— Et M. Charles, mes chéris ? laissé-je tomber dans le silence. Personne n’a entendu parler de lui ?
Mes chers équipiers dénèguent. Ils me disent avoir questionné en pure perte. Pas de Charles homologué dans la vie des Lerat-Gondin. Alors on repart en mutisme incontrôlé.
Mais c’est pas toujours commode de rester inertes comme des cornichons dans un bocal. À preuve : voilà M. Blanc qui murmure, d’une voix comme on en prend dans les rêves pour baiser sa voisine sans réveiller sa femme ni détraquer son Epéda multi-soupirs :
— C’est donc qu’il avait bien une idée de derrière la tête…
On attend davantage, mais rien ne sort plus des deux gants de boxe superposés qu’il croit être des lèvres.
— De qui parles-tu, Ectoplasme ?
— Du vieux Lerat-Gondin, quand il a lui-même installé le dispositif électronique permettant la fermeture de la chapelle. On pose ce genre de truc dans sa maison, pas dans un local de quinze mètres carrés qui ne contient rien de précieux. Il mijotait un coup.
Le grand diable abandonne son fauteuil pour se dégourdir les paturons.
— Bon, on y va ou on n’y va pas ? demande-t-il.
— Où cela-t-il ? bérurié-je.
— Moi, ça me démange d’aller visiter à fond la maison de ces deux enfoirés, ne me dis pas que tu n’y as pas pensé ?
— Bien sûr que j’y ai pensé. Et pour tout te déballer, je ne pense même qu’à ça, en dehors des fesses supraterrestres de Marika, seulement, le commissaire Monlascart a posé les scellés ! objecté-je hypocritement (voire hypocondriaquement).
Il a un rire silencieux de guépard découvrant la photo de Canuet épinglée à un baobab géant.
— Tu te laisserais brimer par un bout de ficelle et un cachet de cire, toi ?
— Bris de scellés et violation de domicile, ça te vaut la correctionnelle, monsieur Blanc.
— Si tu te fais poirer !
Je regarde Marika, elle a un sourire angélique.
— Ne compte pas venir avec nous, chérie ! avertis-je. Je ne t’ai pas amenée en France pour que tu te retrouves au ballon !
Ce qu’il y a de heurff avec cette môme, c’est qu’elle sait toujours à quoi s’en tenir avec ma pomme. Jamais elle n’insistera si elle a compris que je ne céderai pas. Elle annonce qu’elle va rentrer à Saint-Cloud, mais qu’auparavant, elle passera chez Fauchon pour acheter des calissons d’Aix à Félicie, laquelle raffole de la pâte d’amandes.
Elle est déjà au courant de tout, Marika.
Il fait une nuit pour meurtre anglais, avec brume humide dans laquelle se diluent çà et là des lumières. Les bruits ont une résonance particulière, l’air poisseux te colle à la peau, puis aux bronches. La nature sent la feuille morte et la fumée prisonnière.
On avance à pas feutrés sur l’avenue conduisant chez les Lerat-Gondin. Par prudence, j’ai abandonné ma tire à quelques encablures. On va, Jérémie et moi, avec une trousse à outils sous le bras (celle de ma Maserati).
Mon compagnon dit :
— On est chiés, les deux, de prendre des risques pour la peau.
— Tu penses que c’est pour la peau, beau blond ?
Il réfléchit et murmure :
— Non.
— Eh bien, alors ?
— N’empêche qu’on joue les téméraires sans espérer grand-chose. Que pouvons-nous apprendre qui soit vraiment sûr : ils sont tous morts ! En gros, l’un des quatre a égorgé les trois autres, puis s’est donné la mort. C’est le Boléro de Ravel que nous interprétons. On est happés par l’entonnoir du tourbillon, Antoine. Tout ça s’est passé en plein grosso modo du Lion, ne l’oublions pas !
— Je l’oublie pas, fais-je sans rire.
On parvient à la grille. Suffit de la soulever un peu en la poussant pour l’empêcher de grincer. Le parc, c’est à lui seul un film d’épouvante. Des festons de brouillard pendouillent des hautes branches. Nos pas précautionneux font néanmoins éclater des brindilles. On se paie même le gazouillis d’une chouette ou d’un chat-huant. Manque plus qu’un fantôme en vadrouille, des cris de terreur et des lucioles vagabondes.
