C’est le moins qu’elle puisse faire, car dessous c’est moins bien… Ça doit même être vachement décevant, moi je vous le bonnis…
Elle est plus près de la cinquantaine que de la grande pyramide d’Égypte. Elle a autant de poitrine qu’un œuf à la coque et quand elle enlève son maquillage on doit avoir envie d’éteindre l’électricité et de tirer le rideau s’il fait clair de lune, mais peu importe… C’est à ma sécurité que je songe, à elle seule.
Je m’assieds sur le banc à côté d’elle après m’être incliné poliment. Ne jamais perdre de vue les règles de politesse élémentaires…
Elle m’adresse un très léger, très cordial sourire… Elle apprécie ma bienséance… Et sans doute aussi mes biscotos, car je sens qu’elle louche sur moi…
Je me tourne franchement vers elle.
— Belle nuit ! dis-je.
— Magnifique, assure-t-elle, engageante…
— La France est magnifique… Quelle douceur…
— Vous êtes anglais ?
— Non, américain. Je suis romancier et je voulais faire un voyage d’études sur votre beau pays…
Elle en a la glotte trépidante.
— Comme c’est intéressant, susurre-t-elle. Que pensez-vous des femmes françaises ?
— Ce sont les plus belles, les plus excitantes, j’affirme bien haut. Surtout les femmes… comment dire, dans toute leur maturité… Elles me troublent infiniment…
— C’est vrai ? fait-elle.
Elle se rapproche de moi. Je découvre son regard, il est goulu. Cette daronne a envie de ma pomme, c’est homologué !
Je me dis :
« Allons, bonhomme, fais pas la fine bouche… »
J’arrondis mon bras et je la presse contre moi.
Son parfum m’asphyxie.
Elle me tend les lèvres. J’ai une répulsion terrible qu’elle doit prendre pour du désir.
« Allons, voyons, je me sermonne, vaut encore mieux ça que d’engager sa nuque dans la lunette de la guillotine… »
Alors je lui roule un patin maison en essayant de penser à autre chose…
Et c’est pas facile !
Chapitre XIX
Les toits de Paris
Cette bonne femme, comme toutes les bonnes femmes auxquelles vous faites mine de vous intéresser, me raconte sa vie séance tenante. Son zig est armateur. Il a du pognon à un point incroyable et, non content d’équiper des barlus, il navigue…
Elle, la mer lui dit rien. Elle préfère le plancher des vaches et la bonne herbe sur laquelle il fait bon bouillaver…
Elle pioge dans un somptueux appartement et se fait tartir à tarif exceptionnel…
Bref, c’est la greluche qui a un brasero à la place du fignedé et qui passe son temps à recruter des malabars pour jouer au sifflet dans la tirelire.
Elle me dit que j’aimerais peut-être me torcher une bouteille de champ’ chez elle. Elle a une terrasse sur le sommet de sa carrée où on peut renifler le grand air… Comme c’est exactement ce que je cherche, je lui dis que je suis son homme et nous filons.
Sa bagnole est arrêtée un peu plus loin, et c’est pas une brouette, croyez-moi. Il s’agit d’une Porsche décapotable peinte en crème avec des housses de cuir grenat… Je m’installe à ses côtés. Tandis qu’elle actionne son teuf-teuf, je me dis qu’il faudrait que les matons soient drôlement dégourdoches pour repérer l’Ange dans cette caisse à savon…
Ces glandibus sont en train de fouiller les hôtels borgnes et de promettre la rédemption à leurs foies blancs d’indics pour obtenir de mes nouvelles. Et pendant ce temps, qu’est-ce qu’il fait, l’Ange ? Il traîne ses galoches dans la bonne société…
La turne de la bonne femme est vraiment balaise. C’est luxueux comme une vitrine d’ensemblier. Deux étages, vous voyez le jus ? Avec, par en dessus, ainsi qu’elle l’a annoncé, un jardin suspendu.
Je me glisse dans un fauteuil à bascule et j’attends qu’elle ait préparé des boissons convenables en reniflant les roses…
Cette terrasse, c’est un vrai morcif de paradis…
La vioque s’annonce avec des whiskies grand format.
