Chapitre XXI
Trêve de plaisanteries !
Mon premier réflexe est de le laisser carillonner son chien de saoul mais il ne faut pas obéir à un premier réflexe, du moins pas toujours.
Je pense brusquement que si on téléphone dans cette usine au milieu de la nuit, c’est parce qu’on sait pertinemment que quelqu’un s’y trouve…
Sans cesser de menacer Masset avec mon tonitruant, je décroche.
Je grogne « Allô ! ».
Une voix épaisse déclare :
— M. Masset ?
Je grogne quelque chose de vague qui veut marquer l’affirmation. Ce que je dois éviter à tout prix c’est de jacter, because mon accent amerloque ; ce sacré accent qui me colle aux chailles comme un caramel.
— Je suis bien content de pouvoir vous joindre, dit la voix. Je voulais vous dire que ça s’est très bien passé ce matin… Du beau boulot… Cet imbécile de ricain est venu se flanquer de lui-même dans le merdier ; c’est chouette, non ? Ça paraît trop beau pour être vrai…
Je raccroche.
— Masset, dis-je, on a assez rigolé comme ça. Cette fois, inutile de me monter un nouveau bateau…
Je lui mets un atout à la pointe du menton. C’est parti tellement sec que le bonhomme vacille. Il titube et part en arrière. Je lui colle un autre biberon dans le portrait… Un qui fait très mal et qui vous fait oublier votre rendez-vous chez le dentiste. Il s’effondre. Ça me permet de rengainer mon feu. Je palpe ses fringues, elles ne contiennent rien d’alarmant.
Alors je l’installe dans un fauteuil canné et je l’y attache avec les ficelles du rideau.
Puis j’examine le contenu du coffre. Il renferme des papelards qui n’ont de la valeur que pour l’entreprise : des factures, des bons de commande, des devis…
C’est pas là-dedans que je raclerai suffisamment d’auber pour prendre ma retraite.
Fichtre non !
Je vois une chemise en bristol vert, posée à terre, devant le coffre. C’est elle que Masset regardait lorsque je suis entré.
Je l’ouvre. Cette chemise ne contient qu’un papier. Sur ce papier, il y a, écrit à la main, d’une écriture inculte :
Masset,
Je me permets de vous rappeler ma petite note de lundi dernier. L’argent doit être expédié par mandat à mon nom, poste restante, bureau 118.
Vous êtes prié de ne pas l’oublier, car je serais obligé de vous rafraîchir la mémoire…
Charles G.
Cette babillarde ressemble plus à une lettre de menaces voilées qu’à une lettre d’amour.
Je m’approche de Masset en la tenant à la main. Justement, ce locdu reprend ses esprits.
— Dites voir, bonhomme, je lui fais, vous avez de la correspondance plutôt bizarre. Franchement, vous m’avez l’air d’un curieux commerçant…
Je le regarde.
— Et puis par-dessus le marché, votre gueule ne me revient pas…
Je le chope par la tignasse et tout en lui tenant la tête raide je le soufflette en va-et-vient.
Bientôt le sang se met à pisser par ses narines et son nez est large comme un chou-fleur. Ses lèvres se tuméfient, ses paupières gonflent…
— T’es moins ronflant, je lui dis. Si tu te voyais, Masset, tu te reconnaîtrais pas, on serait obligé de refaire les présentations…
Je rigole…
— Et alors, tu vas ouvrir ton gentil clapet et me bonnir tout ce que je te demanderai. Primo, ma bonne vieille question des grands jours : qui est la môme Sophie ?…
Il me regarde. Le peu de regard qui passe entre ses paupières lourdes est rien moins que sympathique. S’il pouvait me faire cuire à feu doux, Masset, il n’y manquerait pas…
Comme il tarde à répondre je frotte une allumette et je l’approche de sa cravate, la flamme léchouille la soie et soudain celle-ci s’embrase… Masset pousse un bref cri de terreur en sentant ce petit brasier sur sa poitrine.
