— La rencontre s’est faite de quelle manière ?
— On ne peut pas appeler cela une rencontre. Serge la Belle Verge m’a annoncé un jour qu’il se cognait une rombière aux as, laquelle rêvait de tourner dans une hard production . Il ajoutait qu’elle mettrait un peu de blé dans l’affaire pour excuser sa laideur. Il m’a dit qu’elle était moche à hurler, avec une vieille chagatte bouffée aux mites et défoncée comme un chemin creux. Il ajoutait que l’outrance est marrante. Pourtant, ça m’étonnerait qu’il ait lu le Rire de Bergson. Cela dit, il avait raison, et vous avouerez que ma sorcière de Blanche-Neige, gambadant dans les blés, à la lune, c’est un grand moment du septième art, non ?
— Le cuirassé Potemkine , c’est de la merde à côté, lui déclaré-je et Citizen Kane me fait chialer de honte.
Il se retient de m’embrasser, étant grand amateur de louanges et les collectionnant.
— Donc, j’ai dit banco. Madame est venue ; très B.C.B.G. Manteau de drap gris à col de velours, petit bibi mondain à voilette. Tellement distinguée et tarte que je ne pouvais pas croire à sa salacité. Il a fallu qu’elle taille une pipe à Serge devant moi pour me convaincre.
— Vous ne l’avez pas revue depuis cette production héroïque ?
— Non, mais j’ai d’autres projets pour elle.
Nouvelle retenue du gars Sana qui balancerait volontiers au produc que les projets en question, il devra les réaliser dans une vie postérieure.
— Elle a tourné combien de jours ?
— Un seul. Moi, vous savez, je dépote. Je fais dix minutes de bon par jour. La scène du champ de blé, je l’ai tournée en nuit américaine en huit heures !
— Elle est venue avec Grokomak sur le tournage ?
— Et repartie de même, oui.
— Le Polonais ne vous a pas fait de confidences particulières à propos de sa vieille conquête ?
— Non.
— Il vous a parlé du mari de la dame ?
— Très vaguement, pour me dire qu’il idolâtrait sa mégère et que, s’il savait qu’elle tournait dans un film « X », il se ferait sauter le caisson. Serge fréquente le couple depuis de longues années déjà, c’est un familier.
Bon, voilà que soudain j’en ai classe des Productions de l’Œil de Bronze. Et mes compagnons aussi, lesquels, muets, figés, assistent à notre entretien d’un air ennuyé d’être ici.
Salutations. Bonne bourre, bonne péloche ! On se prend le congé. On va aller galérer autre part.
Dehors, on marche un moment en silence en barrant toute la largeur du trottoir. Les passants qui nous croisent sont obligés de descendre sur la chaussée, pas contents, mais on est en force, on les emmerde. Les hommes en groupe emmerdent tous les autres, sauf ceux qui sont en groupes plus importants.
Le premier, Bérurier diffuse ses pensées :
— Cette vieille peau, la mère Lerat-Gondin, j’ai l’impression qu’elle avait tout faux dans sa tête, non ?
On opine (c’est bien notre tour) silencieusement. Et puis Marika déclare :
— On tient le mobile du carnage, en tout cas. Du moins, un mobile plausible : Lerat-Gondin a été mis au courant des prestations cinématographiques de sa Juliette, et le pauvre Roméo, bafoué, a tué la garce et son amant avant de se donner la mort.
— Et le type de l’harmonium ? interroge M. Blanc.
— Dans sa folie homicide, Lerat-Gondin lui a coupé le cou en même temps qu’aux autres, suggéré-je. À moins que le musico ait voulu s’interposer quand le bonhomme a commencé le massacre…
Une galopade derrière nous, des appels. On se retourne. C’est la binoclarde de Bennaz qui hèle Bérurier.
Essoufflée, elle recolle au peloton et dit au Gros :
— C’est rapport à votre contrat ; vous devez venir le signer !
Sa Majesté hésite, nous regarde. Gêné, il murmure :
— Vous n’avez pas besoin d’ moi dans l’immédiate, les gars ?
