« Textuel, mon cher. Du coup, le commandant Katkarre y rétroque :
« Tâche moilien de pas z’êt’ goujat av’c le beau sexe ! »
« A quoi l’horrible type a riposté :
« Ah, parce que tu appelles ça du beau sexe, l’ami ? Ben on voye que tu décarres pas de Terre-Neuve, tézigue ».
« Textuel, mon cher Santantonio. Vous devez bien comprendre qu’un officier de marine pêcheuse, apostrophé ainsi devant ses hommes, pouvait pas laisser passer. Ce sont des seigneurs, les gens d’la mer. Tout d’suite je m’étais rendu compte, rien qu’à sa façon aristocratique de me glisser négligemment trois doigts dans la moniche. Ce sont des riens qu’une jeune femme apprécie à sa juste valeur. Mon officier me retire sa main d’entre, se lève et se penche sur la table du zèbre dont je vous relate.
« Tu commences à m’échauffer les oreilles, il lu fait.
« Eh ben pour une fois t’auras pêché la morue sans avoir b’soin d’un passe-montagne ! ricane l’affreux individu.
« Textuel, je vous le certifie. Le commandant pêcheur file un coup de poing au zigoto. Celui-ci l’esquive, fait basculer sa table, et donne de la boule dans la poire à mon cavalier sergent. Alors la bagarre a commencé. Et voyez si le sort est injuste : c’est ce pauv’ commandant si gentelmant qu’en a pris plein sa gueule.
— Les causes les plus justes sont celles qui ont le plus de mal à s’imposer, dis-je. Je crains, chère Berthe, que votre sex-appeal ne jette l’émoi parmi cette paisible population. N’oubliez point trop que vous êtes l’épouse d’un officier de police, que cela se sait déjà et que la réputation de votre mari est tributaire de la vôtre.
Après ce beau langage, froidement déclamé, je file au commissariat.
Béru est de retour, la braguette encore ouverte de notre visite chez la clavecineuse. Il est en train de se passer le dos de la main droite sous le robico d’eau froide, étant donné quelques ecchymoses aux phalanges.
Dans un recoin, l’adversaire du patron pêcheur est affalé, avec la mâchoire comme un tiroir de commode après un cambriolage. Il raisine du pif que sa vareuse en est toute plastronnée.
— Il a été récalcitrant ? m’informé-je.
— C’est des mecs qu’a besoin d’êt’ calmés, vu qu’y s’croivent tout permis, assure Béru en s’essuyant la main à l’aide du pan avant de sa limace. M’sieur a voulu l’prendr’ d’haut, comme quoi c’est pas lui qu’avait attaqué.
Alexandre-Benoît le remue du bout du pied, comme on retourne un chat écrasé pour s’assurer qu’il est bien mort.
— Maint’nant, y l’prend d’un peu plus bas, pas vrai, Tango ?
— Tu l’connais ? m’étonné-je, encore qu’avec Bérurier il ne faille s’étonner de rien.
— Tu parles : c’est Tanguy Liauradéshome, dit Tango-la-Nitro, un vieux bourrin d’retour. J’l’ai sauté y a quéques années dans l’affaire du Courrier de Lyon.
L’autre se redresse en geignant.
— Je croyais que les matuches ne massacraient plus ? balbutie-t-il en produisant des bulles rouges avec son nez.
— A Paris, répond Bérurier, rien qu’à Paris, mon vieux Tango, en province on n’est pas astringué à toutes ces brimades à la con.
Je désigne un siège au forcené.
— Que fiches-tu dans ce bled, Gars ?
Il plonge la paluche dans sa vareuse et me présente une carte d’identité aussi fringante qu’une feuille de papier sur un étron.
— Jetez un œil là-dessus, soupire-t-il de profil, car sa lèvre enfle pis que la grenouille qui voulait se rendre à Elbœuf ?
Le document révèle que Tanguy Liauradéshome est natif de Ploumanac’h Vermoh.
— Ne me dis pas que tu as pris ta retraite, ricané-je, à quarante-deux ans, ce serait prématuré. A moins que tu ne sois venu saluer tes vieux parents ?