— Tu crois que Monlascart a laissé des mecs en planque ? chuchote M. Blanc.
— Pour quoi fiche ? On manque d’effectifs dans la Rousse, il va pas se priver d’un ou deux lardus pour surveiller une bicoque dont les occupants sont clamsés et qu’il a dûment explorée hier.
Nous voici devant la chapelle, sinistre sous la lune avec sa double porte saccagée à coups de hache par le Gravos. Le sang séché n’a pas été nettoyé et forme une mare noire sur le dallage. Il y en a partout : sur les murs, sur le petit autel et sur le perron.
On inspecte les lieux avec ma loupiote surperformante, d’une intensité de laser. J’imagine toutes ces carotides sectionnées d’où jaillissaient, comme de quatre sources, les flots rouges qui se rejoignaient, se mêlaient pour former cette énorme flaque.
— C’est le plus grand mystère de ma putain de carrière, balbutié-je. Je donnerais tes deux couilles pour comprendre le pourquoi du comment du chose…
— Et moi, je donnerais ta saloperie de bite de goret scatophage ! riposte le Schwartz mec.
Tout ça, gentiment, pour dire de se manifester car nous sommes aussi impressionnés l’un que l’autre par le lieu du crime crépi de sang séché. Quatre personnes ont trépassé céans, bousillées par un fou (ou une folle) survolté(e) par je ne sais quelle haine démoniaque.
— Come, baby !
Il me suit jusqu’à la vieille demeure. On s’approche de la lourde pour tutoyer les scellés. Dans le faisceau implacable de ma torche, je découvre qu’ils ont déjà été saccagés ; propre en ordre ! On les a scrafés avec un couteau ; c’est plein de brisures de cire à cacheter sur le perron, plus le morceau de cordonnet ayant uni très fugacement les deux battants.
— Il y a eu de la visite, note Jérémie.
— Et il y en a encore, ajouté-je dans un souffle.
Je dresse mon index pour solliciter les éventails à oiseaux-mouches du Noirpiot. Dans le silence de la maison, on perçoit, lointains, des coups sourds. Ceux-ci semblent provenir du sous-sol. Nous posons nos mocassins Jourdan et, en chaussettes, partons à la recherche de la cave. Généralement, ce genre d’endroit se situe sous les communs. Fectivement, il existe une porte dans le couloir menant à la cuisine, elle donne sur un roide escadrin de pierre. De la lumière filtre par le léger écartement, car elle est incomplètement close. Le bruit devient plus présent, puis cesse brusquement. J’écarte davantage l’huis. Au bas des degrés, un homme respire bruyamment car il vient de fournir un effort. D’un signe, j’intime à Jérémie l’ordre de dégainer. Moi-même, j’arrache l’ami Tu-Tues de son holster de cuir. Le holster est un élément de séduction vis-à-vis des femmes. Quand tu charges une friponne réticente, il suffit que tu ôtes ton paltingue, exhibant ainsi l’arme blottie sous ton bras gauche pour qu’elle cesse aussitôt d’ergoter. Cette espèce de fausse prothèse (si je puis dire) les impressionne.
Un julot sanglé et porteur d’un flingue à crosse noire se marginalise d’emblée. Elles peuvent plus laisser quimper l’occase de se respirer un guerrier. La soldatesque la fait mouiller, la femme. Tout ce qui peut l’évoquer provoque en elle une pulsion sexuelle.
Bon, c’est pas le moment.
Donc, nos flingues en main, nous nous hasardons dans l’escadrin. Au tournant d’icelui, on découvre la cave voûtée à l’ancienne, située plein nord, donc fraîchouillarde à souhait.
Lors, nous apercevons ceci : un pan de mur revêtu de claies en bois, croisillonnées pour recevoir des boutanches. Celles-ci sont nombreuses et variées. Dans une autre partie du local, se trouve une accumulation de caisses d’eau minérale pleines ou vides. Puis des étagères supportant des paquets géants de lessive, des boîtes de cire, des piles de savons et autres denrées ménagères. Sur l’une des caisses, un homme, en bras de chemise, est assis. Il transpire, la sueur pleut de lui, telle une averse de printemps.
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