– Vous y êtes donc bien mal? fit Pontaives d’un ton de reproche ému.
– J’y suis cent fois mieux que je n’en vaux la peine. Épargnez-moi la nécessité de vous rabâcher les phrases par lesquelles on se quitte… et de vous dire que je craindrais d’abuser, ou autre chose pareille. Vous êtes un galant homme, monsieur Pontaives, un homme de cœur. Jamais, vous entendez, jamais je n’oublierai que vous vous êtes dispensé de m’adresser un seul mot d’amour… alors que vous en auriez eu le droit. Vous m’avez traitée en honnête fille, et cela, voyez-vous, ne sortira jamais de ma mémoire…
– Merci, mademoiselle, mais, vraiment, vous me faites trop d’honneur pour bien peu de mérite, si mérite il y a. Causons donc en camarades…
– Oui, oui, en camarades!
– Dites-moi franchement pourquoi vous voulez partir d’ici, reprit-il en lui prenant la main.
Magali retira cette main. Son sein s’oppressa. Elle ouvrit la bouche comme si elle allait avouer quelque secret. Mais elle secoua sa tête:
– Non, non! songea-t-elle, je ne dois plus aimer!… Aimer! je sais trop ce qu’il m’en a coûté. Et puis, que suis-je à cette heure?… Et si, au lieu d’être Magali, j’étais simplement l’ouvrière Juliette, m’aimerait-il, lui?… Adieu, adieu à l’amour! Je n’ai plus le droit d’être à un seul, puisque je me suis donnée à tous… Et puis… si je l’aimais… si je le lui disais… et qu’il apprenne de qui je suis la fille!…
– Eh bien? reprit Pontaives. C’est donc bien grave?
– Au contraire, fit-elle en frissonnant. La cause qui m’obligeait à me cacher n’existe plus. Je rentre donc simplement dans Paris. Seulement, ce ne sera pas dans mon appartement de la rue du Helder…
– Où vous serez, me permettrez-vous de venir vous voir?…
– De grand cœur… à la condition que nous demeurions camarades… Tenez, monsieur Pontaives, cela va peut-être vous sembler étrange et fou, et bien orgueilleux de la part d’une noceuse comme moi. Mais il me semble que si jamais l’idée vous venait de voir en moi autre chose qu’une camarade, j’en aurais un chagrin atroce… Promettez-moi donc, si vous venez chez moi, d’oublier sur le seuil que vous entrez chez Magali…
– Je vous le promets, dit Pontaives faiblement.
– Eh bien! puisqu’il en est ainsi, accompagnez-moi jusqu’à Paris, voulez-vous?
– À vos ordres, ma chère camarade. Nous prendrons un vulgaire taxi. Et si vous ne redoutez pas de vous ennuyer en ma société, vous me permettrez de vous offrir à déjeuner; puis je vous déposerai où vous voudrez…
– Ce sera charmant! s’écria Magali en battant des mains.
– Veuillez donc vous apprêter pendant que je donne quelques ordres ici. Dans cinq minutes, je suis à vous.
Pontaives monta au second étage et fit entendre le signal qui avait été convenu avec Jean Nib, au cas où il aurait besoin de communiquer avec lui. Quelques instants plus tard, Jean Nib apparaissait.
– Mon brave, dit Max Pontaives, voici votre mission terminée, heureusement sans qu’aucune attaque se soit produite.
– Bon! fit Jean Nib. Alors, y a plus de danger?
– Plus de danger, ici, pour la raison bien simple que les deux dames qui se trouvaient menacées s’en vont. L’une est déjà partie. L’autre va partir dans un instant. Demain matin, il n’y aura plus personne dans la villa, car je compte licencier les domestiques… Il me reste à vous remercier…
– Pas la peine, fit Jean Nib. Si ça n’est pas rageant! ajouta-t-il, comme ça, tout de suite, en plein jour? Oùs que je vais gîter les deux mômes? Elles étaient si bien, ici, et si tranquilles!…
– Mais si, reprenait Pontaives, c’est la peine de vous remercier! Et comme les remerciements en paroles sont une denrée vraiment trop facile et courante, permettez-moi de vous offrir ceci.
Et il tendit un billet de mille francs.
