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Frédéric Dard: Vas-y, Béru !

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Frédéric Dard Vas-y, Béru !

Vas-y, Béru !: краткое содержание, описание и аннотация

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Quand la première salve est servie, on enclenche un deuxième chargeur. Le temps prend son temps dans ma tronche, bien que le mitrailleur fasse fissa. Je pense avec une incroyable lucidité. Je me dis des trucs, des choses, des machins. Je devine les mouvements de notre agresseur comme si je le voyais. J’ai entendu un cri et je sais qu’un de mes compagnons a été touché. Je passe la main sous ma veste afin de dégager mon excellent camarade Tu-tues de sa gaine. Faut agir mollo pour éviter d’émettre un bruit qui me situerait. Je n’y vois que tchi. Faut que j’attende la deuxième seringuée afin de situer le tireur. Dangereux, car en v’là un qui semble vouloir faire le ménage complet.

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— C’est défense d’exercer des pressions sur l’adversaire ! proteste Béru.

Chacun chérit sa femme comme il l’entend. Alfred approuve véhémentement tout en flattant d’une main experte la croupe jumentesque de Berthy. Au geste on devine l’habitude. Il y a du coulé dans la caresse, un arrondi éloquent de la main qui sait par cœur les volumes sur lesquels elle s’égare.

Enfin le Mastar se risque à bouger un nouveau verre. La Meringue joue à son tour. Nous assistons à trois échanges sans conséquences directes. C’est le round d’observation. Les joueurs cherchent leur second souffle. Je vois Béru tisser une manœuvre sournoise, mais La Meringue la flaire itou et prend les mesures de parade.

Un journaliste du Dauphiné déclare qu’il est prêt à parier sur La Meringue avec qui voudra. Je relève le défi et je mets cinq sacotins sur la hure de mon Béru. Pari tenu. L’émulation provoque d’autres mises. Ça devient une agence du P.M.U., le bar des Voyageurs et de la S.N.C.F. réunis ! Le coureur insomniaque nous dit comme ça qu’il « brztvisk skouliakkoff » (parce qu’il est moldovalaque) et joue dix zlotys sur Béru, ce qui est flatteur.

Dès que le pognon entre en lice, le climat se modifie. Avec les gonzesses, y a rien qui détériore une ambiance autant que le fric. Prenez dix mecs paisibles, débonnaires, relaxes, heureux de vivre et d’être ensemble, et amenez une souris en piste, vous verrez ce chantier au bout de cinq minutes ! Même si la nana n’a pas la fraîcheur printanière ou la silhouette bardotière. Ou bien, au lieu d’une frangine, faites surgir une question de pesos parmi ces dix potes et attendez ! Les chevaliers à la longue bouille ils deviennent ! Ils dégagent de l’électricité. Quand ils se causent, il leur part des étincelles du clapoire en même temps que des syllabes.

Bien vite le ton grimpe, ici ! Les parieurs se mêlent à la partie vu que leur artiche est dans le circuit. Ils cessent d’être des spectateurs passionnés pour devenir d’âpres participants. Les tenants de La Meringue lui crient de faire gaffe lorsque le Gravos élabore un coup fourré et de même, ceux qui ont placé leur confiance et leur blé sur Béru l’accablent de conseils qui ressemblent à des ordres. Les deux pittoresques joueurs sont devenus les coulissiers d’une Bourse étrange ; des agents de change au service de leurs clients.

— Touche pas à ce pion, il va te becqueter !

— Pas comme ça ! Tu vas être fait aux pattes s’il bouge son godet de la troisième case !

L’enfer du jeu, mes fils ! Ça rend les adversaires fébriles. Ils perdent leurs moyens. J’essaie bien de calmer les esprits, mais en vain. On ne peut pas faire appel à la sportivité d’un homme lorsque ses piastres sont en jeux. Le fair play, la galanterie, la dignité humaine ne peuvent faire bon ménage avec l’intérêt. Ce sont d’aimables ponctuations de l’existence, mais sur un chèque il n’y a pas de ponctuation. La Meringue s’entifle des marcs et Béru des crèmes de cassis. Isolés dans les vapeurs de l’alcool avec leur volonté de vaincre, ils ne protestent pas à propos des pressions qu’on exerce sur eux. La partie en cours est une partie de prudence, d’attentisme. Les pions s’éliminent mutuellement sans qu’une victoire se dessine d’un côté ou de l’autre.