Le gars Tango, que je t’explique, c’est un type plutôt sympa, malgré que Béru l’ait déguisé en hécatombe. Pas très grand, mais râblé. La tignasse courte et drue, dans les blonds cendrés, le regard clair et coquin, la peau rouge, vachement grêlée. C’est le casseur de bal musette. Le dégourdoche de sous-préfecture qui t’ajuste une cacahuète aussi facilement qu’il te dit bonjour. Un gus pas patient ni tolérant qui mérite un détour, mais pas dans le sens où l’entendent les guides.
— Je me suis reconverti dans la pêche, déclare-t-il.
— Le passé qui te remonte à la surface ?
— J’ai tiré six marcotins, l’an dernier, pour une broutille et, du temps que je rempaillais des chaises, je faisais que penser aux vagues et au vent du large.
— Alors tu es venu t’engager à bord d’un chalutier ?
— Exact.
— Lequel ?
— Je cherche.
— Ah bon : tu cherches. Eh bien, j’espère que tu trouveras, j’aimerais assister à ça ; un maquereau qui va à la pêche.
Il a soudain le regard comme deux cailloux.
— Hé, dites, confondez pas ! Le pain de fesse, ça n’a jamais été ma longueur d’onde.
— Lui, c’est plutôt l’explosif, m’explique Béru, il craque les coffiots à la nitro. Ce mec, la dynamite lui sert de clé !
— Tu dois vachement rameuter le voisinage quand tu rentres tard chez toi, plaisanté-je.
Dans la pièce voisine, le patron de La Môme Crevette répare sa frite à l’aide d’un paquet de kleenex obligeamment mis à sa disposition par Le Guennec.
Je vais le trouver.
— Hé, la marine ! l’hélé-je, vous portez plainte contre le gugus qui vous a assaisonné ?
Il sourcille, et a du mérite à le faire avec deux arcades plus dévastées que du matériel de Faculté.
— Comment ça, porter plainte ?
— Ben, le gars Tanguy vous a quelque peu fait perdre votre fraîcheur de jeune fille, non ?
Le Terre à terre Neuva renifle quelques caillots, les expectore après de solides raclements de gosier et assure :
— C’est pas mon genre, la chicanerie judiciaire. Je le retrouverai avant longtemps, et alors je prendrai ma revanche. Il m’a eu à la surprise, comprenez-vous ? La prochaine fois, je saurai ce qu’il faut faire.
— Mes vœux vous accompagnent, monsieur Katkarre.
Le chalutieur s’en va.
Je reviens à Tango.
— Tu sais, gars, que si tu déguises les patrons pêcheurs en steaks tartares, t’es pas près d’embarquer et les harengs du nord peuvent roupiller sur leurs deux ouïes. Bon, file et évite la castagne, tu ne vas pas démolir tes compatriotes au moment où tu rentres au bercail.
Tango rigole.
— Ne vous inquiétez pas, commissaire, je vais apprendre à jouer aux dominos.
Et il disparaît à son tour.
Alors, bon, voilà, à présent tout va se déclencher. T’as cru que j’allais te fignoler une gentille chroniquette en forme de galette bretonne, n’est-ce pas ? Tu t’es dit : l’Antonio se met à complaire dans la broderie. Il chute dans le point de croix, l’apôtre. Tu vas voir, Edouard, c’est plutôt du poing de croix qui se prépare. De la grande mésaventure sur fond de granit. Mais au paravent, fallait planter le décor. T’expliquer la nouvelle situation, tout bien : nos installations à Ploumanac’h Vermoh, armes et bagages… Les gens d’ici. Le Vieux muté sous-préfet, Pinuche dans la bandouillette danoise, porte à porte : godemiches à injection directe, vibrobranleur longue durée, revue sur vergé vaginé supérieur, trichromie, laparotomie, salpingite incorporée, trique éjectable. Et un malfrat natif d’ici qui démandibule les morucides. Et ce patelin sous la pluie. Le port qui pue le goudron et la sardine. L’officier de police Le Guennec que ça le fait chier ces mecs parachutés de Pantruche. La taule à Maman Passepoil et ses trois jouvencelles languissantes, pipeuses de fortune, et surtout d’infortune. Le Café de la Marine avec Berthe, la moulasse offerte aux mains haleuses de filins. J’en oublie ? Si oui, tant pis : tu le garderas pour toi.
Читать дальше