On biberonne sec. Elle a l’air d’aimer ça. Elle vide son glass comme vous dites bonjour, et son gosier doit être blindé parce qu’elle ne sourcille absolument pas…
— Il est fameux, votre rye, je dis. C’est pas de la pisse d’âne.
— J’en ai du meilleur, assure-t-elle.
— Pas possible ?
— Vous allez voir, heu… quel est votre nom ?
— Smith, excusez-moi. Foster Smith…
— Je me prénomme Mariette, glousse-t-elle.
Je lui dis que c’est un blaze ensorceleur et qu’il doit être doux de le chuchoter dans la moiteur d’une alcôve.
Elle est d’accord sur ce point.
Mais avant, elle veut m’échantillonner sa cavouze.
Le raide qu’elle m’amène, cette fois-ci, doit lui être fourni directement par le bon Dieu…
C’est un nectar. J’ai jamais plongé mon renifleur dans un breuvage pareil.
Elle m’explique que c’est son vieux qui le lui envoie.
Probable que le mec a hâte d’être veuf et qu’il compte la brûler vive avec cette eau de feu.
Elle en vide deux verres et elle commence à être sérieusement partie.
Elle approche son fauteuil du mien et cherche ma bouche. Je me dis que si elle m’embrasse je vais la foutre par-dessus la balustrade. Ce qu’elle peut me débecqueter, cette grognasse, c’est rien de le dire !
Elle se fait chatte et y a rien de plus intolérable qu’une bonne femme grotesque qui minaude…
Je me lève.
— Pourquoi me fuyez-vous, Foster chéri ? murmure-t-elle.
— C’est ce whisky, je fais, il me fait tourner la tête…
Je vais m’accouder à la balustrade de pierre et je regarde Paris, la nuit, avec son halo lumineux qui flotte au-dessus de ses toits comme une auréole sur la calbombe d’un saint de vitrail.
C’est beau…
Y a des enseignes lumineuses qui éclatent, un peu partout…
De tous les côtés, ça pète le feu !
Je regarde à pleins yeux.
— C’est très émouvant, n’est-ce pas ? murmure la vieille seringue qui, cette fois, a décidé de jouer la vaseline.
— Très, fais-je.
Je fronce les sourcils. À quelques centaines de mètres à vol d’oiseau, j’aperçois les dents de scie d’une usine.
Par-dessus ces toits découpés, il y a une enseigne immense, en lettres de néon rouge.
Je lis : « CONSERVES MASSET »…
Vous pouvez pas savoir l’effet que ça me produit.
Vous ne trouvez pas que c’est un peu farce de venir crécher tout à côté de l’usine du Masset ?…
Le hasard est marrant. Au cours de ma vie aventureuse, j’ai appris qu’il ne fallait jamais le prendre pour des clopes… Si le hasard frappe à votre porte c’est qu’il a quelque chose à vous dire, moi je démordrai jamais de ça…
Il y a dans notre putain d’existence une espèce d’harmonie qui fait que rien n’est inutile ou fortuit. Tout a une signification. Si, ce soir, je suis venu dans le bois de Boulogne pour faire un levage, si, dans l’immensité du bois, j’ai rambiné une vioque créchant près des Conserves Masset, c’est que le hasard a une idée de derrière la tête…
Je regarde attentivement l’usine et j’avise, un peu en retrait, un petit bâtiment vitré qui doit être celui des bureaux. Il y a du feu à l’intérieur de ce bâtiment, ce qui, à cette heure de la nuit, est assez insolite…
Qu’est-ce que ça veut dire, ça ?
Il ne fait pas équipe de nuit, Masset ? Et puis, lorsqu’une usine fait équipe de nuit, ce sont les ouvriers qui grattent, pas les zouaves des burlingues !
— Qu’est-ce que tu regardes ? me demande la souris qui veut brusquer les choses.
— La nuit, je réponds… Écoutez, mon âme, j’ai trop biberonné, il faut que j’aille me dégourdir un peu les jambes.
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