Tous trois pénétrèrent dans le jardin, dont Jean Nib referma la porte, puis dans la maison. Quelques minutes plus tard, ils étaient dans les combles, c’est-à-dire dans le domaine de Jean Nib. Il fit entrer les deux femmes dans une pièce qui donnait sur l’entrée de la villa.
– Ça sera là notre salle à manger, dit-il. Toi, la gosse, tu coucheras dans la chambre à côté. Regarde, et tu verras que c’est tout ce qu’y a de plus rupin.
Marie Charmant jeta en effet un regard sur la chambre voisine, et vit qu’elle était gentiment meublée.
Fidèle à la consigne qui lui avait été donnée, la cuisinière de la villa avait préparé, dans l’unique pièce où elle eût permission d’entrer, un dîner froid «comme pour quatre».
– C’est pas pour dire, fit Rose-de-Corail, mais on est mieux ici qu’au Champ-Marie. Mais t’as donc fait un héritage, mon Jean?
– Pas encore, mais ça viendra; en attendant, boulottez sans crainte, les gosses; ici, personne viendra nous relancer.
Lorsque le repas fut terminé, Rose-de-Corail demanda où ils se trouvaient.
– Dans une maison amie, répondit Jean Nib. Pour le quart d’heure, écoutez bien, les gosses: défense de faire du potin, de causer trop fort; enfin, faut pas être entendu par les gens qui demeurent en bas…
– Il y a donc des gens en bas? s’écria Marie Charmant effrayée.
– Sûr! mais c’est des aminches, qu’on te dit! Ainsi, vous pouvez roupiller sur les deux oreilles; le jour, faut pas vous montrer aux fenêtres; maintenant, allez pioncer chacune dans votre dodo. Moi, je veille. Je dormirai le jour. Mais, la nuit, faut que je sois d’attaque.
C’est ainsi que Rose-de-Corail et Marie Charmant se trouvèrent installées dans la villa, dont les étages inférieurs étaient occupés par Lise et Magali.
* * * * *
Quelques jours se passèrent. Marie Charmant et Rose-de-Corail s’étaient accoutumées à ce nouveau genre d’existence. Jean Nib se reposait quelques heures dans la journée et, la nuit, montait une garde consciencieuse.
Un matin, une voiture s’arrêta devant la grille. Ce matin-là, c’était celui qui suivait la nuit où Charlot avait dévalisé le prince d’Olsteinburg.
De cette voiture descendirent deux hommes qui étaient Max Pontaives et Gérard d’Anguerrand.
Gérard d’Anguerrand avait été trouver Max Pontaives rue Roquépine, et lui avait dit:
– Cher ami, je viens vous remercier de l’hospitalité que vous avez bien voulu donner à la comtesse de Pierfort…
La comtesse de Pierfort? fit Pontaives stupéfait.
– Cette jeune fille que vous avez accueillie dans votre villa de Neuilly avec une bonne grâce que je n’oublierai jamais. C’est la comtesse de Pierfort… une parente à moi…
Max de Pontaives eut un sourire.
– Vous pouvez me croire, reprit Gérard; il y a sous toutes ces apparences une histoire que je vous raconterai quelque jour… quand je reviendrai à Paris, ajouta-t-il avec un soupir.
– Vous nous quittez donc?
– Je vais m’enterrer à Prospoder pour quelque temps, et puis je voyagerai sans doute. L’essentiel est que mon parent, le comte de Pierfort, est à Paris, et que me voilà délivré, de la périlleuse tutelle que j’avais assumée, et que, du même coup, vous voici délivré aussi. Vous verrez Pierfort. C’est un garçon charmant… il me ressemble un peu… au physique, pas au moral! Je lui ai dit l’obligation qu’il a contractée vis-à-vis de vous, et il viendra vous remercier.
– Mais, mon cher baron, je suis tout remercié par le plaisir que j’ai eu à vous rendre ce léger service, à vous et à la comtesse… Hum!… Ainsi, vous l’aviez en garde?…
– Le mari lui-même vous le dira et vous racontera par suite de quelles circonstances, tandis qu’il était retenu en Normandie, la comtesse a dû se cacher quelques jours à Paris. Seulement, cher ami, je vous demanderai un dernier service. Vous êtes relevé de votre serment de discrétion, puisque moi-même je raconte le fond de l’affaire; mais vous seriez vraiment gentil d’ébruiter le moins possible cette histoire, où le bon renom de la comtesse pourrait se trouver en jeu…
– Vous aviez déjà ma parole vous l’avez plus que jamais.