Moi, flegmatique, j’attrape une housse de machine à écrire et j’étouffe le sinistre. La cravate de Masset est racornie comme un cep de vigne et son plastron est tout ce qu’il y a de lamentable.
— Parle, dis-je sèchement.
Il n’hésite plus.
— C’était ma maîtresse, fait-il.
— Gentil petit lot, elle faisait l’amour comme une reine… Pourquoi l’as-tu fait seringuer ce matin ?
— J’étais jaloux…
— Parce qu’elle t’avait doublé avec Rilley ?
— Oui…
— Et tu voulais me faire endosser son exécution, hein ?
Je lui distribue un petit échantillonnage de châtaignes des mieux venues.
— Si elle t’avait lâché, Sophie, pourquoi est-elle retournée chez toi, dans ta crèche de cambrousse, ce matin ?
Il hausse les épaules…
— Sans doute parce qu’elle a eu peur. Elle s’est rendu compte qu’elle était allée trop loin. Elle a voulu me demander pardon…
— Tu la faisais filer ?
— Oui…
Je mords à l’hameçon. L’histoire du quinquagénaire hyper-jaloux voulant châtier sa belle infidèle, moitié pour se venger, moitié pour étouffer un scandale, me paraît valable. Seulement, ce qui me contriste c’est cette question de miroir qu’on m’a fauché à un moment où je ne pouvais être suspecté de charger cette pouliche…
— Mon petit doigt me chuchote que tu essaies encore de t’offrir ma cerise, Masset, je dis. Je vais donc employer les grands moyens…
Je remonte mes manches d’une façon significative.
Et juste comme je m’apprête à lui triturer le portrait, une voix, dans mon dos, murmure :
— Lève vite les bras ou tu es mort !
Chapitre XXII
Prenez vos flanelles !
J’ai été vraiment cave d’enfouiller mon feu, tout à l’heure, après avoir ligoté Masset. Je ne pensais pas qu’un danger de cet ordre me menaçait. Comme quoi, on a beau être un fortiche et en connaître un bout sur la question, il vient toujours un moment dans la vie où on se fait repasser.
La voix, c’est celle du téléphone. Cette voix épaisse, qu’on aimerait découper avec un couteau à dessert…
Je lève les mancherons et je risque un œil derrière moi.
J’aperçois une espèce d’enflure volumineuse, quelque chose dans le genre du bonhomme Michelin.
C’est gros, gras, suifeux, suant, luisant… Ça a des yeux de porc, des cheveux raides comme de la paille d’emballage et, sous un bout de nez en pied de marmite, une moustache de conscrit de 1813 !
Ce qui se dégage avant tout de cet individu, c’est l’absence totale d’humour.
Il est massif et con comme un tank.
Je le regarde.
— Tu es le secrétaire particulier de Monsieur, sans doute ? Tu viens prendre le courrier ou quoi ?
— Fais pas le mariole, l’Ange, dit-il.
Je réalise que c’est — vraisemblablement — ce mastodonte qui me filait le train ces jours, et je ne suis pas fier de moi de ne pas l’avoir repéré…
Mais le jardin des lamentations est fermé.
Tout en me pointant son .38 sur la brioche, l’arrivant se dirige vers le fauteuil de Masset ; il rafle un coupe-papier sur le bureau et tranche les liens de l’industriel.
Masset se dresse.
— Merci, Molard, dit-il. C’est une bonne idée d’arriver ainsi…
Le gros pousse un gloussement d’aise.
— Le coup de téléphone m’a paru louche, dit-il. Ça m’a tracassé, alors je suis venu voir…
— Bravo…
— Qu’est-ce qu’il voulait ? demande Molard en me désignant d’un hochement de tête.
— Savoir des choses… Des choses qui ne regardent personne…
— Qu’est-ce qu’on en fait ?
Masset hésite. Il se frotte le nez.
— Nous allons le mettre en lieu sûr, dit-il. Mais fais bien attention à lui, c’est un malin…
— Il n’est pas plus malin que mon feu, affirme Molard, lequel, malgré les apparences, ne semble pas tellement crétin.
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