Je comprends que le larbin doit avoir l’habitude des frasques de sa patronne.
Lui c’est motus… Motus sur toute la ligne…
O.K…
Je gamberge un instant sur ma situation. À la cadence des événements, toutes les demi-heures je suis obligé de faire le point.
M’est avis que le Masset il est plutôt emmaverdavé à ces heures. D’abord il a perdu son frimant, Molard, ensuite il a dû avoir du mal à expliquer aux matuches comment deux hommes bouclés ensemble, soi-disant, dans un frigo ont fait leur compte, l’un pour sortir vivant et l’autre pour s’émietter comme de la mie de pain… Mais ça m’a l’air d’être le type démerde qui doit avoir un condé de première en haut lieu pour voir venir…
Ceci dit, la situation est d’une vraie mochetée pour ma gueule. On a beau remplacer la margarine, à force de provoquer les bourdilles on finit par gagner le canard !
Tant qu’à faire de continuer d’alerter la poulaillerie dès que je mets le nez à la portière, autant valait rester aux U.S.A. où j’ai mes habitudes et de la ressource…
Jouer les touristes dans de telles conditions, c’est plutôt débecquetant… Il faut que je mette mes pieds au sec, et rapidos, parce que le gros pébroque va me tomber sur la cerise. Il paraît qu’ils ont en Francecaille une machine à découper les cous en rondelles qui est tout ce qu’il y a de loquedue !
Si je pouvais passer en Suisse, ça serait poildé ! La Suisse c’est le bled des montagnes, des vaches, de la paix… Trois choses qui me tentent bigrement !
Je caresse les roberts de mon hôtesse.
— Dis voir, mignonne, je lui fais. Ça te dirait, qu’on fasse un petit viron sur les bords du Léman, nous deux ?
Elle a un cri d’enthousiasme.
— Ce serait merveilleux, mon baby…
Presque aussitôt elle se renfrogne…
— Seulement, dit-elle, je n’ai pas beaucoup d’argent…
J’ouvre de grands yeux. À en juger par l’ampleur de sa care, je la jouais pourrie d’auber… Est-ce qu’elle essayerait de me chambrer, par hasard ? Est-ce qu’elle serait près de son fric, la vioque ?
Mais non, au contraire, elle m’explique qu’elle les balanstique à pleines poignées. Alors son vieux lui serre la vis. Il paie les frais de taule, et, tous les lundis, son notaire allonge l’osier de la semaine…
Je me gratte le nez.
— Tant pis, je dis, on se débrouillera…
Elle croit au grand amour, elle est folle à la pensée que le cinéma de cette nuit va recommencer indéfiniment. Qu’est-ce qu’elle s’imagine !
Moi j’ai besoin d’elle parce qu’elle a une bagnole et un pedigree intouchable. C’est exactement la couverture qu’il me faut… Une fois en Suisse, bonsoir, Madame ! Mais pour y aller, il faut du blé…
Je prends mon bain et je me loque. Je fouille mes poches à la recherche d’une cigarette lorsque mes doigts rencontrent un papier…
Cet objet insolite m’intrigue. J’examine le papelard, et je découvre qu’il s’agit de la lettre retirée du coffre de Masset, de ce mot laconique et vaguement menaçant.
Je le relis :
Masset,
Je me permets de vous rappeler ma petite note de lundi dernier. L’argent doit être expédié par mandat à mon nom, poste restante, bureau 118.
Vous êtes prié de ne pas l’oublier, car je serais obligé de vous rafraîchir la mémoire…
Charles G.
Je replie soigneusement le papier, rêveur… Pourquoi lâcherais-je le filon Masset ! Cet affreux m’en a assez fait baver comaco pour que j’aie droit à un petit lot de consolation…
C’est à voir…
Assis dans un fauteuil moelleux je sirote un glass de bourbon en attendant l’heure de la bouffe qui ne saurait tarder…
Ma souris se ravale la façade devant sa coiffeuse.
Moi je rêvasse, quand voilà Félix qui entre, portant le courrier et les journaux sur un plateau.