– Vous êtes un vrai gentilhomme… À propos, voici les cent louis que vous avez eu l’obligeance de me prêter le jour où je me trouvai réduit par de ridicules circonstances au rôle de mendiant… M’accompagnez-vous à votre villa?
– Comment donc! avec le plus grand plaisir!… Mais, dites-moi, est-ce que votre parent le comte de Pierfort vient avec nous?
– Non Il arrive tout à l’heure à midi, et se rendra tout droit à son hôtel de l’avenue de Villiers. Je tiens beaucoup à ce qu’en arrivant il trouve sa femme tout installée et l’attendant…
– Je comprends…
– Non, vous ne comprenez pas, mon cher, fit Gérard avec un étrange sourire. Il n’y a rien de tout ce que vous pouvez supposer en ce moment… Plus tard, vous saurez…
Les deux hommes montèrent en voiture et, un quart d’heure plus tard, arrivèrent à la villa.
Lorsque Gérard se retrouva en présence de Lise, il éprouva un tremblement de joie profonde. Dans ces quelques journées où, avec l’audace forcenée d’une sorte de désespoir, il avait risqué tout pour se procurer de l’argent, il avait vécu dans une morne terreur, avec cette intime conviction qu’il ne retrouverait plus Lise…
Elle était là!…
– Lise, dit Gérard en tremblant, êtes-vous prête à me suivre? L’abri momentané que vous avez trouvé ici ne peut plus vous convenir.
Où tu voudras que j’aille, j’irai. Où tu croiras que je doive rester, je resterai.
– Venez donc… Mais, quoi que vous puissiez voir ou entendre, promettez-moi de ne pas vous étonner, de ne pas me mal juger… Lise, ô ma Lise adorée! ajouta-t-il, emporté par la passion, tu le sais, ou si tu ne le sais pas, ton cœur te le dit: tout ce que je fais, c’est pour ton bonheur… S’il y a des choses qui te paraissent mystérieuses, si tu entends qu’on me donne un autre nom que celui que je porte, si je t’apparais sous des traits que tu ne me connais pas, aie confiance, quand même, toujours… me le promets-tu?…
– Hélas! fit-elle, en soupirant, ramenée à la réalité par ces paroles; je sais, je vois, mon Georges adoré, que tu es obligé de te cacher. Mais fusses-tu maudit par le reste du monde, en moi tu ne trouveras que consolation et dévouement. Confiance! murmura-t-elle comme se parlant à elle-même, toujours… Qui sait de quelles régénérations mon amour est capable!
Tremblante à la fois de bonheur et d’angoisse, elle dit adieu à Magali et suivit Gérard d’Anguerrand.
Max Pontaives les accompagna jusqu’à la voiture et revint trouver Magali.
– Mademoiselle, dit-il à Magali, peut-être allez-vous vous ennuyer maintenant; vous allez vous trouver bien seule ici…
– Je ne m’y ennuierai pas plus que par le passé. Si je restais ici, je n’y serais pas plus seule que ces jours derniers.
– Est-ce que la personne qui sort d’ici vous aurait tenue à l’écart? fit Pontaives en fronçant les sourcils.
– Elle!… La chère demoiselle!… oh! non… elle a tout tenté, au contraire, pour se rapprocher de moi… C’est moi qui la fuyais… Ne m’interrogez pas… je n’osais pas, voilà tout… Vous savez, monsieur, le métier que je fais. Mais, pour faire ce métier, tout sentiment n’est pas aboli dans mon cœur… Peut-être suis-je bien novice encore… Peut-être, plus tard, dans quelques années ou quelques mois, n’y ferai-je plus attention… Mais, maintenant, il me semblerait que j’aurais commis une mauvaise action en me rapprochant de cette belle et pure demoiselle… Non, non, ajouta-t-elle nerveusement, pas de contact entre les honnêtes gens… et nous! Au surplus, tout cela est inutile, car mon intention était de quitter aujourd’hui même cette maison…
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