— Si tous les gens qui m'ont dit ça me versaient une pension, je rachèterais l'Entreprise Nestlé et la General Motor.
Je sors une paire de poucettes et les lui passe :
— Venez !
— Vous m'arrêtez ?
— Non : je prends mes précautions.
— Vous croyez qu'il est nécessaire d'aller jusqu'à Bruxelles faire du cinéma ? Je peux très bien vous dire ici même tout ce que vous voulez savoir.
— Vous craquez ?
— Non : j'ai craqué. Bien avant que vous ne veniez me chercher chez moi. L'aventure, c'est grisant un moment, mais la promiscuité la rend dégueulasse.
— Vous pensiez que l'arnaque était pratiquée par les honnêtes gens seulement ?
— J'espérais que les gens malhonnêtes pouvaient avoir une forme d'honneur.
— Ma pauvre biche, depuis Francis Carco et ses bandits au grand cœur il a coulé beaucoup de sang sous les ponts. On s'y met ?
— Par quoi voulez-vous que je commence ?
— Par l'incendie d'un pavillon de Saint-Ouen en 1963.
Elle hoche la tête :
— Vous en savez, des choses !
— Pas suffisamment. Alors je vous écoute.
— Ma mère était la femme de Bonblanc.
— Et la maîtresse de votre père Ernst Lowitz.
Rien de tel, quand tu accouches un prévenu, que de lui donner quelque aperçu de tes connaissances. Ensuite, il ose moins te chambrer, craignant d'être pris en flagrant délit de mensonge par omission !
Edmée opine.
— Enceinte de trois mois, poursuis-je. Pendant que ce gros sac de Bonblanc se trouvait en Belgique, vos futurs parents ont mis le feu à la maisonnette. Comme on a retrouvé un cadavre de femme calciné dans les décombres, M meBonblanc, née Torcheton, a été déclarée morte. Alors deux premières questions me viennent : quelle était l'identité du cadavre carbonisé, et où s'est rendu le couple après l'incendie ?
Elle murmure :
— Le cadavre était celui d'une clocharde, et mes futurs parents, comme vous dites, sont partis au Maroc. Ma mère avait pris l'argent du bureau de Bonblanc et toutes les choses de valeur qui se trouvaient à sa portée.
Charmante mentalité ! Elle se trimbale une hérédité pas piquée des vers, la gosse !
— Votre grand-père Torcheton connaissait la vérité.
— Pas au moment où elle s'est produite, mais plus tard, ma mère l'a mis au courant. Papa qui avait des relations dans un certain milieu, avait fait établir de faux papiers à ma mère pour pouvoir quitter la France. Ensuite il a pu l'épouser avant ma naissance.
— Belle histoire d'amour. Et de quoi ont-il vécu, au Maroc ?
Edmée me regarde, puis m'adresse un clin d'œil canaille.
— Ses fameuses relations équivoques ?
— J'ai cru comprendre.
Le réfugié de l'Est devait avoir de bonnes raisons de fuir son pays ! Drôle de coco, si j'ose dire ! Je suppose qu'if lui fallait un condé, pour inspirer confiance aux autorités françaises, d'où son sage boulot chez Bonblanc. Il a dû en faire de chouettes au Maroc.
— Dans quelle ville habitiez-vous ? Tanger, je parie ?
— Oui, pourquoi ?
— Ben voyons ! Il y avait à faire, là-bas, voici vingt-cinq ans !
La porte s'ouvre brusquement sur Bérurier.
— Escusez-moi si j' vous d'mande pardon, les amoureux, c'est juste pour avoir votre avis. Que pensez-vous-t-il d' l'a t'nue d' Berthy pour son cours de levrette av'c élan ?
Il dégage afin de permettre à la Baleine d'entrer. Franchement, ça mérite une pause ! M meBérurier est vêtue de cuissardes très hautes et d'une ceinture constituée d'une chaîne à gros maillons fermée par un énorme cadenas qui lui pend sur le ventre. Fardée au max, à t'en faire craquer la prunelle.
— On va vous présenter les deux versions, poursuit Béru, et j'aimerais qu' vous m'donnassiez votre aviss.
Il frappe dans ses mains.
— En position, plize, maâme Berthy !
Docile, la Grosse s'avance. Impressionnante ! Ses seins déboulent sur son ventre, son ventre sur ses cuisses, ses cuisses sur ses bottes où elle forment deux espèces de ceintures de sauvetage riches en cellulite.
