– D’abord, si je préviens les gens de Neuilly des manigances de La Veuve, ça sera un sale tour que j’aurai joué à ces deux chipies. Ça sera toujours ça de gagné. Ensuite, c’est sûr que les types m’abouleront un bon pourboire.
Sûr d’empocher cent francs, Zizi se mit à bâtir des projets, s’arrêtant des demi-heures à des devantures où il se choisissait toutes sortes de choses dont il se découvrait un besoin urgent, si bien qu’il s’aperçut tout à coup que les magasins fermaient, et qu’il était plus de dix heures. Alors, il se mit à courir. En un quart d’heure, il gagna la maison signalée par la baronne. Il n’y avait pas à s’y tromper: c’était la villa voisine de celle où il avait été conduit par La Veuve pour aider Jean Nib dans sa tentative de cambriolage.
Zizi agita la sonnette, une fois, deux fois, trois fois, de plus en plus fort. Mais rien ne répondit. Aucune lumière ne se montra; aucun de ces bruits intérieurs qui prouvent qu’on s’apprête à répondre, sinon à ouvrir.
– Zut! fit le voyou en pâlissant. Y a plus personne. Mes cent balles sont dans le lac… Les bourgeois ont déménagé… ou bien… c’est-y… oh! bon sang de sort! c’est-y que La Veuve a déjà fait son coup?
Zizi sonna encore, mais cette fois sans conviction; et, convaincu que la maison était déserte, il demeura tout étourdi, se reprochant amèrement de ne pas être venu tout de suite…
Pendant dix minutes, il resta planté devant la grille, puis, bien certain de son malheur, il s’en alla lentement. Il n’avait pas fait vingt pas qu’il se sentit tout à coup saisi par deux bras robustes qui l’enlevèrent comme une plume. Il voulut se débattre, mais il comprit aussitôt qu’il avait affaire à forte partie; il voulut crier, mais une main rude s’appliqua sur sa bouche. Dès lors, Zizi se tint tranquille.
Du reste, sa terreur, presque aussitôt se changea en stupéfaction: l’homme qui venait de le saisir l’emportait, et Zizi vit que la grille où il avait inutilement sonné était entr’ouverte; il vit que l’homme franchissait cette grille et l’emportait justement vers la maison où il avait voulu pénétrer!
L’homme entra, portant toujours Zizi qu’il avait jeté sur ses épaules comme un paquet. Il monta rapidement des escaliers, pénétra enfin dans une pièce éclairée par une lampe et déposa le voyou sur ses pieds en grondant:
– Qu’est-ce que tu viens faire par ici, toi? Réponds, ou je te serre la vis!…
– Jean Nib! s’écria le voyou stupéfait.
– Zizi! fit Jean Nib en le reconnaissant.
– Comme ça se trouve! fit Zizi, qui déjà reprenait tout son aplomb. N’en v’là une, de rencontre! Si je m’attendais à celle-là! Et à part ça, comment qu’ça va, ma vieille branche?
– T’inquiète pas de ma santé, fit Jean Nib, et tâche de répondre franchement, ou tu vas passer un mauvais quart d’heure! Qu’es-tu venu faire ici? Pourquoi que tu as sonné?…
– J’ai sonné! C’est ce qui prouve que j’venais pas dans d’mauvaises intentions, au contraire! J’venais pour…
Une idée terrible passa tout à coup par la tête de Zizi: puisque Jean Nib était là, c’était qu’il y était pour le compte de La Veuve! C’est que lui, Jean Nib, avait exécuté le double enlèvement dont il avait surpris le projet!
– Eh bien! gronda Jean Nib. Te décideras-tu, le gosse?…
– Oui, j’me déciderai. Mais, d’abord, faut m’dire une chose. Est-ce La Veuve qui t’envoie?…
– La Veuve!… murmura Jean Nib en tressaillant.
Zizi vit un tel bouleversement sur le visage de Jean Nib; qu’il comprit que sa vie ne tenait qu’à un fil. Il eut peur…
– Écoute, dit-il, j’vais tout déballer. Tant pis si ça tourne mal pour moi!…
– C’est ce que t’as de mieux à faire… Dégoise!…
– Voilà!… voilà!… D’abord, je venais pour cafarder, ça c’est juré! Ensuite tant pis si t’es d’accord avec La Veuve, mais je venais pour la faire enrager. Là! c’est une manie chez moi…
– Comment ça? Raconte un peu.