L’instant vient, terrible, où chacun des antagonistes se trouve à la tête d’une dame et de deux pions. Sur le terrain de manœuvre déblayé, la partie se clarifie à outrance. Plus d’embuscade possible ! C’est la lutte à découvert. L’opération de nettoyage est stoppée. Ce qui se passe ressemble au départ d’une course de vitesse sur un vélodrome. On s’observe. On se refuse à attaquer. C’est le type qui est en seconde position qui possède l’avantage. Celui qui grimpe en haut du virage. Ça se gagne dans un rush imparable une partie pareille. Béru détient un très léger avantage vu qu’il a réussi à blottir sa dame dans l’angle de la grande diagonale, ses deux autres pions rampent le long du cadre, furtivement. On sent qu’il ne portera pas l’estocade. Il surveille le cheminement des pions adverses, déjouant leur vicieuse géométrie en transférant sa dame dans l’angle opposé lorsqu’il flaire un piège.

La Meringue, qui vient de biberonner neuf marcs, vacille un peu, déboulonné de l’intérieur. Mais sa clairvoyance se maintient. Une longue période de réciproque neutralisation calme les esprits. La Meringue a carré sa dame de manière à empêcher l’accès de la ligne d’arrivée au pion le plus hardi de Béru. Pas moyen pour le Gros de faire sacrer son pion ! Le petit verre poireaute dans un purgatoire maléfique tandis que l’infernal La Meringue continue de manœuvrer ses deux troupiers de deuxième classe dans un champ désert, mais où rôde une menace. Son but ? Bouffer la dame de Sa Majesté en sacrifiant ses deux pions. Si la manœuvre réussissait, il affronterait alors les deux pions béruréens avec sa dame à long rayon d’action. Mais Béru a trop de jugeote pour se laisser coiffer. Et ça dure…

A la fin, un non-parieur proteste. Il dit que c’est match nul vu que les adversaires se neutralisent et ont le même nombre d’atouts. Un enragé le fait taire en déclarant que le nul ne peut être prononcé que lorsqu’il reste seulement une dame à chacun des deux joueurs. Il ne faut rien bousculer mais attendre la défaillance de l’un des joueurs. L’impatience fera tôt ou tard son œuvre.

Tout à coup une clameur monte dans la salle. Un cri d’angoisse chez les partisans de Béru, un cri de liesse chez ceux qui n’eurent pas foi en lui. Mon collègue, en effet, ne vient-il pas de placer sa dame dans la trajectoire de celle de La Meringue ? Faute d’inattention ? On le suppose. On le plaint ! On le moque ! On l’accable ! En se pourléchant, le cachalot pique la dame étourdie. Béru, sans se désunir, profite de ce que l’adversaire a débloqué la position pour porter à dame son pion en attente. Du coup un autre criaillait. La Meringue blêmit. Il comprend tout, sa dame est bloquée, ses autres pions qui tissaient les rets d’un piège sont en péril au milieu du dernier.

Il en pousse un vers la rive, misérables, ne sachant combien ce geste est dérisoire, ce qu’il est inutile !

Effectivement, Béru joue son deuxième pion. La Meringue doit le lui prendre ! C’est obligatoire ! Les tablettes de la fédération de piccol’s dames sont miellés. La mort dans l’âme il cueille ce prisonnier qui précipite sa perte. Vlan ! Vlan et Vlan ! Le pied du petit verre constituant la dame de Béru frappe du talon sur trois cases, enjambant les dernières forces de La Meringue. Le Mastor bouffe la dame, pique un second pion et, ô comble de la maléfique stratégie béruréenne, vient barrer tout accès au misérable petit dernier. C’est la reddition sans condition ! La Meringue ne peut même plus se déclarer ville ouverte. D’un mouvement rageur, il lance son dernier soldat à son vainqueur. Le cassis éclabousse la chemise du Gros qui fronce les sourcils. Un murmure indigné condamne ce geste inélégant. Béru se penche par-dessus le damier désormais désert.

— Ecoute, mon pote, fait-il. Quand t’auras fini ton Tour de France, téléphone-moi, je te donnerai quèques cours du soir.

— Scuse-moi, bafouille le cétacé. T’es un champion, j’admets !

Rasséréné, Béru convient alors que La Meringue est un rude adversaire. Il boit ses prises et ses reliquats, puis réclame l’enjeu qui consiste en une bouteille de pommard et, généreusement, la vide en compagnie du vaincu tandis que les parieurs mettent les comptes à jour.

Est-il besoin de préciser que ces deux messieurs ont leur taf au moment de gagner leur pucier ? Béru émet la prétention de coucher avec sa femme, ce qui indigne Alfred le coiffeur. Le merlan, roi du berlingot toutes catégories, déclare que l’étape du lendemain sera rude et qu’il n’a pas envie de faire équipe avec une dame ravagée par une nuit d’amour effrénée. D’ailleurs, Berthe et lui font chambre commune, en camarades, précise Alfred.

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