On lui répond que non.
Ne jamais entraver une carrière naissante !
Privés donc de Sa Majesté Bérurier, roi de ceci-cela et premier zob de France, nous débarquons à Louveciennes, étape suivante de nos pérégrinations enquêteuses.
Objectif number one : le domicile de feu Valentin Le Ossé. Il a lieu, ce domicile, dans une vaste bâtisse à peu près en ruine qui servait d’écuries, sous Louis XIII (un monarque pas superstitieux). Ces bâtiments dont la plupart des hautes fenêtres ont été lapidées et brisées, hébergent nonobstant, comme disaient les gendarmes avant qu’ils ne devinssent bacheliers, quelques artistes — traînent-lattes qui s’y sont aménagé ce qu’aux U.S.A. on appelle des lofts . Installations précaires mais qui durent ; sorte d’ateliers de fortune où fleurit une bohème fin de millénaire, fleurant le « h », le whisky-Coca, le cul mal briqué et la frite froide.
Après avoir traversé une esplanade indécise où pousse la mauvaise herbe, nous parvenons devant l’une des dernières cloisons encore valables sur laquelle sont punaisées des indications griffonnées. Elles nous permettent d’apprendre que Valentin Le Ossé créchait dans la partie extrême des clapiers. On suit un méandre de faux couloirs qui nous conduisent à une porte dénichée sans doute dans les gravats d’un immeuble en démolition. Et cet immeuble détruit devait être un hôtel car le numéro « 8 » est peint au pochoir, en noir sur le fond brun imitant du bois, et comme y a du bois sous la couche de Ripolin express, on se demande à quoi ça rime, non ? Les desseins des hommes sont vachement plus mystérieux que ceux de la providence, je trouve.
Comme on entend de la zizique de l’autre côté du galandage de planches, on frappe. Et voilà qu’aussitôt, une folle guêpe au masque tragique nous débonde. Magine-toi un adolescent d’une dix-huitaine d’années, avec des cheveux décolorés coiffés punk, façon Attila, de manière à faire une brosse pour casque de cuirassier. Ça mesure quinze centimètres de large et le reste est rasé à zéro. Son visage est brouillé par le chagrin. Il a dû chialer sans discontinuer depuis hier tantôt, le petit mec, alors il a les yeux en crue, faut voir ! Les joues creuses garnies d’une herbe fauve car, en vérité, il est rouquemoute, Bébé Rose. Il porte un superbe diamant de la Samaritaine à une oreille, plus un autre, assez mignard sur une narine, ce qui, immanquablement me flanque la grosse gerbance. C’est l’espèce de mutilation que je supporte pas. Me semble ressentir l’effet que produit une vis dans les trous de nez, et putain qu’il faut être con, maman, pour arborer un bijou de pacotille à un tel endroit !
Mais qu’est-ce qui leur arrive, tous ? Bientôt ils se feront poser des clochettes au fion, des grelots aux burnes et des montres-bracelet autour du paf, je pressens. Tu veux parier que ça existe déjà ? Sinon, bouge pas, arme ton Kodak et attends, ils vont se pointer !
Le minet punkisé porte un caleçon trop vaste pour sa chétivité, sur lequel y a écrit « Chasse gardée », plus un tee-shirt troué et cradoque que ça représente un hippopotame sortant juste ses grosses prunelles du marigot où il fait trempette. Il paraît un peu nubile des cannes, l’artiste, et ses arpions sont douteux.
Il nous regarde, interloqué et, de surprise, cesse de chougner.
— Valentin Le Ossé, c’est bien ici, dis-je péremptoirement en pénétrant dans l’antre.
— Il est mort ! gémit le petit follingue en repartant dans l’eau de chagrin.
— Je sais ; c’est pourquoi nous sommes là.
— Vous êtes de sa famille ? il clapote, en matant M. Blanc d’une prunelle incrédule.
— Non, vous non plus ?
— Je… je suis…
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