– Bien simple. La Veuve voulait faire un coup ici. J’ai voulu l’empêcher. Voilà! Tue-moi, si tu veux, mais faut que j’me soulage. La Veuve et la baronne, c’est deux teignes, deux gales, deux poisons, deux…
Jean Nib interrompit la kyrielle des malédictions en serrant le poignet de Zizi, qui, alors, non sans se faire arracher les paroles, non sans essayer d’innombrables et subtiles digressions, finit par raconter la conversation qu’il avait surprise entre La Veuve et la baronne, du fond de sa caisse.
– Ainsi, résuma Jean Nib, La Veuve et cette femme que tu appelles la baronne voulaient s’emparer d’un homme nommé Gérard et d’une fille nommé Lise. C’est bien ça, hein?
– Juste, Auguste! La baronne doit régler le compte du Gérard, et La Veuve doit, pour sa part, bouffer toute crue la gosseline qui s’appelle Lise…
Jean Nib passa dans la pièce voisine où il trouva Rose-de-Corail en train de s’habiller.
– Eh bien? quoi que c’était? qui ça qui carillonnait?… demanda Rose-de-Corail.
– Du leste! fit Jean Nib. Éveille la môme; dans cinq minutes, faut que nous soyons déguerpis…
Rose-de-Corail, au ton et à la physionomie soucieuse de Jean Nib, comprit que la situation était grave. En un clin d’œil, elle acheva de s’apprêter, puis courut réveiller Marie Charmant, qu’elle aida à s’habiller, et Jean Nib revint auprès de Zizi, dans la chambre qui avait servi de pièce commune et de salle à manger.
Un cri de stupeur jaillit des lèvres du gamin.
– Ça, ça m’en bouche un coin! glapit le voyou en se redressant tout pâle. Vous? c’est vous, mademoiselle Marie?…
– Ernest! cria Marie Charmant, qui entrait avec Rose-de-Corail. Ah! mince… Non, vrai, je suis tout plein contente de vous revoir, mon p’tit Ernest! Il me semble que me v’la revenue dans mon petit logement!…
– Silence, tonnerre de Dieu! gronda Jean Nib. Souffle la camoufle, Rose-de-Corail!
Rose-de-Corail, d’un souffle, éteignit la lampe. La pièce fut plongée dans les ténèbres. Un silence lourd d’angoisse et de terreur pesa sur les deux jeunes femmes et le voyou, tous trois tournés, palpitants, vers Jean Nib, dont ils entrevoyaient la haute silhouette dans la vague clarté de la fenêtre.
Jean Nib, immobile, debout près de cette fenêtre, regardait dehors… Quelques minutes d’une terrible angoisse s’écoulèrent…
– Eh bien! fit enfin Rose-de-Corail dans un murmure à peine perceptible, est-ce qu’on file, mon Jean?…
– Trop tard! gronda Jean Nib. Regarde!…
D’un bond, Rose-de-Corail fut à la fenêtre, et, au fond de l’obscurité, entrevit deux silhouettes dans le jardin, deux ombres qui eussent été invisibles pour tout autre qu’elle et Jean Nib.
– Oh! murmura-t-elle à ce moment…
Deux nouvelles silhouettes se montraient… deux hommes qui, un instant, apparurent sur la crête du mur et sautèrent dans le jardin.
– Ça fait quatre! dit sourdement Jean Nib.
On peut filer par les derrières, haleta Rose-de-Corail.
– Bouge pas! Je vais voir!…
À pas rapides, furtifs, silencieux et souples, Jean Nib bondit hors de la pièce et gagna l’extrémité du corridor aboutissant à une fenêtre qui donnait sur le derrière de la villa.
Et alors, une sourde imprécation gronda dans sa gorge; une sueur d’angoisse inonda son front, ses poings se crispèrent… Là, dans la nuit, en des attitudes que son œil dilaté par l’horreur détaillait comme en plein jour, quatre nouvelles silhouettes!… quatre hommes!… Ils approchaient lentement… De toutes parts, la maison était cernée.
Jean Nib sentit passer sur sa nuque le frisson de la terreur suprême, et son cœur se brisa…
Читать дальше