Il a la bouille de tous les valetons de comédie… Chauve, favoris, air un peu faux-derche… Vous voyez le topo ?
Il ne me regarde même pas… Pour lui je suis un petit tendeur à l’affût d’un bon gueuleton et d’une partouzette.
Je cramponne le journal, histoire de voir où j’en suis avec l’opinion publique…
Mes aïeux ! Quelle apothéose ! Si Adolf Hitler revenait, ça ferait pas plus de raffut !
On m’appelle le gangster numéro 1 de l’histoire du crime… Le mitrailleur et autres superlatifs !
Au sujet de cette nuit, Masset s’en tire comme un prince. Voilà sa version officielle de la chose : il était en conversation avec un important éleveur de bétail de Normandie, un certain Charles Gentil, lorsque j’avais fait irruption dans son bureau…
Sous la menace de mon feu, je l’avais contraint de me mener jusqu’à ses frigos où j’avais catapulté le Gentil après l’avoir assommé. J’allais agir de même avec lui lorsqu’il m’avait filé un coup d’épaule pour me faire basculer à l’intérieur du frigo… Il avait eu le temps de repousser la porte sur moi et il avait aussitôt alerté Police Secours !
C’était pas mal échafaudé…
On peut lui faire confiance… Pour les romans à épisodes il s’y entend, le frère…
De tout ça, je retiens qu’il a réussi à m’empaqueter son mort et à le mettre à mon crédit, comme il cherche à le faire depuis le début…
Et ce mort, comme un roi, se nomme Charles Gentil… C’est-à-dire qu’il portait le prénom et l’initiale dont est signée la mystérieuse bafouille… De là à conclure que c’était lui qui l’avait écrite, il n’y a qu’un pas à franchir, et ce pas je le franchis.
L’article raconte qu’il est installé dans le Vexin…
— Merveille des merveilles, je dis à la souris… Pour me mettre en forme, sur le chapitre de la réflexion, j’ai envie d’aller faire un tour en bagnole après le repas… Que dirais-tu d’une balade côté Normandie ? On m’a toujours dit que c’est un patelin ravissant, style bergerie et fêtes champêtres…
Chapitre XXVII
Cartes sur table !
Vous l’avez deviné, mon objectif de promenade n’est autre que le patelin de Gentil. Ce bled est situé à une vingtaine de bornes de Mézy… Je revois avec un fin sourire aux lèvres le petit patelin où s’est déroulée la corrida de la veille…
Parvenu aux alentours des élevages Gentil, il ne me faut pas longtemps pour piger pas mal de choses… Le temps de laisser ma conquête au troquet du coin et d’interroger discrètement quelques naturels, et toutes mes suppositions s’avèrent exactes… Ce qui me prouve par A + B que, sous quelque ciel que je me trouve, ma matière grise est toujours de first quality !
Je reviens au bistrot.
— Poulette, je fais à ma morue, je ne t’ai pas encore demandé ton nom.
Elle rosit d’émotion.
— Je m’appelle Marguerite, minaude-t-elle.
— C’est printanier en diable ! je m’exclame. Ce sera doux à prononcer dans les alpages suisses… Parce que, vois-tu, ma douceur, j’ai bon espoir de trouver le pognon nécessaire à un petit voyage d’agrément…
— C’est merveilleux, assure-t-elle.
Ce qu’il y a de sensationnel avec une raidie pareille c’est qu’elle est limitée comme vocabulaire. En général, les mômes abusent du leur.
— Allez, on repart…
En route, je mijote mon petit coup.
— Dis donc, déesse, il doit bien y avoir chez toi des papiers d’identité au nom de ton crabe, non ?
— Il y a un ancien passeport périmé, dit-elle après un instant de réflexion…
— Baveau ! Il me servira pour passer la frontière suisse, puisqu’il n’y a pas besoin de visas…
— Mais tu ne ressembles pas à mon mari ! s’écrie-t-elle… Et il y a sa photographie sur le passeport…
Читать дальше