur égoïste et dure qui ne disait rien de bon et ma bouche prenait un pli amer.

Je me suis parlé, comme on parle a un ami.

— Paul, tu ne vas pas charrier ta peau comme ça pendant des années, comme un cours d’eau charrie une bête crevée ! Il faut te marier, mon vieux…

J’avais toujours trouvé cette idée ridicule et un peu indécente. J’aimais l’usage des femmes, mais par leur société. La pensée d’en avoir une pour moi tout seul m’effrayait depuis que j’avais compris ce qu’était un couple. Cette misogynie n’expliquait-elle pas mon indulgence pour Blanchin, l’assassin aux joues flasques ?

J’ai achevé ma toilette, passé un costume sport et je me suis mis au piano. J’ai toujours été un piètre exécutant, mais il m’est arrivé dans ma jeunesse, de composer des petites choses romantiques… J’ai martyrisé le clavier une heure durant. Puis, lorsque j’eus rabattu le couvercle de l’instrument, je me suis levé en faisant claquer mes doigts.

J’allais me marier. C’était décidé. Il fallait une femme à cette maison, plus qu’à moi-même car elle manquait de jupe.

Je me suis accroupi dans le hall pour prendre conseil de la demeure.

— Qu’est-ce qu’on fait ? ai-je soupiré.

J’ai cru sentir une approbation autour de moi. Les meubles attendaient des ouvrages de dame, des lingeries féminines… La cuisine réclamait une cuisinière… Et le grand silence flasque qui croupissait de la cave au grenier espérait une voix légère, des chansons.

Je me suis mis à réfléchir à la question. Il fallait y aller doucement. J’avais des habitudes de vieux garçon, qu’une jeunesse aurait piétinées sans vergogne. D’autre part, une jeune femme m’aurait donné des enfants… Et puis, il y avait pire : j’aurais pu en tomber amoureux. Ce qu’il me fallait, c’était plus une compagne qu’une épouse, une femme entre deux âges, calme, raisonnable, avec qui je ferais chambre à part…

Je la voyais très bien, cette digne personne. J’attendais d’elle beaucoup de gentillesse, un peu d’intelligence, énormément de tolérance et quelques caresses, de préférence expertes.

Cette détermination m’a empli d’allégresse. J’ai toujours aimé réaliser un projet.

En me mettant à table, chez Valentine, je fredonnais.

— Dites donc, a-t-elle remarqué, vous avez l’air bigrement heureux de vivre aujourd’hui.

— Heureux, non, mais satisfait… Ma chère amie, je vous annonce que je vais me marier.

Elle s’est assise en face de moi, contente d’avoir une nouvelle à se mettre sur la langue, et un peu triste cependant à la pensée de perdre ce providentiel pensionnaire.

— Vous marier ?

— Oui. J’ai décidé ça ce matin…

— Ah ! Eh bien, je vous fais mes compliments, que voulez-vous !

Elle a hoché la tête, attendrie.

— Comment s’appelle-t-elle ?

— Je n’en sais rien.

Elle a cru que je me fichais d’elle.

— Comment ça, vous n’en savez rien ?

— Il faut que je trouve l’élue… si j’ose dire.

— Ah bon, parce que vous n’avez personne à épouser ?

— Non. À part vous, je n’ai aucune femme dans mes relations. Et je vais même plus loin : je n’ai aucune relation.

Ça l’a fait rire. Elle trouvait que mes projets matrimoniaux tournaient à la blague.

— C’est pas dans la forêt que vous risquez de la découvrir, votre légitime…

— Je m’en doute, aussi n’est-ce point là que je vais la chercher.

— Alors, qu’est-ce que vous allez faire ?

— Mettre une annonce…

— Hein ?

— Il existe des journaux spécialisés… J’aurai mille réponses, je vous le garantis.

— Vous en aurez même deux mille, mon pauvre petit, mais ce seront rien que des bossues ou des filles-mères qui vous répondront. Les femmes normales n’ont pas besoin des petites annonces pour trouver chaussure à leur pied. Les petites annonces ! Je vous demande un peu… Je n’achèterais même pas une vache par les petites annonces, moi, m’sieur Paul !

— Je vous fait remarquer, chère Valentine, que je ne cherche pas non plus une vache. J’ai déjà déniché la maison que je désirais par ce système, il n’y a pas de raison pour que je ne trouve pas aussi la femme idéale…

Elle a essuyé son mufle d’un revers de coude, puis, profitant de ce qu’elle avait son gros bras levé elle a laissé tomber le poing sur la table.

— Y a pas de femme idéale…

— C’est vrai, Valentine, seulement pour chaque homme il existe un idéal féminin, ça compense… Je vais donc chercher une femme se rapprochant du mien.

— On va rire, a prophétisé la grosse femme.

Il n’y a vraiment pas eu de quoi !

*

Au moment de rédiger la fameuse annonce, je me suis rendu compte combien il était difficile de résumer en quelques mots abrégés d’aussi hautes aspirations.

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