La dame se place au fond de la pièce, se penche en avant et prend appui de ses deux mains sur ses genoux gainés de cuir (comme ils disent tous, talentueux ou non, cadémichiens ou pas : « gainé de » cuir, soie, velours, etc., ils raffolent !). Le gouffre qui se propose est indescriptible. C'est le Grand Canyon du Colorado en vue aérienne, mais un Grand Canyon situé en forêt amazonienne (que ces cons de Brésiliens sont obligés de défricher pour pouvoir payer leur note de gaz aux pays à économie de marché).
Profondeur, touffeur, rosâtrerie ! La faille, la luxuriance, la vulvance ! L'abîme, le cloaque ! Tu prends peur ! T'as le vertige ! Une envie de prier t'empare. Tu dérives vers les rives fangeuses de l'ignominie.
Grave, Béni frappe une seconde fois des mains.
— En piste, m'sieur Alfred ! On a l' goumi paré ? Montrez-nous voir-t-il s'y l'est à l'équerre ? Parfait ! Tu peux arrêter d'y lécher les roustons, Louisiana : y tiendra, l' temps du voiliage. Surtout visez just', m'sieur Alfred ! V's' y êtes ? Go !
Alfred s'élance avec la souplesse féline d'un champion de saut en hauteur. Un pas, deux pas, trois pas et hop ! Fsutt ! Tchloc ! Gagné. Mistress Bérurier est empaffée de première. Sans la moindre anicroche ! Tu te croirais à notre base de lancement en Guyane. Pour bien montrer l'aboutissement impec de sa mission, M. Alfred lève les deux bras comme le font les mécanos de formule I lorsqu'ils viennent de changer les roues du coureur. II se permet quelques allers-retours bien venus, prouver qu'il a ses aises et peut musarder dans la babasse de sa partenaire. A l'aise, Biaise !
Béni donne le signal des applaudissements. Berthe, radieuse, tourne la tête vers nous, au-delà de son gros cul, pour saluer. Elle murmure :
— Merci, merci !
— Bien, enchaîne Alexandre-Benoît, maint'nant, j' voudrais que nous passassions à la deuxième version, celle avec culotte fendue, dont pour laquelle, personnellement, j'ai un faib'. J' la trouve plus sexy malgré qu'on perdisse une grosse partie d' la cressonnière à Maâme Bérurier. L'danger c'est qu' l'ouverture d' la culotte restasse pas écartée et qu' M'sieur Alfred s' fout' l' zob en torche à l'arrivée ; riez pas, on a vu des cas ! Louisiana, mon trognon, apporte sa p'tite culotte fendue à Berthy. Bien sûr, la noire, elle fait plus classe. Alfred, tu veux bien déculter, qu' Berthe pusse enfiler son slip ! Merci. Va t' remett' en position d'départ, mec. Tas b'soin qu' Louisiana t' reprenne en main pour r'charger les battreries ? Non ? Y t' reste suffisamment de tonomie ? Tout de même, j'aime mieux assurer ! Louisiana, passe-lui un p'tit coup de langue su' l' filet par acquisition d'conscience, t'es pas à ça près !
Et les deux « professeurs » de l'institut, réitèrent leur prestation avec un même succès.
Béni passe au vote. Il est éloquent. A l'unanimité, nous préférons la version avec culotte fendue. Sa Majesté rutile de bonheur.
— Merveilleux intermède, apprécié-je, mais à présent, je souhaiterais avoir une heure d'intimité avec Edmée.
Le Mammouth se fend le pébroque :
— L' numéro de levrette avec élan t'a donné des idées, grand, avoue ?
— C'est juste, conviens-je : il m'a donné des idées !
CHAPITRE XIII
NOJSULCNOC [9] Ce titre de dernier chapitre est codé. Pour le déchiffrer, il n'est que de le tire dans une glace. MATHIAS, Directeur du Laboratoire de Police Technique [10] .
Ce qui fait une grande partie de sa force, au président, je ne le répéterai jamais assez, c'est sa pugnacité. Cette histoire Bonblanc que je lui ai narrée un soir, au débotté, tu crois qu'il l'a oubliée, malgré ses formidables obligations, préoccupations, tourments, malgré les lécheurs en essaims, les quémandeurs en troupeaux, les geigneurs en hordes ? Que non pas. Lui, malgré les Conseils de ministres, les visiteurs, les conférences, les subjonctifs plus-que-parfaits, sa pensée retombe toujours sur ses pattes. Aussi, quand les résultats de mon enquête ont fait les choux-raves des médias, m'a-t-il convoqué dans son vaste bureau. Pour éviter de foutre la merde, il l'a fait par le canal du Vieux.
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