– Un carré! s’écria Jean Nib. Vous êtes un type, vous! mais vous pouvez rengainer ça. Tout ça, voyez-vous, c’est une affaire entre moi et votre copain… M. Ségalens.
– Vous refusez? dit Pontaives avec stupeur.
– Ça oui! Mais puisque vous dites que vous voulez me remercier, je vais vous en indiquer l’art et la manière. Renvoyez vos larbins, si vous voulez. Au contraire, ça n’en vaudra que mieux. Et laissez-moi ici quelques jours encore… Mais… fit-il tout à coup, comme frappé d’une idée subite.
– Quoi donc?
Jean Nib se redressa, serra les poings et jeta un regard de côté sur Pontaives.
– Peut-être bien, dit-il d’une voix rauque, que ça va vous mettre en défiance, ce que je vous dis là… On ne laisse pas un type comme moi seul dans une maison où il y a de l’argenterie… C’est ça que vous pensez, hein?… dites-le, puisque vous le pensez!…
– Mon cher monsieur, dit Pontaives en remettant son billet de mille francs dans sa poche, mon ami Ségalens m’a dit que s’il avait un trésor à mettre en sûreté, c’est à vous qu’il le confierait… or, j’ai confiance, moi, en Ségalens, comme en moi-même…
– Il vous a dit ça, M. Ségalens?… gronda Jean Nib en tressaillant.
– Et ne m’eut-il rien dit que je n’en serais pas moins votre obligé. Demeurez donc ici tant que cela vous conviendra, ou aussi longtemps que votre sécurité personnelle l’exigera. Je vous ai dit que, demain matin, il n’y aurait plus personne dans la villa. Je me suis trompé, dans une heure, le temps de faire leurs paquets, les domestiques seront partis. Adieu donc, et merci!…
Sur ces mots, Max Pontaives se retira, tandis que Jean Nib demeurait à la même place, tout pensif.
Au bout de quelques minutes, il remonta dans les combles et se posta derrière le rideau de la fenêtre, dans la pièce qui servait de salle à manger pour lui, Rose-de-Corail et Marie Charmant.
Bientôt, il vit sortir Max Pontaives donnant le bras à Magali.
Une heure plus tard, comme l’avait dit le maître de la maison, les deux femmes qui avaient fait le service quittèrent à leur tour la villa, après avoir refermé les portes, les fenêtres et la grille. Alors, Jean Nib se tourna vers Rose-de-Corail, et dit:
– Ça, c’est épatant, par exemple!…
– Quoi?…
– Bien!… Des idées qui me passent par le ciboulot!…
Zizi n’avait d’autre pensée précise que de jouer un mauvais tour à La Veuve et à celle qu’il appelait la baronne de Va-te-faire-lanlaire… Comment? Il ne savait pas trop. Le plus pressé, pour lui, c’était de s’éloigner de ce galetas où La Veuve pouvait revenir d’un moment à l’autre.
Cependant Zizi, par des voies détournées, gagna rapidement la rue de Clignancourt, et descendit au carrefour du Delta.
Il était midi lorsque Zizi, ayant allumé une cigarette, grimpa dans un tramway qui se dirigeait vers la place de l’Étoile.
Cela le rapprochait de Neuilly, où il allait sans avoir pris la résolution d’y aller.
Zizi n’en continua pas moins à descendre vers Neuilly, mais il prit la précaution de longer le bas-côté de l’avenue. Près des fortifications, il y avait un cirque, un tir, un manège de chevaux de bois, enfin toute une petite installation foraine.
Dans sa marche à Neuilly, Zizi se heurta donc à cet embryon de fête foraine, et s’y accrocha comme une paille entraînée par le ruisseau s’accroche à quelque pavé. Dire qu’il oublia La Veuve, la baronne et leur terrible entretien, ce serait exagéré. Cette pensée, au contraire, ne le quitta pas durant les trois jours qu’il passa là, amarré à la fête, s’offrant d’innombrables tournées de chevaux de bois, assistant à toutes les représentations du cirque, se nourrissant de crêpes, de chaussons aux pommes et de nougat, enfin vidant jusqu’à la lie la coupe des plaisirs que peuvent offrir des baraques foraines. Le soir du troisième jour, ayant constaté qu’il ne lui restait plus que sept sous, Zizi se prit à faire de sérieuses réflexions.
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