Une rogne noire m’envahit.
C’est vache ce qui m’arrive… Et tellement gland, tellement gland que j’en pleurerais, seulement, si je pleurais, ça ferait des petits glaçons qui pendraient à mes cils. Déjà, ce bref demi-arrêt me tue.
Le froid entre en moi comme de l’eau. On dirait qu’un esprit malin me l’introduit dans le corps au moyen d’un entonnoir.
Je reprends ma gymnastique. Je sens qu’en même temps que je crève, je deviens dingue… Ce type en morcifs à mes pieds ! C’est tout ce qu’il y a d’affreux.
C’est la fin des fins, le bout de l’horreur, la frontière de la folie…
En dansant, parfois, je marche sur un bout du gars et ça craque, ça s’émiette sous mes pieds, exactement comme des morceaux de plâtre.
Lorsque ça se produit je bredouille de frousse. Je pense : « Merde, c’est p’t’être son pif, ou sa main, ou son oreille ! » Je souhaite à personne de vivre un moment comme ça !
Je croyais pas que ça pouvait exister, dans la vie d’un homme, des trucs pareils…
Lorsque je réussis à dominer un peu la vague de froid, je frotte une allouf. J’ose pas regarder par terre à cause de tout ce qui s’y trouve ! C’est vraiment minable !
Je donne un coup d’épaule dans la porte. Mais autant vouloir renverser le Mont-Blanc…
Je renouche le plaftard, alors j’avise la tuyauterie qui alimente le frigo en froid.
Je cramponne mon pétard et je lâche un pet dans le plus gros des tuyaux. Le vague ronron qui résonnait s’arrête pile. Je reprends ma gymnastique.
Chapitre XXIV
Le gros ramdam !
Jamais je n’ai fait tant de mouvements rythmiques qu’en ce moment. Le maximum, comme gymnastique, qu’un homme potable puisse exécuter… Au bout d’un moment, j’ai l’impression que le froid — sans être en régression — n’augmente du moins pas d’intensité.
C’est affreux comme perspective, ce qui se produit me fait chocotter vilain : l’air se raréfie… En accomplissant ces furieux mouvements, j’ai pipé plus d’oxygène que je n’en consomme d’ordinaire et celui contenu par le frigo vient d’être transformé en gaz carbonique ou je sais pas quoi, n’ayant jamais été porté sur la chimie.
Non seulement je risque de mourir de froid, mais encore je vais clamser étouffé.
Ah ! ce que j’ai été tarte de ne pas filer un coup de boule dans le prosper de Molard. Il aurait manié sa pétoire, d’accord, mais quand même, quand une balle circule il y a de la place autour et il est pas dit que je l’aurais bloquée dans mon espace vital ! Et puis ç’aurait été plus chouïa de baisser le rideau de cette façon…
Dans ce sarcophage je perds la notion du temps… Et même celle de la vie. Je ne suis plus qu’un morceau de bidoche qui se déclare contre le vivagel et qui se remue pour faire durer la petite flamme de vie qui est en lui.
Bientôt je suis incapable d’ordonner mes pensées. Le froid se transforme en chaleur… Des éclairs rouges zèbrent ma vue. Des coups violents résonnent dans ma tête. La main de fer qui étreint mes poumons se crispe… Je m’adosse à la paroi de métal de la cage et je m’abandonne aux anges noirs, aux grands confrères de l’enfer…
Soudain, j’entends un bruit, et ce bruit c’est celui que fait la porte en s’ouvrant. De l’air et de la lumière me sautent dessus, m’enveloppent, me pénètrent, me chavirent…
Oui, la porte s’ouvre…
Une brutale énergie me galvanise. Je joue les Mathurins.
Sans que j’aie à réfléchir je lève mon feu en plaquant ma main contre ma hanche afin de tenir fermement l’arme.
Puis je me rue vers la sortie. Je joue mon va-tout, peu m’importe ce qui va m’arriver ; je m’en fous d’écoper. C’est la grande secouée qui se prépare, le bidule final, la fin des fins !
Je repousse la porte qu’on est en train d’ouvrir et je jaillis hors de la boîte à gel comme un fauve affamé débouche de la cage où on l’a oublié…
Et illico je comprends que je suis en forme pour le gros ramdam et que la chance va enfin être pour moi tout seul si j’y mets du mien.
Il y a devant le frigo une demi-douzaine de pégreleux. Je reconnais Masset et Molard, les autres sont des flics.
Tous ces gnafs s’attendent à récolter une paire de cadavres et ils n’ont pas dégauchi leur artillerie. Aussi sont-ils proprement suffoqués en me voyant débouler.
Pour ne pas leur laisser le temps de réaliser ce qui se passe je braque mon engin sur le premier mec qui se trouve devant moi, et ce mec — le diable soit loué ! — n’est autre que Molard.
Je voudrais que vous voyiez comment je l’assaisonne, cet enfifré !
Vlan ! Vlan ! deux pruneaux dans le buffet et il se met à jouer au macchab de service sans demander son reste.
Je repère la lourde. Avant de sortir, je me retourne.
Même méthode que précédemment :
Vlan ! Vlan !
C’est la grande faucheuse qui passe !
Un flic fait la culbute en avant, un autre s’attrape le bras comme s’il se demandait brusquement s’il est toujours à lui…
Je m’élance dans la cour, heureusement obscure. Je cavale jusqu’à l’entrée principale. Juste à la porte il y a une voiture noire de Police Secours. Le chauffeur qui a entendu les coups de feu s’annonce précisément. Avant qu’il ait eu le temps de crier « halte-là ! » je le rambine d’un coup de boule dans le pif et il tombe à la renverse, je le sonne d’un terrible coup de tatane dans la tempe et je continue ma course.
Grâce à mon sens de l’orientation, je ne mets pas longtemps à repérer la carrée de la vioque du Bois. Pourvu que, ne me voyant pas radiner, elle n’ait pas mis les verrous, cette cruche ! Mais non ! Elle a le dargeot en ébullition et elle fait comme sœur Anne : elle guette sur le pas de la porte, histoire de vérifier si son beau chevalier n’arrive pas.
Et comment qu’il arrive, le beau chevalier !
Dare-dare, Madame ! Car il a la corne d’une voiture de condés aux chausses.
J’entre en la bousculant, je ferme la lourde, tire le verrou et m’éponge le cigare d’un revers de coude.
Elle me regarde, médusée.
— Que… Que se passe-t-il ? bégaie ma princesse lointaine.
Je réalise alors que je suis dans un état vestimentaire déplorable. Mes fringues sont raidies encore par le froid ; une glace de Venise qui se trouve là m’apprend que je suis décomposé, et je me rends compte que je tiens mon revolver à la main…
Dans un salon où l’on n’entre même pas avec son parapluie cela se remarque intensément, vous pensez !
— C’est toute une histoire, dis-je en empochant ma seringue… Vous n’avez pas un petit quelque chose de raidard pour me remonter… Je veux du chaud !
Elle se dirige vers l’office.
Après une hésitation, je la suis. Supposez qu’elle biche les chocottes et qu’elle alerte aussi les hirondelles !
Mais elle ne paraît pas songer aux flics. Elle s’active. Elle verse un demi-litre de rhum blanc dans une casserole, y colle une poignée de sucre et du poivre, et met le tout dans une bouilloire électrique.
Puis elle vient à moi.
— Dans deux minutes vous serez servi, mon chéri, gazouille-t-elle. Mais qu’avez-vous ? Vous êtes glacé !
J’hésite, quelle historiette pourrais-je bien lui bavouiller ?
— Eh bien voilà, je commence.
Mais je m’arrête, en pleine panne d’imagination…
C’est peut-être le froid qui a stoppé mes cellules grises ? Je la regarde.
Elle fixe sur moi des yeux passionnés. Et je pense soudain :
« Pourquoi tu ne lui bonnirais pas tout culment la vérité, à cette haridelle ! En arrangeant la sauce elle pourrait t’aider… »
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